Le 10 septembre 2009, le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a participé à la cérémonie d'ouverture de la IIIe édition de la conférence annuelle d'été de Davos, à Dalian en Chine, et s'est entretenu avec des industriels. A ces occasions, il a répondu aux questions de Klaus M. Schwab, président du Forum économique mondial et des industriels. Nous publions ci-après le contenu de l'interview.
K.M Schwab : Dans le 11e plan quinquennal chinois et le plan national pour 2008 de lutte contre le changement climatique, élaboré et publié par le gouvernement chinois, la Chine a fixé des objectifs précis de lutte contre le changement climatique, qui se réalisent progressivement. Quels seront les tâches et les objectifs du 12e plan quinquennal en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique ? Et à quels facteurs restrictifs devra faire face le gouvernement chinois au cours de la réalisation de ces objectifs ?
Wen Jiabao : Dans le 11e plan quinquennal, nous avons fixé l'objectif d'abaisser de 20 % la consommation de l'énergie par unité de produit intérieur brut (PIB). A en juger par la situation actuelle, cet objectif devrait être atteint, comme prévu, en 2010. Nous avons renforcé la réduction de la consommation d'énergie. Seules les petites centrales thermiques, nous avons éliminé plus de 50 millions de kW. A partir du 12e plan quinquennal, nous fixerons, comme objectifs à long terme pour le développement durable, l'économie d'énergie et la réduction des émissions polluantes. En 2020, la consommation d'énergie par unité de PIB connaîtra une baisse sensible. La Chine a traversé des périodes de développement différentes de celles des pays développés occidentaux. Depuis la révolution industrielle, l'Occident a connu un développement industriel de 250 ans, alors que celui de la Chine est récent et ne remonte qu'à quelques dizaines d'années. C'est pourquoi nous devons, d'une part, promouvoir le développement, et d'autre part, persister dans l'économie d'énergie et la réduction des émissions polluantes. Bien traiter le rapport entre les deux permettra de réaliser le développement durable. Sans développement, nous n'aurions pas de quoi réduire la consommation d'énergie et les émissions polluantes. Citons un exemple. En Chine, la consommation électrique annuelle par habitant est de 2 580 kWh, soit seulement un cinquième de celle des Etats-Unis et un tiers de celle du Japon. Toutefois, la Chine compte une population de 1,3 milliard d'habitants et se trouve dans une période de développement accéléré de l'industrialisation et de l'urbanisation. Ainsi, le pays a encore un long chemin, difficile et pénible, à parcourir avant de parvenir à développer l'économie écologique et à réaliser l'économie d'énergie et la réduction d'émissions polluantes. Lutter contre le changement climatique est la responsabilité de toute la planète. Les pays développés comme les pays en développement doivent poursuivre la voie du développement écologique — investissement vert, consommation verte et croissance verte. Mais cela demande un processus. Dans ce processus, les pays en développement y compris la Chine, doivent coopérer avec les pays développés pour répondre ensemble au changement climatique. Ils doivent persister dans les principes et les stipulations de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique et le Protocole de Kyoto, et s'en tenir au principe de « responsabilités communes, mais différenciées ». Premièrement, les pays développés doivent renforcer l'économie d'énergie et la réduction des émissions polluantes pour atteindre les normes du Protocole de Kyoto. Deuxièmement, les pays développés doivent accorder une assistance technique et financière aux pays en développement, pour leur permettre d'accroître leur capacité à construire leur pays. Troisièmement, les pays en développement doivent, quant à eux, conformément à leurs propres caractéristiques, prendre des mesures concernant l'économie d'énergie et la réduction des émissions polluantes, développer l'économie écologique, et appliquer largement de nouvelles techniques visant à diminuer l'émission de dioxyde de carbone. Quant à la Chine, elle jouera un rôle positif et constructif à l'occasion de la Conférence de Copenhague. Nous espérons que la conférence aboutira à des résultats substantiels.
K.M Schwab : En janvier dernier, à l'occasion du Forum d'hiver de Davos, vous avez présenté le contenu concret du plan global de relance économique de 4 000 milliards de yuans et vous avez mentionné d'importants investissements gouvernementaux. Vous avez également souligné qu'il fallait faire jouer le rôle du marché et encouragé les investissements chinois privés et étrangers à participer au plan global. Le gouvernement chinois envisage-t-il d'encourager les investisseurs internationaux à investir dans les fonds privés de Chine ?
Wen Jiabao : Tout d'abord, je voudrais expliquer en quoi consiste l'investissement chinois de 4 000 milliards de yuans. Mon gouvernement projette de débloquer 1 180 milliards de yuans, dans l'espoir d'entraîner 4 000 milliards de yuans d'investissements sociaux et d'investissements provenant des autorités locales. A la fin du mois de juillet 2009, parmi les investissements de l'autorité centrale, les investissements dans les logements à prix et loyers fixés, les établissements sociaux et les projets visant à amélioration les conditions de vie de la population représentaient 52,4 %. Les investissements dans l'innovation indépendante, l'économie d'énergie et la réduction des émissions polluantes, la refonte technique et la protection de l'environnement représentaient 24,7 %, tandis que ceux lancés dans la construction des infrastructures, notamment la construction de voies ferroviaires, de routes et d'aéroports, n'étaient que de 22,9 %.
En dépit de sa réserve de devises étrangères qui dépassent les 2 000 milliards de dollars, la Chine souhaite toujours la bienvenue aux capitaux étrangers, notamment à ceux permettant d'introduire des techniques et de l'expérience de gestion avancées. A l'heure actuelle, les capitaux étrangers sont introduits en Chine sous deux formes : les investissements directs et les investissements dans les marchés de capitaux. Nous absorberons davantage de capitaux étrangers avec comme condition préalable le maintien de la stabilité des marchés de capitaux.
K.M Schwab : Le renminbi est en train de devenir une monnaie internationale. La Chine favorise depuis quelques temps le règlement en yuans dans le commerce transfrontalier. Le gouvernement chinois a-t-il établi un calendrier concernant l'internationalisation du renminbi et quels en seront les défis et les opportunités ?
Wen Jiabao : Le montant de la circulation transfrontalière du renminbi a augmenté, entraînant une augmentation proportionnelle de son statut sur les marchés internationaux. Cependant, pour le moment, la monnaie chinoise est convertible que pour les opérations de la balance courante, mais pas pour les mouvements de capitaux. Sur le chemin de l'internationalisation du yuan, nous devons nous estimer correctement. Le fait que la monnaie d'un pays soit reconnue internationalement ou non et qu'elle devienne une monnaie de circulation principale ou non, dépend essentiellement de la puissance économique du pays. C'est la loi du marché. Si les conditions ne sont pas remplies, accélérer artificiellement le processus ne servira à rien, et inversement, si la situation se présente, tenter d'enrayer le processus ne servira à rien. En ce qui concerne la Chine, nous avons pris les mesures suivantes : premièrement, nous avons procédé à titre d'essai au règlement en yuans dans le commerce transfrontalier dans certaines villes, à savoir Shanghai, Guangzhou, Shenzhen, Zhuhai et Dongguan. Deuxièmement, nous avons échangé mutuellement avec certains pays l'étalon monétaire d'un montant total de 650 milliards de yuans. Tout ceci témoigne de l'évolution de l'internationalisation du yuan. Toutefois, il reste encore un long chemin à parcourir avant que ce dernier ne devienne véritablement une monnaie internationale.
K.M Schwab : Pourriez-vous nous parler de la puissance douce de la Chine ? Lorsque plusieurs pays occidentaux, en particulier les Etats-Unis, concentrent leur attention sur les questions de l'Iran, de l'Iraq et de l'Afghanistan, la Chine met, quant à elle, l'accent sur d'autres régions, telles que l'Amérique latine, l'Afrique et le Moyen-Orient. Les activités chinoises dans ces régions font peut-être l'objet de malentendus. Pourriez-vous nous présenter l'objectif de la politique étrangère chinoise ?
Wen Jiabao : Un grand nombre de personnes ne savent pas que les bonnes relations qui existent entre la Chine et l'Afrique ne datent pas d'hier. Peu après la fondation de la Chine nouvelle, la Chine avait, déjà, commencé à venir en aide à l'Afrique. La Chine et l'Afrique ont un passé similaire. Nous respectons la souveraineté nationale, l'intégrité territoriale et l'indépendance de l'Afrique. Même dans les moments les plus difficiles, nous avons aidé l'Afrique à construire des chemins de fer et y avons lancé des missions médicales. L'assistance est réciproque. L'Afrique soutient la Chine comme une sœur. C'est grâce à l'aide de ses frères africains que les droits légitimes de la Chine ont été rétablis au sein de l'ONU ». Tout comme le dit un proverbe chinois, il faut oublier les faveurs que l'on a rendues, mais garder dans son cœur celles qui ont été faites par les autres.
Je pense que « la puissance douce de la Chine » signifie que la montée en puissance de la Chine se fait dans le respect des autres pays, notamment des pays en développement et des pays les moins développés, c'est-à-dire que parallèlement à son propre développement, la Chine s'efforce d'aider de son mieux les autres pays. J'espère que, dans leur lutte contre la crise financière, les pays développés n'oublient pas les pays les plus défavorisés. J'espère également que c'est dans cette optique que se déroule le Forum de Davos. Il s'agit certes d'un Forum entre pays riches, mais c'est également le Davos des pauvres. Il s'intéresse non seulement à la croissance des pays développés et des 500 plus puissantes entreprises mondiales, mais il a également fixé les objectifs du Millénaire pour le développement, et, se consacre à la résolution des problèmes de la famine, de la pauvreté et des maladies graves dans le monde.
K.M Schwab : Le taux de croissance économique de la Chine a été de 7,1 % au cours de la première moitié de l'année. La Chine atteindra-t-elle son objectif fixé en début d'année ?
Wen Jiabao : A l'heure actuelle, l'objectif fixé par la Chine pour son développement économique est réalisable. En fait, je ne prête pas beaucoup d'attention à l'objectif du PIB. Il existe d'autres indices plus importants. Tout d'abord, le taux de l'emploi. Nous avons prévu la création de 9 millions de nouveaux emplois cette année. Entre janvier et juillet, le nombre d'actifs a atteint les 6,66 millions. Ensuite, la qualité et le rendement de la croissance économique. Nous devons non seulement atteindre notre objectif de croissance économique, mais également faire avancer la restructuration. Il faut notamment renforcer la fusion, la réorganisation et l'élimination des unités de production arriérées et réajuster la structure afin que notre croissance économique repose sur une base solide et fiable. Enfin, l'économie d'énergie et la réduction des émissions polluantes. Il faut réduire la consommation excessive des ressources au profit des ressources et de l'environnement, réaliser les objectifs fixés en matière d'économie d'énergie et de réduction des émissions polluantes dans le 11e plan quinquennal, et garantir un développement durable à l'économie chinoise. Je m'intéresse également à un grand nombre d'indices concernant la vie quotidienne de la population chinoise. A partir de cette année et d'ici trois ans, nous allons mettre en application la réforme du système médical et sanitaire. Nous avons augmenté le budget financier de 850 milliards de yuans, dont 330 milliards seront affectés par les finances centrales. Depuis la seconde moitié de l'année, nous avons mis en application la nouvelle assurance-vieillesse dans 10 % des régions rurales pilotes. Par ailleurs, la réforme du système salarial basé sur les performances pour le corps enseignant, médical ainsi que pour d'autres catégories professionnelles est en application. L'économie chinoise possède une grande marge et un large potentiel de développement. En plus des objectifs fixés pour cette année, nous réfléchissons également au développement régulier et rapide du pays pour l'année prochaine, voire même pour 2011.
K.M Schwab : Aujourd'hui, plus de 1 000 auditeurs ont écouté votre allocution. Ils sont issus des milieux industriel et commercial. Certains d'entre eux viennent d'entreprises privées, d'autres, d'entreprises d'Etat. Quels messages souhaitez-vous transmettre aux PDG de ces entreprises ? Et que peuvent-ils faire pour vous aider à atteindre les objectifs de développement de la Chine ?
Wen Jiabao : Les entreprises représentent une part importante de l'économie nationale. Les impôts versés par les entreprises sont la principale source des recettes financières de l'Etat. Les entreprises doivent s'efforcer d'augmenter leurs rendements afin de créer une base solide pour la reprise économique. C'est seulement quand les entreprises fonctionnent bien et que leurs profits augmentent que les recettes financières nationales s'accroissent et que le gouvernement est capable de dépenser plus d'argent pour servir la population. Le plus grand défi auquel nous devons faire face à l'heure actuelle est la surcapacité de production que connaissent certains secteurs en raison de la diminution brutale de la demande extérieure. Certaines entreprises sont ainsi confrontées à de nouvelles difficultés. Elles doivent accélérer la restructuration et se défaire des unités de production arriérées. L'innovation technique leur permettra d'acquérir une place importante sur les marchés étrangers. Je souhaiterais attirer l'attention du Forum de Davos sur deux points. Ce dernier représente un évènement extraordinaire dans le monde. Il se distingue par sa prévoyance et sa stratégie concernant les questions économiques internationales. C'est pourquoi il fait l'objet de l'attention du monde entier. J'espère que sur cette base, le Forum accordera une plus grande considération à deux choses. Premièrement, il faut accorder une grande attention à l'économie des pays sous-développés, en particulier à celle des pays les moins développés. Il faut lier les activités du Forum de Davos à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement. Deuxièmement, le Forum doit, tout en prenant en compte le développement économique, s'intéresser au progrès du bien-être social. S'il parvient à combiner le développement économique avec les œuvres sociales telles que la médecine, la santé, l'éducation ou bien encore les sciences et technologies, il obtiendra des résultats encore plus brillants.
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