Ju Hui
Récemment, les Etats-Unis ont renouvelé leurs pressions en faveur de l'appréciation du yuan. Une centaine de membres du Congrès s'est adressée au président Obama afin qu'il prenne des mesures. Une séance d'audition s'est tenue au Capitole pendant deux jours au sujet de la législation punitive vis à vis de la Chine. Les grands groupes d'intérêts y ont mis leur grain de sel. L'attitude du secrétaire d'Etat au Trésor Timothy Geithner n'a jamais été aussi ferme. « Que le yuan s'apprécie pour protéger les emplois américains ! », ont crié les membres du Congrès. Mais ces vociférations révèlent-elles leur véritable intention ?
Depuis l'explosion de la crise financière mondiale, la situation économique américaine ne cesse de s'assombrir. Le chômage a dépassé la barre symbolique des 10 % en octobre 2009, aujourd'hui stable à 9,6 %. Comme le dit l'économiste américain Paul Samuelson, les hommes politiques deviennent fous quand le taux de chômage est à deux chiffres. Les élections de mi-mandat auront lieu dans moins de deux mois, et la clé en est le problème de l'emploi. Sans remède magique, le protectionnisme commercial s'intensifie, et prend le RMB pour cible.
Selon la logique des membres du Congrès et des économistes américains, le yuan est sous-évalué, les exportations chinoises sont ainsi favorisées, le déficit américain dans le commerce bilatéral s'est ainsi élargi et le chômage s'est aggravé. Mais cette logique a été réfutée par certains intellectuels américains. D'après Philip Levy, chercheur de l'AEI (Institut pour la recherche des politiques publiques des entreprises américaines), le taux de change du yuan n'est guère l'origine du déficit américain dans le commerce sino-américain et n'a pas de lien intrinsèque avec le chômage américain.
Pour Derek Scissors, expert en économie chinoise de la Fondation de l'héritage américaine, l'évaluation du yuan est subjective. Dix économistes pourraient en donner dix réponses différentes, et même fausses. Dans ce cas de figure, la thèse d'une sous-évaluation du RMB ne tient pas.
Lors de l'audience du Congrès, certains ont accusé la sous-évaluation du yuan d'avoir détruit 2,4 millions d'emplois aux Etats-Unis. Mais les produits « made in China » seraient-ils entièrement remplacés par des produits « made in USA » une fois le RMB apprécié ? Evidemment non. Car si les Etats-Unis n'importent plus rien de Chine, ils se tourneraient vers les produits vietnamiens, thaïlandais et mexicains. Les parlementaires intelligents le savent bien. Alors pourquoi s'acharnent-ils sur le yuan ? Ont-ils perdu la raison ? Ou bien, ont-ils d'autres intentions secrètes ?
Quand ces membres discutaient des moyens de forcer la Chine à apprécier sa monnaie, une information a fait irruption. Le 15 septembre, l'Anshan Iron and Steel Group Corp. (Ansteel), un groupe sidérurgique chinois, et la Steel Development Co., un groupe américain basé dans le Mississippi, ont conclu un accord à Beijing portant sur la création d'une coentreprise aux Etats-Unis. Selon l'accord, une usine de produits en acier déformé sera construite à Amory, dans le Mississipi, avec une capacité de production de 300 000 tonnes par an. Ansteel détiendra 14 % des actions. Premier investissement chinois dans le secteur sidérurgique américain, l'usine est basée sur un investissement total de 168 millions de dollars, et créera 1 000 emplois pour la région, tout en augmentant les recettes fiscales locales. Si le projet se déroule bien, l'usine sera mise en production au premier trimestre 2012. Et si cette première coentreprise sidérurgique est un succès, les partenaires envisageraient la construction de quatre autres usines sidérurgiques "dotées de technologies avancées et respectueuses de l'environnement".
Un tel projet, qui permet non seulement de stimuler l'économie américaine mais aussi de créer des emplois, a pourtant rencontré une forte résistance à l'intérieur des Etats-Unis. Début juillet, alors qu'Ansteel vient d'exprimer son intention d'investissement, une cinquantaine de parlementaires américains écrivent une lettre au secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner, lui demandant de mener une enquête sur ce projet de collaboration, sous le prétexte d'une éventuelle menace pour "la sécurité nationale". Ces parlementaires ont reçu un soutien de certaines entreprises sidérurgiques américaines qui craignent une éventuelle compétition dans le secteur. Ces préoccupations sont-elles nécessaires ? Comparée à la capacité de production d'Ansteel de 25 millions de tonnes par an, celle du projet à Amory est modeste. Un tel projet pourrait-il ébranler la sécurité des Etats-Unis ?
Grâce à la défense du partenaire américain, le projet d'Ansteel à Amory a été finalement approuvé par le gouvernement américain. Mais la complexité de cette affaire rappelle les nombreuses tentatives avortées des entreprises chinoises pour investir aux Etats-Unis. Du projet de CNOOC (China national offshore oil corp) pour acheter l'Unocal Corporation à l'achat de 2Wire et des affaires des équipements sans fils de Motorola par Huawei, jusqu'aux efforts de l'International Investiment Co., Ltd en métaux non ferreux de l'Ouest de Chine pour investir dans les mines du Nevada... Tous ces projets étaient favorables au réveil de l'économie locale et à la création des emplois. Mais ils ont tous été refusés, au nom de la « sécurité nationale ». Hélas, ces sauvegardes de l'emploi américain changent leur stratégie face aux investissements chinois.
Au sujet du RMB, les parlementaires et les groupes d'intérêts américains accusent le yuan d'avoir nui à l'emploi national. Mais quand les Chinois viennent investir, en vue de leur fournir des emplois, ils s'y opposent, en raison de la « menace à la sécurité nationale ». Derek Scisso a donné une explication à cette logique paradoxale. En effet, la pression sur l'évaluation du yuan comme l'hostilité à l'investissement chinois sont issues d'une même intention : nuire à la Chine. Imposer une taxe douanière punitive permet d'attaquer les exportations chinoises. Mettre des bâtons dans les roues des investisseurs chinois finira par porter atteinte aux entreprises chinoises. S'il s'agit de leur unique intention, ces parlementaires hostiles à la Chine n'ont aucune hésitation à avoir. Mais s'ils se préoccupent encore de la relance de leur économie, il leur faudra réfléchir à deux fois.
Beijing Information
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