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Accueil >> Deuxième Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale

Jean-Pierre Raffarin : avec « la Ceinture et la Route », on peut inventer le multilatéralisme du XXIe siècle

Liu Ting et Jacques Fourrier  ·  2019-04-28  ·   Source: Beijing Information
Mots-clés: Jean-Pierre Raffarin; la Ceinture et la Route; multilatéralisme

Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre français, était présent au 2ème Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale, qui a eu lieu du 25 au 27 avril. Il a accordé le 27 avril dans l’après-midi une interview exclusive à Beijing Information.

Jean-Pierre Raffarin (Photo : Sun Xuan/Beijing Information)

Beijing Information :Vous avez participé à la première édition du Forum de « la Ceinture et la Route ». Qu’attendez-vous de l’édition de cette année ?

Jean-Pierre Raffarin : Cette année doit tenir compte de l'expérience et de la réaction qu'on eues les différents pays à ce grand projet. Dans son discours, le président Xi Jinping a bien entendu ce que les uns et les autres ont proposé.

Premier axe : c'est un projet qui regarde à l'ouest et qui regarde à l'Est, une sorte de colonne vertébrale de l'Eurasie.

Deuxième axe : c’est un projet qui protège la planète, qui est compatible avec nos objectifs de développement durable, que ce soit les objectifs de l'ONU ou que ce soit les objectifs des Accords de Paris.

Troisième axe : c’est un projet pour les populations. Il faut pouvoir faire comprendre par une pédagogie appropriée que chacun peut trouver sa place dans ce grand projet.

« La Ceinture et la Route » a déjà obtenu le soutien et la participation de plus de 150 pays et organisations internationales. Quel bilan en dressez-vous ?

Le bilan est très positif car c’est un grand projet mondial de coopération internationale. Nous sommes dans un monde très dangereux : il y a des menaces majeures sur la planète. Un certain nombre de leaders du monde entier pensent qu’il faut faire de la coopération pour éviter la guerre. C’est un des points les plus importants de « la Ceinture et la Route » : c’est un projet pour la paix. Les pays peuvent y défendre leurs intérêts, leurs entreprises, pour que chacun puisse trouver sa place dans le projet. C’est pourquoi le voyage de M. Xi Jinping à Paris au mois de mars dernier a été très important. Dans la discussion entre Mme Merkel, M. Macron, M. Juncker et le président Xi Jinping, on a bien vu se dessiner une ligne directrice très fertile : peut-être qu’avec « la Ceinture et la Route » on peut inventer le multilatéralisme du XXIe siècle dont on a besoin.

Qui peut maintenant ignorer la Chine ? L’Afrique ? Tous ces pays émergents qui ont repris une place importante dans les nations du monde ? Ces nations-là ont besoin d’être directement associées au multilatéralisme de demain.

Et je pense qu’il faut faire en sorte que « la Ceinture et la Route » soit une expérience de ce que peut être un multilatéralisme partagé entre les nations pour le développement et la paix. Inventons une forme de coopération où chacun se sente respecté dans une perspective de développement. Cette ligne est à opposer à tout unilatéralisme ou à tout protectionnisme.

Lors de la visite du président chinois Xi Jinping en France il y a peu, la Chine et la France ont convenu de travailler conjointement à l’édification de « la Ceinture et la Route » dans la coopération en marchés tiers. Quels sont à l'heure actuelle les résultats obtenus par les deux pays dans ce domaine ?

Nous avons beaucoup de projets binationaux en pays tiers. Par exemple, les opérateurs français et les opérateurs chinois de télécoms travaillent ensemble en Afrique. En matière d’énergie nucléaire, nous sommes en train de construire des centrales nucléaires au Royaume-Uni. Et nous avons par exemple dans le métro automatique une grande entreprise française qui travaille avec des Chinois pour le métro de Shanghai comme le métro de Paris. Et ce qui est vrai à Shanghai, à Paris peut être vrai aussi le long de « la Ceinture et la Route ».

Je crois qu’il est très important de développer ce type de coopération dans de très nombreux domaines. Ce qu’il faut aujourd’hui c’est concevoir des produits et des projets ensemble. Il y a peu de temps, j’étais ainsi avec des designers français chez Alibaba pour concevoir des produits nouveaux. Nous devons penser ensemble l’avenir. Je souhaite que nous puissions vendre au marché chinois un maximum de produits français comme naturellement un dirigeant chinois souhaite que les Français achètent un maximum de produits chinois. Mais je pense et je parle aux plus jeunes : ce qui est important, c’est de penser ensemble les produits de demain.

Je crois qu’il y a des possibilités nouvelles de coopération bilatérales en pays tiers et finalement, c’est le commerce de demain qu’il faut aujourd’hui inventer : pensons ensemble l’avenir.

Actuellement, plus de 20 pays européens dont l'Italie, le Luxembourg, la Grèce et le Portugal ont rejoint « la Ceinture et la Route ». Depuis son lancement il y a 6 ans, comment la perception de cette initiative a-t-elle évoluée en Europe ?

La situation a beaucoup évolué. D’abord, beaucoup de responsables en Europe ont ignoré le projet au début. Progressivement, il a suscité des craintes. Il est très important de chasser ces craintes et ne pas avoir peur de « la Ceinture et la Route ». Le président de la République française a dit à Xi’an en janvier 2018 qu’il était convaincu qu’il s’agissait là d’un projet auquel il fallait participer. La stratégie de la France est d’être autour de la table, de discuter avec les différents partenaires, de défendre naturellement nos intérêts, nos projets, nos entreprises, nos normes, par un dialogue ouvert. Il faut être proactif dans un projet de cette nature. Il appartient à ceux qui le feront, à ceux qui le réaliseront, et rester à côté, être spectateur, c’est se mettre à côté de l’histoire. Nous voulons coopérer et proposer un certain nombre de solution mais aussi écouter les solutions de nos partenaires.

Cette année marque le 55e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France. Dans quels domaines la France et la Chine peuvent-elles renforcer la coopération pour faire face aux crises régionales et aux défis mondiaux ?

Je pense que notre coopération culturelle est très importante. Je souhaite qu’on ne se borne pas simplement à une coopération commerciale et financière, mais aussi qu’on parle de culture, car c’est ce qui rapproche avant tout la France et la Chine. Faisons en sorte que l’on n’oublie jamais que la culture est le noyau dur de notre coopération.

L’invention du nouveau multilatéralisme doit cependant aujourd’hui nous occuper. Comment réformer l’ONU ? Comment redynamiser l’UNESCO ? Comment changer l’Organisation du commerce mondial ? Le monde a changé et il faut que le multilatéralisme tienne compte de ces changements pour être crédible, et de ce point de vue-là, je pense que l’expérience de la France et les ambitions de la Chine qui veut jouer un rôle légitime au niveau international imposent une réforme du multilatéralisme. Nous pouvons ensemble inventer ce nouveau multilatéralisme et donner au monde des règles du dialogue, du respect, et donc de la paix. Je crois vraiment qu’aujourd’hui, le premier objectif d’un président, c’est de faire vivre son pays en paix car sans paix, pas de développement. Il faut donc du dialogue, de la compréhension et de la coopération. C’est ce qui unit aujourd’hui la France et la Chine. En résumé, je dirais : « Continuons toujours la coopération culturelle parce que c’est l’essence même de notre amitié mais ouvrons un nouveau chantier qui est l’invention du multilatéralisme qui doit mobiliser les intelligences chinoises et françaises dans une perspective de dialogue pour la paix »

En fin connaisseur de la Chine, quels sont, selon vous, les facteurs qui lui ont permis de se hisser en moins de 40 ans parmi les grandes puissances du monde ?

Je ne suis pas un grand connaisseur de la Chine. J’aime les Chinois. C’est ce qui me fait venir souvent en Chine, mais vous savez que son histoire est tellement profonde, sa géographie tellement grande que quand on connait la Chine, on ne connait qu’un petit bout de la Chine. Il faut faire attention à ce que cela ne cache pas la vision globale. Ce qui a été très important, c’est la réforme et l’ouverture. Aujourd’hui, tous les peuples, tous les pays en ont besoin. Qu’est-ce que la réforme ? C’est adapter son pays à la réalité moderne. C’est aujourd’hui une stratégie permanente de tout gouvernement, mais il faut choisir l’ouverture. Il y a des différences aujourd’hui dans le monde, parce qu’il y a ceux qui prônent la fermeture, le protectionnisme, l’isolationnisme, un peu l’égoïsme, et puis il y a ceux qui proposent des projets pour partager le développement et choisissent une logique d’ouverture. Je suis très favorable à la logique d’ouverture. Être suffisamment fier de son pays pour avoir de l’énergie et suffisamment ouvert pour avoir envie de la partager, c’est la clé de la réussite chinoise : forte dans son identité, mais envie de frotter son identité à celle des autres. Dans les années qui viennent, le danger viendra de ceux qui veulent fermer le monde, le rendre unilatéral, n’en faire qu’un monde de rapport de forces, et non pas un monde d’échanges et de coopération.

 

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