Les terribles inondations et sécheresses qui ont récemment frappé une grande partie du territoire chinois mettent en évidence les lacunes des ouvrages hydrauliques. Zheng Fengtian, de l'Université du Peuple de Chine, nous en explique les causes, et propose une série de mesures pour y remédier.
Lan Xinzhen
Inondations extrêmes et graves sécheresses, la Chine n'a pas encore trouvé l'équilibre quant à son approvisionnement en eau. Ces catastrophes, surtout dans la région du fleuve Yangtsé, reflètent les failles dans la construction des installations de réserves d'eau, a dit Zheng Fengtian, vice-doyen de la Faculté d'agriculture et du développement rural de l'Université du Peuple de Chine.
Les pertes liées aux sécheresses et aux inondations dans la première moitié de l'année illustrent les faiblesses de la Chine face à ces types de catastrophes. Outre les coûts financiers et les pertes matérielles, les préoccupations du peuple et des responsables politiques sont en nette augmentation, d'autant que ces catastrophes se montrent de plus en plus fréquentes.
La région du fleuve Yangtsé, terre du poisson et du riz grâce à ses riches ressources en eau douce, est sans nul doute la région la plus touchée par les problèmes d'approvisionnement en eau.
Au printemps, la région s'est transformée en un véritable désert. Cette pénurie d'eau a été brièvement atténuée lorsque les orages estivaux ont commencé à éclater, changeant la zone en grande baignoire à ciel ouvert à cause des systèmes de drainage.
« Ces conditions climatiques extrêmes méritent certes toute notre attention, mais nous devons sérieusement nous concentrer sur le retard des ouvrages hydrauliques par rapport au développement économique et social du pays », a dit Zheng.
Zheng a mené plusieurs enquêtes sur les ouvrages hydrauliques. Les résultats sont pour le moins surprenants : dans les trois dernières décennies, plus de 70 % des villages de Chine n'ont pas investi un seul centime dans l'irrigation et les ouvrages hydrauliques.
Le gouvernement central n'a pas tardé à réagir. Plus tôt cette année, il a déclaré, dans le document n°1 sur l'agriculture, que 2 000 milliards de yuans (308,17 milliards de dollars) seraient investis au cours des cinq prochaines années pour les ouvrages hydrauliques. Pour mémoire, les investissements dans les cinq dernières années (2006-2010) ont atteint 700 milliards de yuans (107,86 milliards de dollars). Mais dans la seule année de 2011, ils atteindront 400 milliards de yuans (61,63 milliards de dollars).
Une priorité absolue
La Chine possède déjà un vaste réseau d'ouvrages hydrauliques afin de prévenir les sécheresses et les inondations. Le problème est que la plupart d'entre eux ne fonctionnent pas, ou fonctionnent à bas régime.
Pour Zheng, cette inefficacité est liée à une mauvaise approche du traitement des réserves, à un réseau de contrôle de l'eau obsolète, ainsi qu'à l'obsession actuelle de la Chine pour la construction de barrages.
Concernant les eaux de crue, la priorité actuelle, c'est le drainage, et non le stockage, a estimé Zheng. Ces dernières années, les cours moyen et inférieur du fleuve Yangtsé ont essuyé de nombreuses précipitations, et les installations ont littéralement asséché les campagnes. La pratique est efficace durant la saison des pluies, mais ne tient pas compte de l'équilibre saisonnier : si l'eau de pluie est complètement détournée hors de la région, de graves sécheresses s'ensuivront au printemps.
Le réseau d'irrigation actuel et les ouvrages hydrauliques sont par ailleurs mal entretenus. Après la fondation de la République populaire de Chine en 1949, le gouvernement s'est engagé dans un effort massif à travers le pays pour s'assurer que toutes les localités possédaient des installations en état de marche. Après la réforme et l'ouverture qui a débuté en 1978, le maintien de ces installations a été mis de côté, car le budget central s'est orienté vers l'exploitation de la puissance des grands fleuves. De leur côté, les fonds des gouvernements locaux ont été principalement affectées à des projets de conservation de l'eau en milieu urbain avec des rendements élevés, car la production agricole ne générait que de faibles profits, ne laissant que très peu d'argent aux agriculteurs pour s'occuper de ces installations.
Et pour couronner le tout, le pays a construit un certain nombre de centrales hydroélectriques sur le cours supérieur de plusieurs cours d'eau. Mais aujourd'hui, le pays souffre du « syndrome des grand barrages ».
Dans la vallée du Yangtsé, plus de 40 000 réservoirs ont été construits, et 2 400 stations hydroélectriques ont été achevées ou sont en construction, selon le ministère des Ressources en eau. Ces centrales appartiennent à des régions différentes et sont gérés par différents ministères, il est donc souvent difficile d'adopter des contrôles uniformes. Et comme plusieurs de ces installations ne considèrent que leurs propres intérêts, cela intensifie le problème de stockage de l'eau et de son écoulement, a dit Zheng.
Certaines des petites stations locales sont contre-productives pour lutter contre la sécheresse : en saison sèche, lorsque les cours moyen et inférieur ont besoin d'eau de toute urgence, ces centrales retiennent et stockent de grandes quantités d'eau pour produire de l'électricité. Après de fortes pluies, elles rejettent de l'eau pour leur sécurité, intensifiant donc les inondations. Un contrôle uniforme de ces centrales est nécessaire, a dit Zheng.
Le barrage des Trois Gorges a lui aussi retenu l'attention ces derniers mois, alors que la région du fleuve Yangtsé souffre d'une grave sécheresse. Des observations à long terme seront nécessaires, a dit Zheng, pour se prononcer sur le rôle du barrage dans la sécheresse.
Une construction accélérée
Pour résoudre la pénurie d'eau ou les problèmes de surplus, un nouveau mécanisme d'irrigation et de stockage doit d'abord être établi, a dit Zheng. Ce mécanisme, dirigé par le gouvernement central et les provinces, et complété par les districts et les cantons, mettrait l'accent sur les infrastructures d'irrigation et de stockage, liées au développement agricole et aux moyens de subsistance des agriculteurs.
Les grands projets d'ouvrages hydrauliques seraient financés par le gouvernement central, tandis que les installations de base le seraient par les gouvernements provinciaux, et construits et entretenus par les administrations au niveau des comtés. Certains projets d'infrastructure à petite échelle dans les communautés rurales seraient principalement financés par les agriculteurs, avec des subventions du gouvernement.
« L'ouverture de nouveaux canaux d'investissements sera également cruciale, puisque les fonds gouvernementaux ne seront pas suffisants », a estimé Zheng.
« Nous devrions établir un modèle de financement par le biais de multiples canaux pour résoudre les difficultés de financement », a-t-il ajouté.
Le gouvernement peut lever des fonds sur le marché des capitaux en émettant des obligations à long terme. Il peut également mettre en place des fonds spéciaux pour la construction de projets pertinents. Zheng a dit que si le gouvernement dépense de l'argent dans la création de fonds de stockage, ces fonds produiront leurs effets dans la promotion de la construction de ce type d'installations, même si les fonds ne représentent que 0,5 % du PIB. Le gouvernement peut aussi encourager l'investissement de capitaux privés à travers des incitations fiscales et des politiques favorables aux prêts.
La Chine peut également adopter l'approche occidentale. Dans les pays développés comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, le financement issu des loteries est conséquent.
La Chine a expérimenté avec succès des loteries sportives et les loteries caritatives. A partir de ces expériences, la Chine pourrait être en mesure d'utiliser les loteries comme un moyen de financement de ces projets.
Besoin d'innovation
Accroître les investissements dans ces installations ne constitue qu'une partie de la solution au problème de l'eau. L'autre volet concerne l'innovation. Un système de responsabilisation destiné aux gouvernements locaux doit tout d'abord être mis en place, a dit Zheng.
Si les fréquentes sécheresses et les inondations sont principalement causées par la météo, la responsabilité incombe aussi aux insuffisances des gouvernements locaux. Pour Zheng, ils n'ont pas attaché suffisamment d'importance aux projets de construction. La clé de ce système de responsabilité sera de rendre les fonctionnaires locaux responsables du drainage et des projets de stockage.
Par ailleurs, l'établissement de ce système peut également forcer les gouvernements locaux à investir une partie de leurs fonds dans la construction de petits projets de stockage.
Selon Zheng, si la province du Yunnan avait dépensé l'équivalent de 10 % des pertes économiques causées par la sécheresse dans l'amélioration des installations d'irrigation et de stockage de l'eau, la sécheresse aurait été moins grave. Dans une province comme le Yunnan, avec des précipitations annuelles de plus de 1 000 millimètres, le manque de ressources allouées à ces projets, et le manque de planification, crée logiquement une pénurie d'eau.
Un autre obstacle à l'expansion de ces projets concerne le système de répartition des terres adopté en 1978, ce qui a compliqué l'irrigation et la construction d'installations de stockage, a dit Zheng.
Il y a un certain nombre de façons de résoudre ce problème, selon Zheng. Des expériences peuvent être tirées de projets de construction entrepris par les familles rurales avant l'adoption du système de répartition des terres. Une association des usagers de l'eau d'irrigation peut aussi être formée, à qui le gouvernement pourrait offrir une aide pour la construction d'installations.
« L'objectif ultime est de faire participer les familles rurales à l'irrigation et la construction des installations, et de créer un bon mécanisme pour les investissements, la construction, l'application et l'entretien des infrastructures », a-t-il dit.
En fait, en impliquant les agriculteurs, le mécanisme d'actionnariat dans le comté de Boai, province du Henan, et l'association des usagers de l'eau dans le comté autonome Zhuang de Pingguo, dans le Guangxi, constituent de bonnes pratiques à généraliser à tout le pays.
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