Chaoting 1919

En se promenant dans le méandre des petites allées à quelques centaines de mètres du quai bondé de Sanqiutian sur l'île de Kulangsu, à quelques centaines de mètres au large de Xiamen, seul le bruissement des feuilles de figuiers de Bengale dans la brise marine vient perturber la quiétude des lieux. Des rangées de villas centenaires sont alignées et montent la garde pour les rares visiteurs qui passent respectueusement. Certaines d'entre elles ont été abandonnées pendant des décennies et ce n'est que depuis quelques années que de jeunes entrepreneurs et des artistes ont commencé à les restaurer pour leur redonner leur lustre d'antan, les transformant en petites auberges, en restaurants à la mode ou en galeries d'art.

Zhang Xiaojuan a redonné vie à une villa construite en 1919 par un homme d'affaires néerlandais dans l'une de ces allées et a ouvert une auberge de 24 chambres après deux années de négociation et de rénovation. La quarantaine dynamique, Mme Zhang voit des années de persévérance et de détermination récompensées. Originaire de la province du Hunan, elle a grandi dans le Jiangxi avant de faire ses études à l'Université de Xiamen. Elle a été pendant 10 ans cadre supérieure à Tong'an, un district voisin. Elle a commencé à s'intéresser au patrimoine architectural de Kulangsu avant que cela ne devienne une véritable passion dès 2007. « Je travaillais pour une entreprise australienne près de Xiamen et j'accompagnais des visiteurs étrangers à Kulangsu. C'est comme cela que je suis tombée amoureuse de cette petite île. »

Des problèmes en rafale

Il lui aura fallu plus d'une année pour trouver la villa de ses rêves. « Il y a tellement de villas à Kulangsu, c'est difficile de trouver l'endroit où l'on se sent bien », se rappelle–t–elle avec émotion. C'est en 2010 qu'elle eut le coup de foudre. « J'ai appelé cet endroit Chaoting 1919 [La Cour Royale 1919] parce que je voulais que tout le monde – mes employés comme mes clients – s'y sentent comme chez eux. »

Mais ce n'était que le cadet de ses soucis, car des tracasseries juridiques l'attendaient au tournant avant qu'elle ne puisse réellement démarrer son affaire.

Il fallait en effet d'abord trouver le propriétaire. « C'est un problème courant à Kulangsu, remarque Cai Songrong, vice–directeur du Centre de gestion et de surveillance du patrimoine culturel mondial de Kulangsu. La plupart des villas de Kulangsu ont été abandonnée ou laissées à des gardiens après 1949, et les locataires doivent maintenant négocier avec des dizaines, voire des centaines d'héritiers disséminés dans le monde entier. C'est une tâche presque impossible. »

Mme Zhang a dû surmonter les mêmes obstacles. « La villa appartient à 17 héritiers et ils ne se sont jamais rencontrés, ce qui fait que je n'ai pas pu acheter cet endroit, dit–elle avec regret. En 2009, les prix de l'immobilier étaient encore acceptables à Kulangsu. »

Le second obstacle majeur a concerné la rénovation des lieux. Chaoting 1919 a été classé sur la liste du patrimoine architectural et les travaux de rénovation ont été complexes car il est difficile de procéder à des modifications dans la structure du bâtiment. De plus, le style architectural doit être préservé. « Certains matériaux qu'on utilisait il y a un siècle sont maintenant difficiles à trouver, ou alors ils sont hors de prix, remarque Mme Zhang. J'ai dû employer des artisans expérimentés que j'ai fait venir de la province du Henan. Nous avons pu redonner son apparence originelle à ce bâtiment dont les boiseries avaient été rongées par la pluie et la moisissure. »

Mme Zhang est parvenue à ses fins lorsque le projet de rénovation a été accepté par les autorités, lui permettant d'ouvrir son auberge en août 2012, après 13 mois de travaux. En faisant le compte, elle aura investi quelque 10 millions de yuans (1,5 million de dollars) pour la rénovation et la décoration intérieure entre 2010 et 2014.

Le 15 septembre 2016, le typhon Meranti, l'un des plus violents de mémoire d'homme, a frappé l'île de plein fouet. Chaoting 1919 n'a pas été épargné. « J'étais présente cette nuit–là et j'étais certaine que Meranti allait détruire la villa. C'était effrayant », dit–elle en se remémorant ces heures d'angoisse. Le bâtiment a cependant résisté, avec quelques fenêtres brisées et des dégâts mineurs.