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Psychanalyse et éducation parentale : entretien avec Monique Lauret |
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Jacques Fourrier · 2016-06-06 · Source: Beijing Information | |
Mots-clés: psychanalyse; éducation parentale; culture |
Monique Lauret
Monique Lauret est psychiatre et psychanalyste, membre d'Espace analytique de Paris et de la Fondation Européenne de la psychanalyse. Elle travaille en collaboration avec des psychanalystes chinois en milieu hospitalier notamment depuis une dizaine d'années. Elle répond aux questions de Beijing Information sur le thème de l'éducation parentale.
Beijing Information : On oppose souvent le modèle asiatique et le modèle occidental – de l'autoritaire au permissif – d'éducation parentale. Cela vous paraît-il judicieux ? L'éducation parentale est–elle un dressage comportemental et neuronal ?
Le modèle occidental est traversé par une crise grave des valeurs ouvrant la voie aujourd'hui à de nouvelles idéologies totalitaires faisant effraction dans la civilisation. Il est effectivement qualifié de permissif, ce que je pense articuler à cette crise des valeurs et la mise en avant de l'individualisme. Le modèle asiatique s'est construit basé sur la pensée et la philosophie confucéenne mettant en exergue le concept de piété filiale, xiào, 孝. Les valeurs clés de cette pensée sont la justice, le sens des rites, la sagesse et le sentiment d'humanité, le rén, 仁, permettant d'éduquer dans un objectif de mieux vivre ensemble en société, dans l'harmonie avec les autres. Le monde moderne occidental est singulièrement devenu malhabile à aborder les grands thèmes de l'ontologie. Il préfère résoudre les choses en termes de conduites, de comportement, d'adaptation. L'éducation d'un petit homme appelé à renoncer à ses pulsions les plus sauvages et à s'humaniser passe par le langage et la parole et non le forçage adaptatif d'un dressage comportemental et neuronal.
Beijing Information : Que dit la psychanalyse de l'éducation parentale ? (Freud à une mère : « Quoi que vous fassiez, ce sera un échec ! ») Quels sont les apports des psychanalystes dans ce domaine, de Melanie Klein à Françoise Dolto ?
La psychanalyse parle de construction de la psyché humaine centrée autour de la question du Complexe d'Œdipe dont la résolution permet l'entrée dans le symbolique et l'intériorisation des exigences et des interdits parentaux, ce qui est appelé le surmoi. Cette instance de la personnalité incarne une Loi et un interdit de transgression, elle ouvre à la conscience morale, à l'auto observation et à la formation d'idéaux. Elle atteste de la présence de l'anthropomorphisme. Le surmoi de l'enfant se forme à l'image du surmoi des parents dit Freud, il s'emplit du même contenu et devient le représentant de la tradition, de tous les jugements de valeur qui subsistent à travers les générations. Ce qui se transmet des parents aux enfants se fait souvent à leur insu, ce ne sera pas forcément un échec, ce qu'il faut favoriser c'est la parole et la communication entre les parents et les enfants qui sont des sujets en devenir. C'est quand le sens se fait que la compréhension s'éclaire et l'acquisition s'inscrit durablement.
Melanie Klein (1882-1960) a été la pionnière de la psychanalyse des enfants. C'est pour elle le dépassement de certains stades précoces nommés position schizo-paranoïde et position dépressive qui permet de prendre confiance en soi, avec les autres et avec la vie. Processus toujours continué tout au long de la vie. Sa position théorique a créé de grandes controverses à l'époque à Londres avec la position théorique de la fille de Freud, Anna Freud plus éducative. Mais elle nous a légué dans sa théorie, un outil pour penser les maux contemporains.
Françoise Dolto (1908-1988) a permis plus tardivement que l'enfant soit considéré comme une personne à respecter et à entendre. L'enfant est un sujet à part entière qui a ses propres désirs, sentiments et émotions. Ses émissions diffusées à la radio dans les années soixante et surtout dans les années quatre-vingt ont permis à une grande génération de mères de pouvoir mieux communiquer avec leur enfant. Ses ouvrages traduits aujourd'hui en chinois représentent une des premières ventes dans le domaine psychologique en Chine.
Beijing Information : Que pensez-vous des apports des thérapies brèves dans l'éducation parentale ? Par exemple, pour un enfant qui vole ? Un enfant qui refuse de manger des légumes ? Un enfant qui fait des cauchemars récurrents ? Peut-on éduquer – rapidement – les parents et les enfants à y répondre ?
En volant un enfant prend, en refusant il tente de dire non. Il serait peut-être intéressant de se demander pourquoi et en lien à qui, plutôt que d'essayer à tout prix d'endiguer au mieux ou de déplacer ce symptôme qui n'est que la manifestation d'une parole bâillonnée, non incarnée dans l'histoire du sujet. Les thérapies brèves peuvent certes avoir un effet d'aménagement du symptôme mais ne règlent pas les problèmes de fond qui ne peuvent se lever que par la mise en mots de ce qui n'avait pu se nommer, se symboliser. Les cauchemars font partie du développement psychique de l'enfant. Le rêve c'est quelque chose de soi qui se dit de manière imagée et fantastique sur la scène onirique. Un cauchemar récurrent met en scène quelque chose qui ne peut se dépasser psychiquement ou qui a fait traumatisme. Pourquoi vouloir éduquer « rapidement » ? La psyché humaine a besoin de temps pour se construire dans une parole vraie, le temps psychique a son temps à lui, nous le voyons bien dans la clinique.
Beijing Information : En tant que psychanalyste en contact fréquent avec la réalité chinoise, quelles sont vos réflexions sur l'éducation parentale en Chine ?
La loi de l'enfant unique a largement mis à mal le concept confucéen de piété filiale, renversant les valeurs millénaires de la société fondée sur la multitude d'enfants, signe de prospérité et de garantie d'avenir pour les parents. Un enfant devient roi, est investi de tout l'amour parental, lui conférant une toute-puissance imaginaire de son image moïque (relatif au moi freudien - NDLR). Les selfies dont les Chinois sont très amateurs, illustrent cette quête du moi-idéal dans l'image, observant le monde à travers ce cadre. L'imaginaire est privilégié au détriment du symbolique. Un deuxième aspect est la pression presque insupportable exercée par les parents sur cet enfant qui va devoir réussir à tout prix pour justifier le sacrifice de ses parents. L'enfant se doit de défendre le nom et d'enorgueillir des parents vieillissants. Les phobies et inhibitions scolaires représentent un des premiers motifs de consultation de l'enfant. Ce sont des symptômes de ce qui ne peut se dire autrement. Ce renversement des valeurs traditionnelles, ajouté à la coupure radicale du passé prônée par la Révolution culturelle et aux multiples traumatismes non dépassés des guerres du siècle dernier ont propulsé la société d'aujourd'hui dans une certaine errance entre quête des origines et désir de toute puissance pris aussi imaginairement dans l'idéalisation de l'American-way-of-life. Le dernier film du cinéaste Jia Zhangke, « Au-delà des montagnes », illustre parfaitement cette coupure des origines jusque dans la langue.
Beijing Information : Avez-vous lu le livre d'Amy Chua sur la « maman-tigre » et le modèle d'éducation autoritaire « à la chinoise » qu'elle propose ? Quelles sont vos réflexions ?
Freud avait souvent constaté que les écrivains sont souvent en avance sur les questions importantes de leur temps. Ce livre met peut-être en évidence la nécessité de comparer nos modes de pensée entre l'Orient et l'Occident et nos modes d'éducation de façon à construire une meilleure façon d'habiter l'humanité et de relever les défis que ce début du XXIe siècle nous impose. Sortir des crises nécessite une véritable transformation intérieure. Pouvoir voir, comprendre, penser ses propres modes de fonctionnement avant d'intégrer autrement dans une ouverture à la créativité. Le livre d'Amy Chua impressionne par la dureté d'une mère désirant façonner ses enfants pour la réussite à la limite de la maltraitance. C'est une femme chinoise mariée à un juif américain, qui refuse le modèle occidental pour élever ses filles et va s'y opposer, prônant avec excès le modèle chinois d'éducation. Le père ne semble pas très présent et laisse agir sa femme. La mère est toute-puissante, dans le contrôle et dans la négation des propres besoins physiologiques de ses deux filles, ne serait-ce que le repos. « Ce qu'il y avait de pire », dit-elle, c'est qu'elle ne pouvait nullement contrôler l'humeur de sa cadette. L'enfant est considéré comme un bout de soi à modeler, sans désirs propres, en l'occurrence devenir de brillantes musiciennes. La fille cadette, Lulu, aura tout de même l'énergie de dire non. La réalisation personnelle d'un être humain passe par la réalisation de ses propres désirs et non ceux d'un autre dont il risque de se faire l'objet au prix de souffrance psychique, de symptômes divers, de dépression pouvant mener au suicide.
La civilisation chinoise est une grande civilisation, nos modes de pensée se sont construits dans une radicale différence. La pensée chinoise a été guidée à l'origine par une forme très sophistiquée de divination contrairement au monde gréco et judéo-latin où la pensée a été guidée par les croyances religieuses. C'est une pensée plus ouverte à l'intuition et à la mutation, à la souplesse, à la créativité. C'est la différence qui enrichit et non la quête du même et d'un modèle unique pris dans un emballement imaginaire mortifère. Le philosophe René Girard l'appelait le mimétisme. Devant la constatation des nombreux maux contemporains dont souffrent nos sociétés occidentales, en partie liés à cet emballement imaginaire, Lacan nous avait invités, un peu à la manière freudienne, dans un de ses séminaires importants L'éthique de la psychanalyse, dans les années soixante, d'aller puiser dans cette sagesse et cette pensée confucéenne qui porte le pari universel d'un optimisme foncier sur l'humain. C'est ce que j'ai approfondi dans mon dernier ouvrage « L'énigme de la pulsion de mort »[1], comme une possible solution, pour tenter de penser en réunissant nos deux mondes entre Orient et Occident, le devenir de l'homme du XXIe siècle.
Quelques ouvrages de Monique Lauret :
Lectures du rêve, Puf, 2011.
(traduit en chinois : Du Meng, Shangwu Publisher, Beijing, 2015)
L'énigme de la pulsion de mort, Puf, 2014.
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