Le 9 novembre, l'Allemagne a fêté en grande pompe le 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin, commémorant ainsi le « plus heureux moment » de l'Histoire. Des hommes et des femmes qui avaient vécu cet événement unique témoignaient pour les jeunes générations. « La chute du mur de Berlin, le redressement de la nouvelle Europe »… Les Unes des quotidiens ne tarissaient pas d'éloges sur cette victoire capitale de l'Europe sur le régime soviétique. Malgré ces célébrations, le reste du monde ne semble pas partager la liesse des européens. Car la victoire de 1989 semble loin au regard de la situation actuelle. L'Allemagne unie ne paraît pas supplanter l'ex Allemagne de l'Ouest. Si l'Europe poursuit son processus d'élargissement, le centre de gravité du monde se déplace discrètement vers le Pacifique. Aujourd'hui, l'Europe vit dans un espace restreint, coincée entre les Etats-Unis et les pays émergents. « Alors que les Européens ne se lassent pas de commémorer l'Histoire et de débattre à n'en plus finir, le reste du monde se focalise sur son développement et la préservation de ses avantages concurrentiels », a constaté un spécialiste chinois qui a séjourné en Europe pendant plusieurs années.
L'Allemagne célèbre le moment « le plus heureux » de son histoire
La chute du mur « fut l'un des moments les plus heureux de ma vie », a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel, qui vivait à Berlin-Est et travaillait comme scientifique à l'époque. Vingt ans après, elle a traversé avec émotion la ligne de pavés qui matérialise aujourd'hui l'ancien tracé du mur, en compagnie de deux figures historiques de la chute du communisme : l'ancien leader du syndicat polonais Solidarnosc, Lech Walesa, et l'ancien numéro un du régime soviétique, Mikhaïl Gorbatchev. Le choix du lieu des célébrations s'est porté sur l'ex-poste de la Bornholmer Strasse, l'un des premiers à avoir été ouverts, le 9 novembre 1989. Le renversement par Lech Walesa d'un millier de dominos géants, installés sur le tracé de l'ancienne frontière au cœur de la capitale allemande, fut le moment le plus fort de cette rencontre.
La secrétaire d'Etat américain Hillary Clinton, qui représentait les Etats-Unis en l'absence du président Obama, le président français Nicolas Sarkozy, le Premier ministre britannique Gordon Brown et le président russe Dmitri Medvedev ont assisté aux festivités. Dans son discours, Nicolas Sarkozy a estimé que la chute du mur, symbole de la fin de la guerre froide et du début de la grande époque de l'Europe, résonnait aujourd'hui comme un appel à combattre toutes les oppressions.
En revivant la chute du mur de Berlin, l'Europe fut prise d'une vive émotion, et d'un fort sentiment de fierté. D'après certains médias occidentaux, en deux décennies, l'Europe a réalisé des avancées considérables, comme le droit de dissoudre le gouvernement, ainsi qu'une plus grande liberté dans les échanges commerciaux. « Aucun historien ne peut nier les progrès de la nouvelle Europe. » Politiquement, les pays opposés à l'Europe occidentale à l'époque soutiennent aujourd'hui 40 % des forces de l'OTAN. De plus, l'économie prospère des deux côtés du mur. Malgré ces éloges, M. Gerard Butler de l'Université de Strathclyde a indiqué : « L'Europe a toute les raisons d'être fière d'elle. Cependant, il faut se prémunir contre un optimisme aveugle, et garder en tête que, coincée entre les Etats-Unis et les pays émergents, l'Europe continue de perdre de sa superbe. »
Une joie empreinte de doutes
Un expert chinois, qui a séjourné longtemps en Europe, s'étonne de voir que l'émotion liée à la chute du mur de Berlin puisse perdurer pendant déjà 20 ans. N'existe-t-il pas d'autres événements dont l'Europe puisse être fière ? Politiquement, le processus d'intégration européen est en proie à plusieurs vicissitudes. Le Traité de Lisbonne, qui va finalement entrer en vigueur, ne s'avère être qu'un enrobage de la Constitution européenne rejetée précédemment. Economiquement, l'Europe affronte la concurrence toujours plus féroce des pays émergents.
En réalité, la joie des Européens est empreinte de doutes. Le 9 novembre, la Tribune a organisé un débat sur le lien entre la chute du mur et le processus d'intégration européenne. A la tribune se sont affrontés les partisans de la chute du mur et d'une Europe unie, et ceux qui considèrent que l'ex RDA et les nouveaux alliés de l'Europe de l'Est sont à la traîne et freinent l'Europe. Selon Radio Normandie, la vie des allemands de l'Est ne s'est pas réellement améliorée depuis la réunification. « Les commémorations de 1989 traduisent les inquiétudes actuelles quant à l'avenir du capitalisme », d'après l'AFP. Dans une récente enquête internationale sur l'avenir du capitalisme portant sur un échantillon de 29 033 personnes dans 27 pays, 51 % estimaient que le capitalisme rencontrait des difficultés, et 23 % pensaient que ces difficultés lui seraient fatales.
Débat international autour du nouveau mur de Berlin
Selon un commentaire publié sur Arabgate.com, l'Occident ne doit pas se gargariser de la chute du mur, car sur le terrain, divergences et barrières sont encore solides et nombreuses entre l'Ouest et l'Est. Cet événement, vieux de 20 ans, ne peut donc pas symboliser la victoire du capitalisme sur le socialisme.
Pour le Premier ministre russe Vladimir Poutine, l'élargissement de l'Otan vers l'Est a bâti un nouveau mur de Berlin invisible. Mikhaïl Gorbatchev a rappelé quant à lui qu'après la réunification de l'Allemagne, l'Occident avait promis de ne pas déplacer l'Otan d'un seul centimètre vers l'Est.
« Ces 20 dernières années, la Russie a beaucoup médité sur son histoire et son avenir, alors que l'Occident ne s'est jamais véritablement livré à ce type d'exercice. Sans le concours de l'Union soviétique, ni la chute du mur de Berlin ni la fin de la guerre froide n'auraient été possibles. Pour les Russes, on a non seulement démoli le mur à Berlin, mais aussi détruit le mur au fond des cœurs. En revanche, le cœur des occidentaux reste abrité par un mur idéologique, qui est la cause première des affrontements », a affirmé un professeur de l'Université de Moscou.
L'Europe en déclin cherche du réconfort
Les médias occidentaux pensent toujours incarner l'unique moral. Et avec cette « confiance en eux », ils s'arrogent le droit de critiquer à leur gré les autres. Le 8 novembre dernier, le quotidien allemand Die Welt reprochait à la police russe son recours systématique à la violence. Le Quotidien de Berlin a accusé la Chine d'avoir construit un « mur en ligne » sur internet. D'autres médias occidentaux ont profité du 20e anniversaire de la chute du mur pour s'en prendre au régime chinois.
M. Wang Zhenhua, chercheur à l'Institut de recherche sur l'Europe de l'Académie des sciences sociales de Chine, tente de découvrir une logique à toutes ces critiques. D'après lui, l'Europe demeure la région la plus idéologisée du monde depuis la fin de la guerre froide. Le droit à la critique, qui n'a d'égal que son idéologie, reste la dernière arme dont elle dispose pour préserver son autorité et consolider sa position. Entre la cérémonie du 9 novembre à Berlin et la réunion de l'APEC, le président américain Barack Obama a choisi de se rendre au Sommet, démontrant de fait le déplacement du centre de gravité du monde vers le Pacifique. Alors que les chefs d'Etat d'Asie se réunissaient pour préparer l'avenir, leurs homologues européens se plongeaient dans leur passé.
Selon un expert chinois qui travaille en Europe, l'ère des rivalités idéologiques est révolue. l'Europe doit tourner son regard vers l'avenir et se débarrasser de son obsession idéologique. Et ces célébrations grandioses ne constituent qu'un maigre réconfort pour une Europe prise entre Etats-Unis et des pays émergents.
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