« Malgré les pillages, un trésor demeurait : le programme ornemental »
Selon Françoise Wang, ce programme ornemental revêt une importance capitale comparé aux tombeaux des Ming, notamment le Dingling de l'empereur Wanli (r.1572-1620), exhumé dans les années 1950. « Dingling est un tombeau où l'on trouve un grand nombre de trésors, mais les murs, les parois et les voûtes sont vides de toute inscription et de toute décoration. Par contre, dans le tombeau de Qianlong, six des neuf chambres, Juan en chinois, sont décorées d'inscriptions et de sculptures du sol au plafond », a-t-elle expliqué.
Un fort contraste entre le Dingling (à gauche) et le Yuling (à droite)
–––Les huit grand bodhisattvas et les quatre Rois Célestes
Parmi les sculptures, celles des huit grand bodhisattvas, êtres éveillés représentant chacun des qualités particulières du Bouddha, sont faciles à distinguer. Ces huit personnages sont sculptés sur chacune des portes permettant d'accéder aux différentes salles. « Chacun de ces bodhisattvas peut être identifié, car ils ont des attributs bien particuliers. Par exemple, le bodhisattva de la sagesse (Manjusri) est caractérisé par l'épée et le livre au dessus de ses épaules. L'épée de la Sagesse sert à trancher l'ignorance ; et le soutra, c'est le livre de la perfection de la sagesse (Prajna paramita). Pour chacun de ces huit bodhisattvas, les attributs représentés sur les lotus permettent de les identifier formellement », a précisé la sinologue.
Autre catégorie de sculptures, les quatre Rois Célestes, que l'on observe sur les murs latéraux. Ils gardent, de chaque côté, l'entrée de la première chambre, et possèdent chacun des attributs permettant de les identifier.
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Dhrtarastra devaraja, Roi céleste Gardien du Pays. Divinité protectrice de l'Orient, il est le maître des gandharva (esprits musiciens) et des pisaca, sorte de démons émaciés. |
–––Les offrandes de cinq sens et les huit signes auspicieux
Des offrandes bouddhiques ont également été sculptées à l'intérieur du tombeau. « On trouve par exemple les offrandes des cinq sens, que sont le miroir, le luth, la conque emplie de parfum, le bol rempli de fruits, et des tissus de vêtements destinés à chacun des sens. Là encore, ce sont des offrandes typiques du rituel bouddhique », a précisé la spécialiste.
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Les cinq sens, ou cinq désirs, sont des pulsions de possession provenant du contact des cinq organes des sens avec les cinq objets sensoriels (la forme, le son, l'odeur, le goût et la texture). |
« Parmi les offrandes représentées sur une voûte, on trouve les Huit Signes Auspicieux (ou les huit symboles de bon augure), qui sont donnés avec leur correspondance en sculpture, à savoir le parasol, la bannière de victoire, la conque blanche, les deux poissons dorés, le lotus parfait, la roue du dharma, le nœud infini et le vase d'abondance », a-t-elle ajouté.
Les Huit Signes Auspicieux
–––Les 35 bouddhas de confession
D'après les annales impériales, le tombeau renfermait par ailleurs 35 bouddhas de confession. « Ces bouddhas sont un peu cachés, dispersés sur la voûte, ou isolés au-dessus de certaines portes. Jusqu'à présent, les 35 bouddhas n'avaient pas été identifiés. En fait, en regardant bien, on découvre les noms en tibétain de ces bouddhas. Leur identification ne pose donc aucun problème. Il s'agit bien là des 35 bouddhas de confession », a indiqué la sinologue.
Dans la dernière chambre, chambre funéraire, reposent les cercueils de la concubine, de l'impératrice, et de l'empereur. « Le cercueil de la concubine est magnifiquement ornementé de textes en tibétain. Ce sont des textes que j'ai pu identifier car ce sont des prières relativement courantes. On y trouve notamment une prière liée aux 35 bouddhas de confession, des prières de purification ainsi que des prières pour renaître dans les terres pures bouddhiques ».
La passion de Qianlong pour les Dharanis
Les Dharanis ou Mantra-Dharanis, littéralement "préserver et soutenir", sont des mots ou syllabes sacrés, destinés à protéger contre le mal celui qui les prononce. Ce sont des formules mnémotechniques permettant de garder à l'esprit, et sans altération, un enseignement du Bouddha. A l'intérieur du tombeau, les traces omniprésentes de ces formules réputées protectrices témoignent du grand intérêt de l'empereur pour le bouddhisme tibétain.
« Qianlong était fasciné par les Dharanis, par les Mantras. A titre d'exemple, il va faire compiler une encyclopédie afin de répertorier toutes les Dharanis présentes dans les canons chinois. La raison de ce travail colossal ? Qianlong estime que la prononciation chinoise des Dharanis est erronée. Il entreprend donc la rédaction de cet immense recueil en 18 volumes, pour que les moines chinois prononcent correctement les Dharanis », a expliqué Françoise Wang.
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L'Empereur Qianlong en costume bouddhiste, Puning si, c. 1758, anonyme. Thangka, couleur sur tissu. Musée du Palais impérial, Pékin |
« On a des traces dans les archives impériales : Qianlong se mettait en colère lorsque les Dharanis étaient mal transcrites, car ces formules ne valent pas par leur sens, mais par leur son. C'est la sonorité qui fait toute l'efficacité d'une Dharani. Généralement, elles n'étaient pas traduites. Quand le bouddhisme est venu de l'Inde vers les pays de culture non indienne, on ne le traduisait pas, on le transcrivait. C'est pour cette raison que l'on trouve les écritures de Langsta et de Siddham du côté chinois et japonais. Un dernier point : on a souvent dit que l'intérêt de Qianlong pour le bouddhisme tibétain était motivé par des raisons politiques : cela permettait de maîtriser les populations mongoles. C'est certainement vrai, et c'est un point très important. Cependant, une tombe reste un lieu très intime, qui, en toute logique, doit rester scellé à jamais. Il paraît donc impossible de donner une dimension politique à l'ornementation de son tombeau », a–t-elle poursuivi.
Avant que le couvercle du cercueil de la concubine ne soit réduit en poussière par l'humidité, Françoise Wang a réussi à déchiffrer les Dharanis copiés sur le couvercle. « D'après les photos prises au moment de l'ouverture du tombeau de Qianlong, le cercueil intérieur de cet empereur était encore plus magnifiquement ornementé que celui de sa concubine. Malheureusement, il est probablement très endommagé par l'humidité, et la photo qui était prise à l'époque ne nous permet pas encore d'identifier les inscriptions. Ceci dit, en examinant de plus près le cercueils extérieur, j'ai découvert un texte manuscrit à l'encre d'or. On y distingue les fragments d'une prière de bon augure très courante : « Que tous les jours puisse venir le bonheur, que toutes les nuits puisse se développer le bonheur, que jour et nuit le bonheur soit là » C'est une prière que l'on trouve par exemple, sur les hadas – des écharpes blanches cérémonielles régulièrement utilisées dans les régions de culture tibétaine. Ce qui est intéressant, c'est que dans le tombeau, il y a des hadas de ce type qui ont été posées sur le cercueil. On peut donc imaginer que ce texte symbolisait le fait de poser une hada sur le cercueil de Qianlong ».
D'après le Compendium des rapports écrits à l'encre rouge envoyés au Palais impérial, hormis des sculptures bouddhiques, presque 29 464 caractères tibétains et 647 caractères en écriture indienne étaient gravés dans la tombe de Qianlong. Cette écriture indienne, appelée Lantsa, est spécifique du Népal et de l'aire tibétaine, alors que dans un contexte chinois, c'est l'écriture Siddham qui prédomine.
« Lors que je suis arrivé au tombeau en 2004, l'ensemble de ces textes n'avait pas été identifié. Je les ai transcrits, parfois en utilisant des jumelles, car certaines parois s'élèvent jusqu'à 7 ou 8 m de haut. Aujourd'hui, 99,8% a été identifié », a déclaré la Française avec fierté.
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