Pour éviter l’effondrement des écosystèmes, une meilleure protection des éléphants est essentielle, autant au Kenya qu’en Chine.

Le troupeau d’éléphants d’Asie en migration à Yuxi, au Yunnan, le 14 août.

Ces derniers mois, les éléphants d’Asie ont attiré l’attention de la communauté internationale suite à leur migration vers le nord, dans la province du Yunnan. La création d’un parc national pour les éléphants d’Asie en Chine a été accélérée. La promotion et la fondation de parcs nationaux d’éléphants dans le monde entier, en particulier dans les pays africains disposant d’une riche biodiversité, d’un environnement naturel préservé et de connaissances traditionnelles, ont permis d’accumuler une grande expérience en matière de protection des éléphants.

Importance des connaissances ancestrales

Des éléphants dans la réserve nationale de faune sauvage de Masai Mara, au Kenya, le 30 août.

Le Kenya est un pays d’Afrique qui compte encore un grand nombre d’éléphants (environ 35 000 à l’heure actuelle). Ils occupent près d’un cinquième de la superficie du Kenya, dont près de la moitié se trouve dans des parcs nationaux et des réserves. Ces dernières années, le conflit homme-éléphant est devenu une menace majeure pour leur protection, entraînant de nouveaux défis au Kenya. Dans ce contexte, certains parcs nationaux et réserves ont commencé à s’intéresser aux connaissances traditionnelles des populations locales sur leur environnement et à les intégrer dans leurs politiques et actions.

Si l’on prend l’exemple de la région nord, Samburu et Buffalo Spring, deux réserves naturelles nationales dédiées à la protection des éléphants, ont été fondées, hébergeant environ 750 éléphants sur une superficie d’environ 330 km². Leurs effectifs changent constamment car ils migrent librement en dehors des réserves.

Les Samburu constituent un peuple vivant principalement de l’élevage. Les pâturages de leur bétail chevauchent l’habitat des éléphants, ce qui a souvent provoqué des conflits. En parallèle, ce peuple possède un riche savoir traditionnel lié aux éléphants dans un environnement symbiotique de longue date avec les pachydermes. Aujourd’hui, ces connaissances ancestrales permettent de résoudre le conflit homme-éléphant et vise à la protection des éléphants dans cette région. Elles ont été intégrées dans les stratégies et mesures de protection des éléphants de la réserve locale, faisant de la protection des éléphants une action conjointe de la réserve et des communautés environnantes.

Ces connaissances traditionnelles (mythes et légendes, croyances totémiques, techniques de subsistance, etc.) sont actuellement étudiées en détail. La relation étroite entre les populations locales et les éléphants et leur profond respect pour ces animaux sont mis en évidence. Par exemple, dans la croyance totémique, les éléphants sont vénérés et considérés comme des anges gardiens. Ceux-ci facilitent en effet l’accès des hommes aux ressources en eau grâce aux grottes qu’ils creusent et aux routes menant aux sources d’eau qu’ils dégagent lors de leurs passages.

Traditionnellement, les femmes sont étroitement liées aux éléphants car ce sont elles qui les utilisaient au travail. La réserve locale se sert de toutes ces informations pour mettre en place son action de suivi des migrations.

En outre, l’analyse de la structure des tribus met en évidence leur division en fonction des différents animaux sauvages, l’éléphant étant ainsi le totem de certaines tribus. Celles-ci le respectent et le vénèrent dans leur vie quotidienne : tuer ou manger l’éléphant y est interdit voire tabou.

Par ailleurs, la réserve est consciente de la nécessité d’assister les Samburu dans l’éducation de la jeune génération. Une stratégie d’intégration des connaissances traditionnelles est donc adoptée dans le système éducatif moderne. Leurs us et coutumes sont incorporés dans l’éducation sur la faune, surtout dans les écoles et les villages locaux, où les enseignants sont spécialement formés à cette fin. La réserve a également compilé des documents sur toutes les connaissances traditionnelles des Samburu concernant les éléphants et les a distribués dans les écoles et les communautés locales.

Redoubler d’efforts

En Chine, les éléphants sauvages s’installent principalement dans le sud du Yunnan, là où vivent de nombreuses minorités ethniques. Celles-ci ont toujours cohabité harmonieusement avec les éléphants et ont développé des connaissances ancestrales sur les espèces locales. Par conséquent, la Chine attachera une grande importance à la culture de ces groupes ethniques, s’inspirera de l’expérience du Kenya et intégrera tous ces éléments dans la planification du parc national.

Le pays cherche actuellement à collecter les connaissances traditionnelles de l’ensemble des groupes ethniques du Yunnan et à explorer la sagesse ancestrale liée la protection des éléphants. Selon Biographies de Dawan, les archives historiques de la dynastie des Han de l’Ouest (206 av. J.-C. - 24 ap. J.-C.), il existait au Yunnan un « pays des éléphants » établi par les ancêtres des minorités ethniques de l’époque, où les populations locales avaient même pour habitude de les monter. La rivière Lancang traversant la province était appelée Nan Lan Zhang (« rivière aux millions d’éléphants ») par le peuple dai. Dans la mythologie de cette ethnie, les éléphants tiennent le ciel avec leur trompe et la terre avec leurs quatre pieds. À Xishuangbanna (sud du Yunnan), les éléphants portent bonheur et cette croyance est commune à tous les groupes ethniques. L’élément éléphant est largement présent dans leur vie quotidienne, comme le prouve le tambour à pattes d’éléphant, instrument de musique traditionnel, et les motifs de brocart traditionnels « cent éléphants adorant Bouddha » et « éléphants dorés portant des fleurs ».

La promotion du développement vert doit se faire en respectant les connaissances acquises sur les éléphants et en se basant sur les traditions ancestrales des autochtones, le but étant de reproduire cette coexistence harmonieuse entre l’homme et l’éléphant suivant le concept de ces civilisations anciennes respectueuses de leur environnement.

À l’avenir, cet objectif devrait être suivi de près par le parc national des éléphants d’Asie, prêt à intégrer les connaissances environnementales traditionnelles dans le schéma de conception et la stratégie de construction de l’ensemble du site. Les populations locales de tous les groupes ethniques seront activement impliquées dans la recherche et la protection des éléphants.

La Chine prévoit en outre de promouvoir l’éducation des connaissances traditionnelles afin de faire de la protection des éléphants une action nationale. Parallèlement, dans le cadre de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique, la création du parc national des éléphants d’Asie contribuera à la conservation de la biodiversité au niveau mondial.

La Chine prévoit également de coopérer avec les pays africains où elle apportera un soutien financier et technique à la protection des éléphants. Ce projet sera érigé en symbole de la Route de la soie écologique.

Le 9 août, trois jours avant la Journée mondiale de l’éléphant, les éléphants du Yunnan qui avaient migré vers le nord sont finalement retournés dans leur habitat traditionnel au sud de la province, mettant fin à une transhumance de 17 mois. Cet événement est l’occasion d’envisager activement sur le long terme la coexistence harmonieuse homme-éléphant, en particulier avec les projets de parcs nationaux dans des régions où vivent diverses ethnies.

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* Yin Lun est professeur à l’Université de sylviculture du Sud-Ouest de la Chine.

Misiani Zachary travaille pour le ministère de l’Environnement et des Forêts du Kenya.