Shi Yongming, chercheur adjoint à l'Institut de recherche sur les affaires internationales
Les relations entre Pyongyang et Séoul sont retombées au plus bas niveau suite à l'explosion mystérieuse d'une corvette anti-sous-marine sud-coréenne le 26 mars dernier. D'une part, la Corée du Sud accuse une torpille nord-coréenne d'avoir délibérément coulé la corvette Cheonan, et appelle à prendre des mesures énergiques contre Pyongyang. D'autre part, la Corée du Nord nie catégoriquement toute implication dans cet accident, et voit cette affaire comme un complot fomenté par Séoul.
Les relations entre Pyongyang et Séoul sont les relations les plus compliquées héritées de la Guerre froide. Malgré l'ardente aspiration des deux parties à la réunification, la réalité d'une séparation politique fut d'abord reconnue mutuellement dès la fin de la Guerre froide, conduisant à leurs adhésions séparées à l'ONU. Ainsi, au regard de la loi, Pyongyang et Séoul devaient dès lors s'entendre en qualité de deux Etats indépendants et égaux. Cependant, une nation, deux Etats, cette situation non désirée ne pourrait durer. Comment réaliser la réunification ? Comment s'entendre avant la réunification ? Depuis la fin de la Guerre froide, ces deux problèmes sont intimement liés, auxquels s'ajoute l'épineuse question du nucléaire nord-coréen.
Embûches sur la voie de réunification
Longtemps colonisée par les Japonais, la péninsule coréenne avait comme mission prioritaire d'établir un Etat après la Seconde Guerre mondiale. Hélas, ce processus a été impliqué dans les affrontements entre les Etats-Unis et l'Union soviétique dans le contexte de la Guerre froide. Les deux forces politiques locales s'alliant respectivement avec les deux superpuissances, la péninsule n'a pu échapper à la scission. Aussi, les conditions de la réunification constituent-t-elles dès le début le cœur des relations entre les deux Corées. Les deux parties ont tout d'abord voulu recourir à la force, rendant la guerre des années 50 inévitable. Ce conflit a finalement pris fin grâce à un accord de cessez-le-feu. Mais de toute façon, les deux parties ne se reconnaissaient pas mutuellement.
Dans les années 70, la Guerre froide s'est atténuée. Le principe de réunification pacifique s'est peu à peu imposé comme principal courant. Depuis 1971, les deux Corées avaient des contacts secrets. Le 4 juillet 1972, une déclaration conjointe a été signée, actant les trois principes de la réunification : autonomie, paix et solidarité nationale, et créant une commission de coordination entre le Nord et le Sud.
Les trois principes ont favorisé la détente des relations entre Pyongyang et Séoul, mais n'ont pas effacé les doutes et soupçons mutuels. La situation de la péninsule coréenne variait avec le changement d'attitude des deux parties à l'égard de la réunification, et demeurait instable à cause de l'hésitation de Séoul entre réconciliation ou intransigeance, réunification égale ou dirigée par le Sud.
Les deux périodes de détente sont liées au réajustement politique de Séoul. Pendant la première période, la fin de la Guerre froide a coïncidé avec le processus démocratique sud-coréen. Roh Tae-Woo, premier président élu par le peuple, a élaboré une nouvelle politique ouvrant la voie à la réconciliation et de la réunification. En décembre 1991, le Pacte de « réconciliation, non-agression et coopération » a été signé, offrant une nouvelle dimension aux relations. Pendant la deuxième période, la Corée du Sud fut successivement dirigée par les présidents Kim Dae-Jung et Roh Moo-Hyun. La « politique de lumière » de Kim Dae-Jung, ayant comme essence la « réconciliation et la coopération », et la « politique de tolérance » de Roh Moo-Hyun en matière de « paix et la prospérité », ont été toutes deux élaborées selon les trois principes de réunification. A cette période, les chefs d'Etat du Nord et du Sud se sont rencontrés, et des documents historiques ont été signés.
Pendant ces deux périodes, les relations entre les deux parties étaient généralement bonnes malgré des contradictions compliquées. Même le dossier nucléaire a connu d'importantes avancées.
Mais entre ces deux périodes, les relations s'avérèrent compliquées. D'une part, la rencontre prévue entre les dirigeants a avorté à cause du décès inattendu du président nord-coréen Kim Il-sung, laissant passer une opportunité historique. D'autre part, le président sud-coréen Kim Woung Sam a avancé une théorie de la réunification en trois étapes qui mettait l'accent sur une réunification démocratique, ce qui suscitait le soupçon de Pyongyang. Parallèlement, les théories de « l'effondrement de la Corée du Nord » et du « Recouvrement de la Corée du Nord par la Corée du Sud » se propageaient en l'Occident, en aggravant les soucis du Nord.
L'actuel président sud-coréen Lee Myung-bak propose trois nouveaux principes à la politique du Nord, dont l'abandon du nucléaire, l'ouverture totale et 3000 dollars (la Corée du Sud a promis d'aider la Corée du Nord à atteindre un PIB de 3000 dollars par personne en dix ans, à condition qu'elle pratique la réforme et l'ouverture), et demande la révision de tous les accords précédemment signés avec la Corée du Nord. Cette attitude a conduit à la suspension totale du dialogue. La situation de la péninsule s'est à nouveau tendue. D'ailleurs, l'objectif de réunification fixé par Lee Myung-bak est basé sur la démocratie libérale, rappelant la politique de Kim Woung Sam, et provoquant de vives protestations de Pyongyang.
La politique de Lee Myung-bak a fait basculer les relations entre les deux Corées de la réconciliation stratégique aux soupçons et à la confrontation. Dans ce contexte, le naufrage de la corvette Cheonan devient un problème très sensible des deux côtés de la frontière.
Conditions fondamentales d'une coexistence
L'unanimité politique sur la question de la réunification constitue une des conditions fondamentales de la coexistence pacifique des deux Corées, tandis que les divergences d'intérêts deviendraient la source d'affrontements.
La frontière sur la mer Jaune reste toujours un sujet de discorde entre les deux parties. En effet, l'accord de cessez-le-feu signé en 1953 n'a défini que les frontières terrestres. Certaines îles au nord-ouest de la mer Jaune, dont Baeng-Nyeong, sont sous occupation sud-coréenne, ce qui est devenu le fondement des Etats-Unis dans sa définition partiale des frontières maritimes entre les deux Corées. Frontière que la Corée du Nord n'a jamais reconnue.
En annexe du Pacte de « réconciliation, non-agression et coopération » signé en 1991 les deux parties s'engagent à ne pas franchir les frontières maritimes (définies par les Etats-Unis) avant la nouvelle définition des frontières maritimes. Séoul prend cela pour un signe que Pyongyang reconnaît ces frontières maritimes. Cependant, Séoul a négligé un problème fondamental : la validité de cette annexe dépend du respect du Pacte de 1991, selon lequel les relations inter-Corées ne sont pas des relations entre deux Etats, mais des relations temporaires spéciales au cours de la réunification. En ce qui concerne les principes de réconciliation, le Pacte a stipulé le respect mutuel du système politique, la non-ingérence dans les affaires intérieures ainsi que la non-calomnie et la non-subversion. Alors, selon la logique de Pyongyang, dès lors que la politique de Lee Myung-bak viole l'esprit du Pacte de 1991, son annexe perd naturellement son sens.
Ainsi, les conflits apparemment frontaliers reflètent en effet la question de coexistence entre les deux Corées. Après le naufrage de Cheonan, Séoul a déclaré la reprise de la guerre mentale déjà suspendue lors de la rencontre des dirigeants des deux Corées en 2000. Il s'agit évidement d'un geste déraisonnable. Car ce qui compte pour la Corée du Sud, c'est de chercher à réaliser la coexistence pacifique avec le Nord quand le moment n'est pas encore venu pour atteindre le but de réunification.
Etrange contretemps dans la résolution du dossier nucléaire de la péninsule
La question nucléaire est un autre facteur majeur qui influence les relations entre les deux Corées depuis la fin de la Guerre froide. Alors que Pyongyang et Séoul cherchaient activement la réconciliation, les Etats-Unis ont profité de la question nucléaire pour entraver le rapprochement et maintenir son influence au sud. Le président Bush a annulé l'accord-cadre sur la question nucléaire signé entre son prédécesseur Clinton et Pyongyang. Au lieu de forcer ce dernier à abandonner son projet nucléaire, cette politique de pression a au contraire stimulé les essais nucléaires nord-coréens. Le président sud-coréen Lee Myung-bak a commis la même erreur de jugement que Bush sur la situation nucléaire de la péninsule.
Le projet nucléaire nord-coréen pose sans doute de graves problèmes de sécurité dans l'Asie du Nord-est. La Corée du Sud aurait dû s'en alarmer, mais cette menace nucléaire semble évaporée depuis le naufrage de Cheonan. Séoul se concentre sur les représailles, les sanctions et les démonstrations de force. Toutes ces mesures ne feront qu'exacerber les dissensions. Jusqu'à présent, aucune solution applicable n'a été proposée. Séoul refuse même de confronter des témoins avec Pyongyang.
La réconciliation et la coexistence pacifique sont les conditions préalables à la dénucléarisation. L'aggravation des tensions conduira à l'amplification du risque nucléaire. Lors de la 9e Conférence asiatique sur la sécurité qui s'est récemment tenue, les ministres de la défense des pays participants ont appelé les parties concernées à ne pas entrer en confrontation directe. Néanmoins, le ton monte, de nouveaux conflits peuvent-ils être évités ?
Les désaccords entre les deux Corées sont profonds et compliqués. Pour un dirigeant responsable, la réconciliation constitue l'unique voie favorable aux deux parties, aux deux peuples et à la communauté internationale. Sans cette réconciliation, la question nucléaire restera sans issue.
Beijing Information
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