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En immersion totale |
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Li Xiaoyu · 2021-02-24 · Source: Chinafrique | |
Mots-clés: jeu de rôle; Chine |
Le jeu de rôle grandeur nature a pris d’assaut le marché chinois, faisant autant plancher le public jeunesse que les scénaristes et les entrepreneurs.
Le jeu de rôle grandeur nature permet au public de s’immerger totalement dans un univers imaginaire. (CNSPHOTO)
Un meurtre atroce a été commis. L’assassin est parmi vous ! À qui faire confiance ? Tout le monde a des secrets à protéger… Au bout de sept heures d’affilée, Li Xiang, 21 ans, est toujours dans la peau de son personnage de détective privé pour découvrir la solution de l’énigme. Malgré la fatigue, rien n’est plus passionnant qu’une session de jeu meurtre et mystère pour cet amateur d’Agatha Christie. « J’ai l’impression de m’embarquer dans une aventure inhabituelle. Cela me permet de m’évader de ma vie universitaire chargée. La sensation est très proche de celle ressentie lorsqu’on va voir un film d’horreur, mais l’expérience est plus vivante. »
Le jeu de rôle grandeur nature (GN), adapté de la fameuse soirée Meurtre & Mystère populaire en Occident, peut être considéré comme littérature interactive ou théâtre en raison de la participation du public. Depuis son introduction en Chine en 2012, ce jeu immersif a le vent en poupe dans le pays, surtout parmi les jeunes générations.
Sa popularité est encore montée d’un cran avec le lancement d’une émission de téléréalité Who’s the murderer (Qui est le meurtrier, en français) en 2016. Son premier épisode a été suivi par quelque 300 000 téléspectateurs. Le GN a fini par être connu du grand public. Dans le même élan, des applications de résolution d’énigme comme Woshimi ont été conçues et n’ont pas cessé de gagner du terrain. Au plus fort de l’épidémie de COVID-19, celle-ci s’est même hissée au rang des applications les plus populaires dans l’App Store. Avec l’assouplissement des restrictions sanitaires, les studios GN ont connu un boom dans leurs activités. En septembre 2020, on en dénombrait 20 000 à travers le pays, avec plus de 50 millions de joueurs au total.
Une expérience immersive
Selon les sondages, la moyenne d’âge des participants au GN tourne en général autour de la vingtaine. En plus d’avoir le plaisir d’incarner le personnage de Sherlock Holmes, les joueurs ont aussi la chance de découvrir son histoire en quelques heures seulement, ce qui contribue à échapper à la monotonie de la vie quotidienne, comme dans le cas de Li Xiang.
Selon les dires des adeptes toujours plus nombreux, le jeu de rôle est autant un divertissement qu’un moyen de socialisation. En effet, grâce aux échanges intensifs pendant les quatre à sept heures que peut durer une session, les joueurs, généralement au nombre de cinq à huit, finissent par bien se connaître. La sortie après le jeu maintient encore l’élan. Un moyen idéal et accéléré de se faire de nouveaux amis, voire de souder le collectif, comme en témoigne Yuan Zheng, responsable RH au sein d’une entreprise.
Il constate qu’il n’y aurait pas de moyen plus efficace que d’organiser un GN pour l’intégration de nouveaux employés dans le milieu professionnel. « Pendant la phase d’accusation, chacun doit prendre la parole et faire valoir son raisonnement tout en écoutant les analyses des autres. Ainsi, les caractères et les façons de s’exprimer se dévoilent au fil du jeu. Une seule session suffit à trouver un terrain d’entente pour toute l’équipe. »
Fan Zhou, doyen de l’Institut de recherche sur le développement culturel de l’Université de communication de Chine, résume la recette de cette réussite. D’après lui, comparé aux jeux de société traditionnels comme Loup-Garou ou Carcassonne, le GN se distingue par son expérience immersive, appuyée par le scénario, le décor, les accessoires, ainsi que les costumes et le maquillage. « Cela répond au désir de s’enrichir de nouvelles expériences et au besoin de socialisation des jeunes. »
Engagement des scénaristes
Les scénarios n’ont pas vocation d’être joués à deux reprises par les participants. Ainsi, pour maintenir leur fidélité et curiosité, une mise à jour constante est nécessaire. L’expansion du secteur incite donc à une implication active des scénaristes.
Zhou Haohui, auteur de romans policiers, s’est récemment tourné vers la rédaction de scénarios de jeu de rôle. Pour lui, celle-ci se distingue de la production littéraire traditionnelle, où chaque personnage occupe une place différente en fonction du rôle qu’il joue dans l’histoire. Or, lorsqu’il est question de jeu de rôle, le scénariste se doit d’équilibrer le poids de chacun pour que tous les joueurs puissent avoir leur part du gâteau. Face à cette obligation contraignante, M. Zhou se sent à l’aise. Il y voit plutôt comme un défi qu’il relève avec détermination.
Par ailleurs, l’accès permanent aux commentaires des joueurs lui permet d’adapter régulièrement sa production, contrairement à la rigidité dans les récits cinématographiques ou littéraires qu’il est peu probable de pouvoir modifier une fois achevés.
Certains scénaristes vont même plus loin, à l’instar de Li Wenhua. Pour cet ancien restaurateur de reliques, la popularité du GN lui donne l’occasion de redonner vie aux œuvres d’art historiques. « Notre travail ne se limite pas à restaurer des reliques. Je souhaitais trouver un moyen de faire connaître les histoires et les mystères qui se cachent derrière elles », raconte-t-il, convaincu que le jeu de rôle est la réponse à ses aspirations.
À cet effet, il a créé sa propre équipe, impliquée dans toutes les étapes de production, de la rédaction des scénarios à la gestion des studios GN. À travers son histoire Restaurateurs, qui a la Cité interdite pour fond de décor, les joueurs ont la chance de vivre le métier de restaurateur et d’accumuler des connaissances sur les reliques. Cet accomplissement lui permet ainsi d’atteindre son objectif de « faire parler les œuvres d’art ».
Un secteur lucratif
Selon les données de l’Institut de recherche de Meituan, la valeur du secteur GN a dépassé les 10 milliards de yuans (1,55 milliard de dollars) en 2019, soit deux fois plus qu’en 2018. Certains passionnés n’hésitent pas à dépenser 3 000 yuans (465 dollars) par mois. Tentés par ce filon, les entrepreneurs se précipitent sur le marché. Chen Zizheng, directeur général du studio GN Dieying à Guangzhou, dans la province du Guangdong (sud), est l’un d’entre eux. « Lorsque nous avons démarré nos activités en 2017, il y avait moins de cinq studios GN à Guangzhou, tandis qu’aujourd’hui, on en compte entre 230 et 240 », témoigne-t-il.
« Mais le secteur n’est pas aussi lucratif qu’il n’y paraît », relativise-t-il. Selon lui, la vie commerciale d’un scénario de jeu de rôle ne dure que deux ou trois mois. Chaque mois, ils doivent prévoir un budget de 10 000 à 15 000 yuans (1 549 à 2 324 dollars) pour en acquérir de nouveaux. De plus, chaque session durant entre quatre et sept heures, ils ne peuvent organiser qu’un maximum de trois sessions par jour. Pour augmenter leur chiffre d’affaires, il faudrait encore agrandir le studio ou multiplier les sites, ce qui augmenterait immanquablement les frais généraux de l’entreprise (bail de location, entretien, inventaire, etc.).
À l’ère du divertissement, que le GN soit une activité à l’avenir prometteur ou jouissant seulement d’une popularité éphémère, seul le temps le dira.
Pour vos commentaires : lixiaoyu@chinafrica.cn