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Kousséri, corridor de transit au Sahel |
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François Essomba · 2020-12-24 · Source: Chinafrique | |
Mots-clés: Kousséri; Cameroun; Tchad |
Les échanges entre le Cameroun et le Tchad sont facilités par le pont de N’Guéli, viaduc routier international franchissant le fleuve Logone, marquant la frontière entre les deux pays.
Située aux confins du Sahel et de la zone transsaharienne, Kousséri, ville frontalière du Cameroun et proche de N’Djamena, capitale tchadienne, représente une escale obligatoire pour les marchandises provenant du géant nigérian, première économie africaine, vers le Soudan et la République centrafricaine. Sa position géographique en fait un véritable carrefour commercial et culturel. En plus du commerce, son économie est basée sur l’agriculture, l’élevage, la pêche, le tourisme, le transport de marchandises et l’artisanat. Le secteur informel est prépondérant et les activités de contrebande occupent aussi une place considérable. L’économie locale est dominée par de riches commerçants et des chefs traditionnels occupant des postes élevés au sein de l’administration.
Le pont de N’Guéli, reliant Kousséri et N’Djamena, a été inauguré en décembre 2012 par le Président tchadien Idriss Déby. Son objectif était de stimuler les échanges commerciaux entre le Cameroun et le Tchad principalement, mais aussi avec le Nigeria, dont les produits destinés à l’exportation vers le Tchad, le Soudan et la République centrafricaine, transitent par Kousséri, tout comme les cheptels de bœufs en provenance du Soudan et du Tchad, approvisionnant en viande les villes nigérianes de Maiduguri et de Gamboru.
Des partenaires économiques de longue date
Nigeria, Cameroun, Tchad et Niger : les échanges commerciaux entre les quatre pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad prospèrent allègrement en dépit de la forte contrebande imputée à la porosité des frontières. Ainsi, le Cameroun et le Nigeria ont atteint un volume d’échange fixé à 8 milliards de dollars en 2019.
Le trafic entre le Cameroun et le Tchad enregistre un volume financier d’au moins 1 milliard de dollars par an. Le pétrole tchadien transite également sur le sol camerounais, grâce à un pipeline long de 1 070 km, avant son exportation vers le port de Kribi, au sud du Cameroun. Ainsi, les royalties de transit du pétrole tchadien procurent environ 51 millions de dollars par an au Cameroun.
Dépourvu de façade maritime, le Tchad utilise les ports camerounais de Douala et de Kribi, où transitent plus de 80 % du volume de ses marchandises destinées à l’exportation et à l’importation.
Un renforcement des voies de communication est plus que nécessaire dans la région. C’est à ce titre qu’un nouveau pont d’une longueur de 620 m devant relier Yagoua (Cameroun) et Bongor (Tchad), est en cours de construction, au confluant sud du fleuve Logone, pour un coût global de 160 millions de dollars. L’infrastructure est financée par des fonds propres du Cameroun (58 %) et du Tchad (42 %). Cet ouvrage permettra de désengorger le pont Kousséri-N’Djamena, très fréquenté et de densifier les points d’échanges sur la frontière commune, longue de 1 094 km.
Un pont bénéfique aux deux États
En parcourant le pont de N’Guéli, les piétons et autres commerçants de moindres calibres sont soumis à la fouille systématique de leurs bagages. Sur la passerelle, les usagers font face à trois corps de sécurité (police, douane et gendarmerie) qui assurent le contrôle d’un bout à l’autre, et à chaque étape, la présentation d’une pièce d’identité en cours de validité est obligatoire, tout comme la fouille des véhicules au peigne fin. La sécurité des hommes et des biens constitue en effet un enjeu majeur.
« Les commerçants qui vivent à Kousséri partent liquider leurs marchandises à N’Djamena et les Tchadiens viennent acheter des fruits, des cartons de savon, etc., vendus moins chers à Kousséri, pour les revendre chez eux », explique Fadoul Sidick, marchand tchadien. « Les fruits camerounais transitant via Kousséri permettent à beaucoup de jeunes filles et de femmes plus âgées d’avoir leur petit commerce sur le pont de N’Guéli et dans les rues de la capitale tchadienne, représentant un soutien financier non négligeable pour des familles entières », témoigne Aïssatou Fanta, jeune commerçante camerounaise de bananes, affirmant réaliser des bénéfices de plus de 800 dollars par semaine.
Le Cameroun est au cœur des activités de transit comme point d’arrivée de marchandises en direction du Tchad et de la République centrafricaine. Forte de sa position stratégique, la ville de Kousséri prévoit de renforcer ses infrastructures logistiques pour un coût global d’environ 3 millions dollars. Une construction, prévue pour 2022, sera bâtie sur une superficie de 4,5 hectares et comprendra un bloc administratif, un parking d’une capacité d’accueil de plus de 200 camions, un centre d’hébergement de 60 chambres et un restaurant. Cette base permettra de stocker en toute sécurité les marchandises et d’améliorer leurs conditions de transport.
Menace terroriste permanente
Un élément perturbateur affecte cette zone : l’invasion de Boko Haram, mouvement terroriste d’idéologie salafiste djihadiste. Au Cameroun, la lutte contre Boko Haram n’a fait qu’empirer la situation économique, déjà précaire, et a bousculé les rôles socio-économiques des quatre millions d’habitants de cette région.
Le Cameroun souhaite sauver le secteur du tourisme, menacé par les enlèvements répétés des expatriés dans la région de l’Extrême-Nord, affectant sa réputation. Un obstacle de taille pour ce pays qui veut faire du secteur touristique un levier important de sa croissance économique. Cependant, c’est surtout dans l’optique de rassurer ses partenaires étrangers, de plus en plus inquiets par le nombre croissant d’enlèvements de leurs ressortissants, que le pouvoir central de Yaoundé a fait le choix de renforcer le dispositif militaire.
Concernant le Nigeria, 5e destination des investissements directs étrangers sur le continent et berceau de Boko Haram, un retrait progressif des investisseurs a été observé depuis la dégradation de sa sécurité. La décision du Président Muhammadu Buhari de maintenir le Naira (monnaie locale) à un niveau artificiellement élevé n’y est pas pour rien non plus. L’enjeu est désormais d’envoyer des signaux rassurants aux investisseurs. En plus des réformes monétaires, ce géant économique devrait donner davantage de gages de stabilité pour encourager les investissements. La lutte contre le terrorisme devient donc une nécessité pour relancer une croissance en berne, suite aux exactions de la secte islamiste qui ont fait plusieurs milliers de morts et près de 2 millions de déplacés.
Côté tchadien, la crise sécuritaire dans le nord-est du Nigeria a perturbé les échanges commerciaux très dynamiques entre le Tchad et les pays voisins. L’exportation du bétail tchadien vers le Nigeria a quasiment été interrompue. L’importation des biens de consommation produits au Nigeria, très prisés par les consommateurs tchadiens, a changé d’itinéraire, causant une augmentation des prix sur les marchés du Tchad pour compenser les coûts élevés de transport.
En s’impliquant dans la lutte contre Boko Haram, N’Djamena redoutait que la ville de Maroua (région de l’Extrême-Nord), devenue la cible régulière des attaques djihadistes depuis 2014, ne tombe dans l’orbite islamiste, ce qui aurait signifié la fermeture de la route transnationale N’Djamena-Kousséri, Kousséri-Maroua, qui représente pourtant le canal de ralliement du Tchad au littoral camerounais (port de Douala), principal débouché maritime du Tchad. C’est donc en vue de sécuriser les lignes d’approvisionnement vitales à son économie que le Tchad a décidé de s’investir dans la lutte contre Boko Haram, qui semble déjà s’essouffler.
Reportage du Cameroun et du Tchad
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