Le 10 novembre 2020, une centaine de fabricants de latiao de Pingjiang ont participé à une diffusion live pour promouvoir leurs produits à Changsha, au Hunan. (CNSPHOTO)

Parmi les quinze « snacks chinois » les plus vendus sur eBay, quatre sont des latiao dans des emballages différents. Confectionnés à partir d’épices et de farine à forte teneur en gluten, les latiao ont l’aspect croustillant des chips, version chinoise. Ils sont désormais disponibles dans plus de 160 pays et régions. En 2020, la valeur totale de leur production a atteint 60 milliards de yuans (9,2 milliards de dollars), avec 200 000 emplois directs créés sur l’ensemble du territoire. Au milieu de l’empire des latiao, se trouve leur lieu d’origine – Pingjiang, district situé au Hunan (centre). Mais le succès n’a pas toujours été au rendez-vous.

Un pur hasard

En 1998, les prix du soja à Pingjiang se sont envolés, suite à une mauvaise récolte due à une crue historique du fleuve Yangtsé. De nombreux ateliers fabriquant de la sauce de soja séchée ont mis la clé sous la porte. Pour conjurer le mauvais sort, trois fabricants ont tenté un coup de poker en remplaçant la farine de soja par celle de blé. Une fois la pâte prête à l’emploi, ils y ont ajouté des épices. Voilà comment sont nés les premiers latiao. Contre toute attente, cette création connaît un brillant succès sur le marché. L’activité, si convoitée par les ateliers traditionnels, a fini par convertir 90 % d’entre eux.

Depuis, cet aliment bon marché, l’air de rien, a totalement changé le cours du développement local. Aujourd’hui, le district compte 126 fabricants de latiao, avec une valeur de production d’environ 20 milliards de yuans (3,1 milliards de dollars), et 70 000 emplois directs créés. Sans oublier, bien sûr, les 100 000 emplois indirects et induits dans une région peuplée d’à peine 1 million d’habitants. En effet, les latiao nécessitent une longue chaîne de production, de la culture agricole à la logistique et l’e-commerce, en passant par l’agroalimentaire, l’emballage et la fabrication industrielle.

Par ailleurs, les emplois issus de ce secteur sont de loin les mieux rémunérés au niveau local, le salaire annuel moyen atteignant 36 000 yuans (5 537 dollars) en 2019. « Il suffit qu’une personne soit impliquée dans le secteur pour pouvoir faire vivre toute sa famille », constate Ye Jianzhi, directeur du Bureau chargé de l’éradication de la pauvreté à Pingjiang. Dans cet élan, 5 000 foyers ont pu sortir de la pauvreté.

Contraints par l’évolution du coût de la main-d’œuvre, les fabricants locaux voient de plus en plus loin pour élargir leur champ d’action dans tout le pays. Comme en attestent les chiffres, la Chine dénombre jusqu’à 10 000 entreprises de latiao réparties sur l’ensemble de son territoire, dont 90 % sont détenues par les habitants de Pingjiang. Le district a ainsi officiellement obtenu l’appellation d’origine décernée par l’Association du secteur agroalimentaire de Chine.

Le 10 décembre 2020, les étudiants spécialisés en production de latiao du lycée professionnel de Pingjiang ont passé un examen technique à Changsha, au Hunan. (CNSPHOTO)

Remise en question

Les latiao n’ont pourtant pas toujours le vent en poupe. Leur popularité s’accompagne d’une mise en cause systématique de leur légitimité. Même à leurs débuts. En effet, les irrégularités dans la gestion de la production ont longtemps alimenté les doutes sur la sécurité alimentaire. Les latiao étaient alors considérés comme « peu diététiques et insalubres ». Des déboires qui ont amené certains dirigeants d’entreprises, dont Zhang Yudong, fondateur de la fameuse marque Malawangzi, à appeler à la normalisation.

Face à la « tempête », les acteurs du secteur sont passés à l’action. Une centaine d’entreprises à Pingjiang ont mis à l’arrêt leurs activités pour rationaliser leur production. Un numéro vert disponible 24h/24 a été mis en place à l’association alimentaire locale pour collecter les dénonciations de comportements inappropriés de fabricants. La campagne de régularisation a fait table rase du paysage industriel, débouchant sur la réduction de moitié du nombre d’entreprises au niveau national en 2013. En retour, la valeur de la production de l’ensemble du secteur a explosé, passant de centaines de millions de yuans à 40 milliards de yuans (6,2 milliards de dollars).

À cette époque-là, la majorité des fabricants étaient déjà certifiés QS 9000, réalisant une production standardisée. Mais pour redorer leur image, ils ont dû encore faire des efforts concernant leurs processus de fabrication. À cet effet, M. Zhang a créé un centre R&D sur les latiao diététiques à Changsha, chef-lieu du Hunan, en 2013. Il n’a pas hésité non plus à investir 30 millions de yuans (4,6 millions de dollars) pour construire un atelier de haut niveau aux conditions sanitaires irréprochables. Il mise désormais sur la qualité premium des matières premières, en privilégiant la farine d’origine naturelle et l’huile de friture sans OGM. Il tient aussi à se passer des colorants de synthèse, des arômes artificiels, des conservateurs synthétiques et autres substances chimiques. Pour le chef d’entreprise, « améliorer la qualité de manière constante est une voie fondamentale pour obtenir l’avis favorable du public ».

Son exemple est suivi par nombre de ses homologues. Ainsi, des ateliers aseptiques entièrement automatisés, des chaînes de production intelligentes, etc. font progressivement leur apparition dans l’ensemble du secteur. Depuis 2019, 12 fabricants à Pingjiang ont investi 13 millions de yuans (1,99 million de dollars) dans leurs projets d’assainissement et 52 entreprises ont consacré 30 millions de yuans (4,6 millions de dollars) à la modernisation des équipements.

Au-delà de la normalisation

La normalisation du secteur plaît aux consommateurs, mais elle ne suffit pas, à elle seule, pour assurer sa viabilité. Les pouvoirs publics de Pingjiang restent à l’affût de toutes les tendances pour tenter de faire des latiao un tremplin vers la revitalisation rurale.

L’année dernière, au moment de l’explosion du live streaming, Yang Yu, chef adjoint du district de Pingjiang, a fini par s’y mettre aussi. Il propose des diffusions live régulières sur les latiao, suivies par des milliers d’abonnés. Il en profite pour montrer leurs conditions de production modernes et salubres et répondre aux inquiétudes vis-à-vis de la qualité.

En parallèle, le lycée professionnel de Pingjiang a inauguré sa première formation consacrée aux latiao le 15 septembre 2020. Il s’agit aussi de la première du genre au niveau national. Les 59 étudiants issus de la première promotion suivent désormais des cours ayant comme thèmes mécanisme d’extrusion, qualité et sécurité alimentaire, marketing, etc. Au bout de trois mois, l’acquisition du savoir-faire et la maîtrise des appareils de production industrielle, entre autres, sont sévèrement évaluées : la note finale à l’examen doit être supérieure ou égale à 90/100 pour valider la formation.

Profitant d’un regain d’attention des consommateurs, le premier musée lié aux latiao a ouvert ses portes à Changsha le 1er novembre 2020. En dix jours, le site a enregistré 100 000 entrées, devenant une nouvelle destination touristique populaire. La visite permet au public de passer en revue l’histoire des latiao à Pingjiang, et de découvrir par eux-mêmes les matières premières utilisées, le processus de production et les machines de la chaîne industrielle.

Ces efforts conjoints poussent M. Zhang à viser toujours plus haut. Il ambitionne même d’enregistrer les « latiao de Pingjiang » comme une indication géographique protégée, pour renforcer leur réputation en Chine comme à l’international.

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