Tout cela montre l’échec croissant de l’ordre international, et un nouvel ordre international n’a aucune chance d’accomplir la gageure d’ensemble de remettre de manière opportune les choses à leur place. Dans les trajectoires complexes de l’évolution de la situation internationale, deux grandes lignes saillantes et essentielles se dessinent, avec des déclins et des résurgences, des reculs et des avancées. Le déclin et les reculs, avec les Etats-Unis, voire même le bloc occidental, dont la tendance à péricliter est de plus en plus évidente en raison du reflux de l’ordre occidental basé sur le libéralisme, et de l’impact énorme sur les relations internationales du retrait du gouvernement de M. Trump des affaires internationales. La résurgence et les avancées, ensuite, avec la Chine qui est de plus en plus active pour exercer une influence encore plus grande dans les affaires internationales, qui a une place et un rôle de grande puissance mondiale de plus en plus développés, ainsi que la coopération et le partenariat avec la Russie et les pays émergents et en développement qui ne cessent de s’accroître.

Ces deux éléments font essentiellement ressortir de manière saillante qu’il s’agit d’une « occasion manquée stratégique » entre les grands pays émergents et les superpuissances établies. Elle montre qu’avec la transformation du rapport de forces, le renversement du « centralisme occidental » en vigueur depuis le XIXe siècle et la restructuration ont officiellement débuté, entraînant à la fois le rajustement du centre de gravité de la politique extérieure de nombreuses forces intermédiaires, et accélérant le processus qui a fait de la région Asie-Pacifique le centre du développement économique mondial, mais aussi de l’échiquier mondial.

Les grands pays émergents et les puissances établies ont traité leurs relations mutuelles de manière très prudente, maintenu la coopération, contrôlé les différends, et évité que des conflits et des confrontations directes ne se produisent. Le président chinois Xi Jinping a rencontré le président Donald Trump à Mar-a-Lago en Floride en juin dernier, M. Trump a effectué une visite d’Etat en Chine en novembre dernier, rappelant fondamentalement quelque chose de simple : « Les relations sino-américaines concernent le bien-être des populations des deux pays, ainsi que la paix, la stabilité et la prospérité mondiales ; la coopération est l’unique choix approprié pour les deux pays, seul le gagnant-gagnant pourra faire advenir un avenir radieux. »

Par ailleurs, les contradictions structurelles entre la Chine et les Etats-Unis, aussi bien économiques, politiques et sociales que stratégiques, n’ont pas été fondamentalement atténuées. Même si lors de la visite en Chine de M. Trump, les deux parties ont signé des accords de coopération commerciale et des contrats commerciaux pour un montant de 253,5 milliards de dollars, cela ne suffira pas à résoudre d’un seul coup le déséquilibre commercial entre la Chine et les Etats-Unis, les frictions sur les marchés, la concurrence institutionnelle et la rivalité stratégique resteront toujours l’autre face des relations entre les grands pays émergents et les puissances établies.

Serguei Karaganov, fondateur du Club de Discussion Valdaï et doyen de la faculté d’économie et de politique internationale à la Haute école d’économie de Russie, a prévu que dans les 15 prochaines années, le monde sera divisé en deux axes de puissance. D’un côté les Etats-Unis qui seront le « centre mondial de l’Occident ». De l’autre, le « centre eurasiatique », qui s’appuiera sur l’Initiative des Nouvelles routes de la Soie proposée par la Chine rattachée au « partenariat eurasiatique » de la Russie. Après que Stephen Bannon, un ami proche de M. Trump qui a été conseiller stratégique de la Maison Blanche, a quitté son poste influent, il a donné un peu partout des conférences au cours desquelles il a prévenu les élites américaines qu’il ne fallait pas sous-estimer le potentiel de l’émergence de la Chine, que le XXIe siècle sera celui de la région Pacifique, que la Chine était vraiment un « expansionniste géopolitique » et que les reculades à l’égard de la Chine avait placé les Etats-Unis dans une situation extrêmement peu favorable.

M. Karaganov suggère que le développement économique de la région Asie-Pacifique s’appuie sur la Chine et que la Russie garantisse la sécurité, et que les deux pays contiennent ensemble les frivolités stratégiques des Etats-Unis. Ce qu’il raconte est un scénario probable, mais il lui faut reconnaître que même s’il y a une résurgence du protectionnisme, il est impossible de faire marche arrière dans la globalisation. Maintenant, et à l’avenir, tous les pays se trouvent dans un même système économique, à la différence criante de la situation qui prévalait lors de la période de la guerre froide, quand les Etats-Unis et l’URSS étaient à la tête de systèmes qui s’opposaient. Dans un tel contexte, ou bien la Chine, les Etats-Unis et la Russie, les trois principales puissances, peuvent jouer ensemble un rôle exemplaire pour conduire l’humanité dans la nouvelle ère de la coopération et du gagnant-gagnant, ou bien elles réalisent ensemble l’effondrement du système mondial par les conflits et l’hostilité mutuels.