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Un trésor d'architecture |
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François Essomba · 2021-06-28 · Source: Chinafrique | |
Mots-clés: architecture; case obus; Cameroun |
Des habitations traditionnelles au Cameroun s’illustrent par leur conception hors du commun.
Trois cases obus dans un enclos comportant une entrée ouverte en journée. (COURTOISIE)
Dénommées « case obus », de grandes huttes faites de boue d’argile séchée au soleil se dressent comme une preuve indéniable de la force et de la créativité architecturale du peuple mousgoum. Celles-ci forment un paysage pittoresque et unique en termes d’architecture. Outre le caractère frappant de ces cases de forme conique, les attributs géométriques décoratifs dépassent le simple objectif d’embellissement extérieur et ne cessent de fasciner les visiteurs. Ces cases sont conçues pour fournir de bonnes conditions de logement face à la météo rude et changeante, ce qui inclut une bonne ventilation. Elles sont considérées comme étant une excellente alternative au ciment. Cet habitat typiquement camerounais est considéré comme un élément important du patrimoine culturel du pays.
Maîtrise de techniques ancestrales
Les cases obus se distinguent par leur structure originale et un savoir-faire unique. (COURTOISIE)
Les matériaux utilisés pour la construction des cases du peuple mousgoum sont 100 % naturels, réutilisables et biodégradables. En effet, ces maisons sont construites avec un mélange de 60 % de terre argileuse, 35 % de fibres végétales (herbes, paille, algues, etc.) ainsi que 5 % de matières organiques (excréments d’animaux, huile de poisson, etc.) qui en assurent la cohésion et l’imperméabilité. Accessible à tous et facilement réalisable au niveau local, ce mélange se révèle être de haute qualité environnementale. Dans les cases de huit mètres de haut, la température s’auto-régule à l’intérieur en fonction de la température ambiante grâce aux avantages thermiques de ces matériaux de construction. Au sommet, une petite ouverture a été prévue pour l’éclairage et la circulation de l’air. Familièrement nommée « trou de la fumée », elle est couverte par une dalle qui empêche la pénétration des eaux de pluies dans la maison. L’entrée est assurée par une porte unique qui est étroite jusqu’au niveau du genou, mais élargit au niveau de l’épaule, un peu comme un trou de serrure. Au total, la composition d’un logement familial mousgoum comporte traditionnellement cinq cases : une pour le chef de famille, deux pour les femmes, une pour la cuisine et une pour le bétail. Au centre se trouve généralement un grenier à mil. Les cinq cases sont reliées entre elles par un mur en argile et sont uniquement accessibles par une porte qui est verrouillée la nuit.
Rappelons que le peuple mousgoum possède encore des us et coutumes profondément ancrés. Le chef de famille, par exemple, réside seul dans sa propre case qui se distingue le plus souvent par sa grande taille. Chacune de ses femmes possède sa propre habitation, dans laquelle elle vit avec ses enfants célibataires. Les fils adultes encore célibataires habitent ensemble dans une case à part. La tradition mousgoum veut qu’à sa mort, le chef de famille soit toujours enterré dans sa maison. Ensuite, la coupole du niveau supérieur de son habitation est détruite afin que personne ne puisse l’utiliser.
Les Mousgoum constituent un peuple d’Afrique centrale et occidentale. Riverains du Moyen-Logone, ils sont essentiellement présents dans les plaines du Cameroun du nord (61 500 personnes) et au sud-ouest du Tchad (24 400 personnes), à l’est du Nigeria ainsi qu’à l’ouest du Niger. Cette ethnie est surtout connue pour le style architectural atypique de ses villages. Dès le début du XXe siècle, ces maisons en forme d’obus, dont la construction nécessite généralement près de six mois, ont suscité l’intérêt d’architectes occidentaux curieux.
Héritage séculaire à perpétuer
Les matériaux écologiques permettent à l’espace intérieur des cases de garder une température fraîche toute la journée. (COURTOISIE)
L’identité remarquable du peuple mousgoum, conservant jalousement sa culture, se caractérise principalement par ses habitations. Celles-ci font la fierté de ce peuple de travailleurs car l’architecture demeure unique en son genre dans le monde entier. De ce fait, tout est mis en œuvre pour la perpétuation de ce modèle architectural, qui est reproduit à plusieurs endroits de la zone septentrionale du Cameroun afin qu’une trace soit conservée pour les générations futures. Joseph Ngabanai, issu d’une localité de l’extrême nord du pays, n’hésite pas à magnifier le savoir-faire technique de ses ancêtres : « Cet héritage nous est transmis par nos aïeux. Cependant, la transmission des connaissances techniques de ces structures traditionnelles à la jeune génération n’est pas systématique ni réglementée. La pérennisation de ce modèle structurel se transmet pour l’instant de père en fils. Par ailleurs, la simplicité de ces constructions est vraiment étonnante car elles ne disposent ni d’armature ni de fondation dans leur élaboration mais résistent curieusement à toutes les intempéries. »
Marcel Biri, étudiant à l’Université de Maroua et également issu du peuple mousgoum, propose que ces techniques de construction soient enseignées à un niveau professionnel. « Nous souhaitons que les pouvoirs publics puissent s’impliquer davantage en créant par exemple une école de formation pour mieux transmettre et étendre la maîtrise de ce savoir-faire architectural à d’autres localités du pays », précise-t-il. Ajaccio Atapassing Avele, un des gardiens de la tradition du peuple mousgoum, dévoile de son côté un des grands rôles que peut jouer ce type d’habitation : « Ces cases en forme d’obus sont non seulement habitables mais peuvent également se doter d’un usage stratégique en temps de conflit en servant de tour de contrôle. Leur ouverture au sommet permet en effet de faire le guet et d’observer de loin les mouvements de l’ennemi qui aurait la mauvaise idée de s’attaquer à la communauté. »
La perpétuité de ce modèle architectural est intacte, selon les dires de Geremi Paltamatala, commerçant établi à Yaoundé, et par ailleurs arrière-petit-fils d’un des grands concepteurs des cases obus. « Je pense qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer en ce qui concerne la pérennité des cases obus dont notre région en est le lieu d’origine. Je dois préciser ici que l’architecture mousgoum semble relever du divin : lorsqu’on observe les techniques utilisées par nos ancêtres, on s’aperçoit que c’est vraiment impressionnant sachant qu’ils n’ont jamais fait aucunes études. Ce qui est vraiment exceptionnel, c’est également le fait de n’utiliser aucun matériau classique de construction à l’instar des fers à bétons ou du ciment. On ne peut que féliciter nos ancêtres pour ces prouesses techniques, à savoir le fait de parvenir à ériger ces cases dont les hauteurs varient entre cinq et huit mètres de hauteur en moyenne et le fait que celles-ci parviennent à résister à toutes les tempêtes. Pour moi, la performance est admirable. »
Cette architecture, dont les techniques de construction étaient bel et bien en voie de disparition, a fait l’objet d’un grand sauvetage. Et ce grâce à la curiosité des touristes avant tout qui a suscité un engouement particulier chez les jeunes Mousgoum. Cette nouvelle génération s’intéresse désormais davantage à la construction de ces habitations traditionnelles, favorisant la pérennisation du génie architectural dont le secret est bien gardé par les populations mousgoum.
Reportage du Cameroun
Pour vos commentaires : lixiaoyu@chinafrica.cn