L'autre respiration, Pékin la doit à ses habitants. Bien sûr, je ne prétends pas parler de la population de Pékin dans son ensemble, mon propos se limite à ma brève expérience. Ce qui m'a frappée, dans les rencontres que j'ai faites, c'est leur simplicité, et, malgré leur contingence, les amitiés qui en sont nées.
J'ai vécu dans d'autres grandes villes, à Paris, à Londres, à Milan. Mais nulle part des passants croisés par hasard se sont révélés de vrais amis. L'hétérogénéité sociale des personnes avec lesquelles je me suis liée m'a donné une impression de fluidité que je n'ai pas ressentie en Europe. Il m'a semblé que les frontières sociales étaient plus poreuses à Pékin qu'à Paris. Cela étant dit, je ne suis pas dupe.
Ma condition d'étrangère en Asie modifie la donne, changeant à la fois ma manière de regarder les gens et leur attitude à mon égard. Je ne suis pas non plus sociologue, et je sais bien que la ville est autant clivée que d'autres, quand bien même ses lignes de fractures m'apparaissent moins.
Je me souviens des paroles d'un migrant avec lequel j'avais sympathisé. Un homme adorable, qui avait quitté le Henan pour travailler à Pékin, et faisait vivre sa famille en récoltant cartons et plastiques sur sa carriole à trois roues. Après quatre années passées à Pékin, il décrivait ses difficultés à habiter cette ville, il parlait de la distance qu'il voyait dans le regard de ses résidents, et qui faisait de lui un éternel « migrant local », un dididaodao de nongmingong. La conversation entre nous n'en restait pas moins tangible, et précieuse. C'est aussi la mixité de la ville, la diversité des personnes qu'elle réunissait, qui rendait une telle conversation possible.
L'afflux de personnes de tous horizons rend Pékin particulièrement intéressante à mes yeux. La proportion conséquente de waidiren, « personnes de l'extérieure », est une richesse ; elle aide le nouvel arrivant, en lui laissant un peu de répit, en le rendant moins visible, moins singulier. Ce n'est pas le cas de nombre de grandes villes de Chine ou d'Europe qui n'accueillent que peu de migrants, d'étrangers, de voyageurs. Parmi ceux qui rejoignent Pékin, il y a un nombre considérable d'artistes, parce que la ville est une capitale culturelle. Ce sont aussi ces artistes qui font vivre le Pékin que j'aime, et contribuent à le rendre fascinant.
Enfin, l'ambiance de la ville tient aux Pékinois eux-mêmes, à la culture populaire de la ville, à l'animation qu'elle porte dans les rues, à la saveur du parler local. Je ne sais rien du dialecte pékinois, mais je n'en apprécie pas moins ses accents colorés, sa théâtralité.
Un souvenir est particulièrement présent à mon esprit : un jour que je déjeunais au restaurant, en compagnie de collègues, l'un d'entre eux reconnut, dans le groupe qui venait d'arriver dans la salle à côté, Ma Ji, un acteur célèbre (décédé depuis) de xiangsheng, cette forme de comédie traditionnelle dialoguée. Ma voisine, m'attrapant par le bras, m'emmena le voir ; à notre grande surprise, il nous invita à nous asseoir avec eux. Tout en découvrant des spécialités culinaires pékinoises, j'eus la chance d'entendre l'un des acteurs du groupe déclamer un extrait d'un spectacle à venir. La musique de la langue me sembla plus goûteuse encore que les plats qui avaient défilé sur la table. Ce qui s'est dit exactement, les paroles échangées, le nom des plats partagés, tout ça a été oublié. Mais je me souviens d'une chose : le regard de Ma Ji était surprenant de gentillesse.
Les yeux des inconnus peuvent beaucoup pour rendre l'atmosphère d'une ville respirable. C'est avant tout de cette gentillesse, rencontrée dans tant de regards à Pékin, que j'ai gardé la nostalgie.
Beijing Information
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