Guillaume Brandel
Dans le cadre de la Fête de la Francophonie, l'Institut de diplomatie de Chine a accueilli un colloque consacré à la diversité culturelle et l'harmonie dans la société internationale. Cette journée du 17 mars fut donc une occasion pour les spécialistes chinois et francophones de partager leurs points de vue, leurs espoirs et leurs craintes concernant la place des cultures dans notre société mondialisée. « Seul le respect de la diversité culturelle permettra à la civilisation humaine de se développer », comme l'a souligné Cai Fangbai, ancien ambassadeur de Chine en France.
Du plan Marshall à la Convention de l'Unesco
La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l'Unesco défend depuis 2005 la diversité culturelle. Cependant, l'élaboration de ce texte fut un réel combat, a rappelé Roger Dehaybe, administrateur de l'AIF, Agence intergouvernementale de la Francophonie. La Convention fut un tournant par rapport à la crainte de la mondialisation globalisante, « rouleau compresseur ». Et c'est justement cette peur qui a provoqué la mobilisation de 148 Etats.
En 1948, avec le Plan Marshall, les Etats-Unis avaient exigé des européens que 25% des films diffusés en Europe soient américains. Depuis, la Francophonie a joué un rôle essentiel dans la lutte pour la diversité, notamment dans le cadre de l'Unesco. Sa voix fut entendue car cette organisation était légitime. Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, la négritude... L'histoire de la Francophonie est une histoire de la diversité, et, dès son départ, c'était un acte politique.
Après trente longues années de batailles à l'Unesco, la Convention sur la diversité culturelle voit le jour. Ratifiée par la Chine en 2007, ce texte a par ailleurs reçu un grand soutien du Vietnam, comme l'a rappelé Do Duc Thanh, ancien conseiller culturel de l'ambassade du Vietnam en France.
Malgré ces grandes avancées, selon le PNUD, plus d'un milliard d'individus dans le monde sont encore aujourd'hui exclus des services sociaux et économiques en raison de leur appartenance culturelle et religieuse. La question de la diversité culturelle à l'intérieur des Etats n'est pas encore réglée, et beaucoup de chemin reste à faire.
Diversités interne et externe
Ma Shengli, chercheur à l'Institut de l'Europe de l'Académie des sciences sociales de Chine, établit justement une distinction entre diversité interne et diversité externe. Dans les Etats-Unis des années 70, fut popularisée une diversité culturelle uniquement interne, privilégiant les latinos et les afro-américains. A l'inverse, sur le plan international, les USA n'ont jamais défendu la diversité culturelle, mais ont plutôt pratiqué une hégémonie culturelle, comme le déplore la majorité des intervenants de ce colloque.
Pour Ma Shengli, la France a fait exactement l'inverse des Etats-Unis. Elle défend la diversité culturelle internationale, tout en se battant pour l'unité nationale sur son territoire. Ce combat s'est notamment matérialisé par l'abandon des langues régionales, et la défense de l'identité nationale. De nombreux pays en développement apprécient la position française à l'international. Cependant, sa grandeur décline depuis un siècle, et l'hexagone supporte mal l'hégémonie américaine.
La Chine partage des conditions communes avec la France. Ma Shengli a cité le réseau des instituts Confucius, l'intensification de la communication internationale dans l'optique du soft power, et est revenu sur le contrôle du cinéma et de l'internet.
Afin d'illustrer la politique chinoise en matière de préservation de la diversité culturelle, Zhang Jinling, chercheur à l'Institut des minorités ethniques de l'Académie des Sciences sociales de Chine, a brossé une fresque historique de la protection et la promotion des cultures et des langues des minorités ethniques en Chine depuis 1949.
Quelques pistes pour l'avenir de la diversité
Saluant trois décennies de combat juridique et anticolonialiste à l'Unesco, Anne-Marie Laulan, chercheur au CNRS, a souhaité apporter une approche sociologique au débat. L'affectif et l'artistique peuvent venir au secours de la rationalité, estime cette professeur émérite à l'université de Bordeaux III. La sensorialité, le fait de « laisser filer les utopies », par le cinéma ou l'humain, permet d'expurger nos craintes de la différence avec l'autre. Ainsi, le combat pour la diversité ne doit pas être que législatif, car l'harmonie ne se décrète pas.
Avec son analyse de l'évolution de la Francophonie, Qi Jianhua a rappelé à juste titre la nécessaire actualisation de tout concept. Pour la directrice du CRF, Centre de recherche sur la Francophonie, la Francophonie englobe une population beaucoup plus large qu'auparavant, comprenant désormais tous les locuteurs français. Cette nouvelle composition ouvre d'autres perspectives de recherche.
Les entraves à la diversité ne manquent pas, et Hadj Miliani, professeur de Lettres à l'université de Mostaganem, a énuméré les plus sérieuses. Tout d'abord la numérisation du livre, et particulièrement le monopole de l'entreprise américaine Google dans ce domaine. Ensuite, l'inégalité de la propriété intellectuelle, protégeant les grandes entreprises, mais pas l'art des pays pauvres. Enfin, pour cet intellectuel algérien, la traduction constitue le nerf de la guerre de la diversité et de l'échange. Il a donc pointé le problème de concentration des entreprises du livre, notamment américaines, qui règnent en maître sur le monde de l'édition.
Au terme de cette table ronde sur la diversité culturelle dans la mondialisation, une occasion de promouvoir le dialogue entre cultures chinoise et francophone, Hadj Miliani a plaidé pour la création d'une agence culturelle de la Francophonie. Sur le modèle de l'agence universitaire, AUF, cette structure permettrait de promouvoir les industries culturelles, et les dynamiques culturelles modernes. Et Michel Guillot, titulaire de la Chaire Senghor de Lyon, de confier que ce projet faisait déjà son chemin au sein des institutions de la Francophonie.
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