Yang Chuang, professeur à l'Institut de la Diplomatie
Les Etats-Unis et la Russie se sont engagés à réduire leurs arsenaux nucléaires stratégiques lors d'une rencontre entre Barack Obama et Dmitri Medvedev à Moscou. Toutefois, cela n'a pas permis de dissiper les divergences traditionnelles existant entre les deux pays.
Les 6, 7 et 8 juillet 2009 marquent une étape importante dans l'histoire des relations américano-russes. Le 6 juillet dans l'après-midi, l'avion présidentiel, Air Force One, s'est posé à l'aéroport de Vnoukovo. Le président Barack Obama a ainsi entamé sa première visite en Russie depuis son investiture. Cette visite fait suite à la rencontre entre les deux chefs d'Etat, en avril à Londres, au cours de laquelle les deux parties se sont mises d'accord pour redémarrer les négociations sur le désarmement et signer notamment un nouvel accord destiné à remplacer le Traité de la réduction des armes stratégiques de 1991 (START I) qui expirera le 5 décembre prochain. En plus du désarmement, l'entretien des deux dirigeants a également porté sur le réchauffement climatique, la crise financière, le système antimissile, la question nucléaire de l'Iran ainsi que la situation en Afghanistan. Même si les médias américains ont qualifié l'attitude de l'hôte russe de glaciale, la visite du président Obama a finalement été fructueuse. Cette visite a non seulement mis fin à la suspension, depuis l'Administration Bush, des visites des chefs d'Etat entre les deux pays, mais a également abouti à une conclusion sur la deuxième phase de désarmement américano-russe. Dans la déclaration commune issue de cette visite, les Etats-Unis et la Russie ont accepté de ramener leur nombre respectif d'ogives à environ 1 500 ou 1 675 têtes nucléaires.
Une conclusion qui correspond aux relations bilatérales
Selon le Washington Post, les deux chefs d'Etat se sont mis d'accord sur le nouveau traité destiné à remplacer le traité START I qui expirera en décembre prochain, et ont publié une déclaration conjointe, considérée comme le plus important fruit de cette rencontre. La Russie a ainsi autorisé les Etats-Unis à effectuer 4 500 liaisons aériennes par an, pour le transit de leurs chargements (soldats et matériels militaires) à destination de l'Afghanistan.
Le traité START II, qui devrait être signé à Moscou avant fin 2009, constitue un effort réel du gouvernement Obama dans la réduction des armes nucléaires mondiales. Il est considéré comme une partie importante de la politique de non-prolifération nucléaire que le Pentagone essaie de valoriser dans le monde entier. Pour Barack Obama, le désarmement réciproque entre les Etats-Unis et la Russie constitue un jalon crucial dans la recherche de solutions concernant les questions nucléaires en Iran et dans la péninsule coréenne.
Malgré une telle signification, les médias américains émettent des réserves sur la visite de leur président à Moscou. Selon un éditorial du Washington Post publié le 6 juillet, le président Obama aurait du subir une attitude glaciale de la part de Moscou. Or, lors de la conférence de presse qui a suivi la rencontre des deux chefs d'Etat, un journaliste américain a demandé au président Obama s'il savait qui du président ou du premier ministre détenait le pouvoir en Russie. En réponse à cette question provocatrice, le président russe a éclaté de rire. Quant au Washington Post, il a annoncé le programme du petit-déjeuner entre Obama et Poutine qui a eu lieu le 7 juillet, tout en précisant que c'était pourtant Medvedev l'interlocuteur du président américain. Cette explication semble cacher quelque chose.
Des divergences stratégiques qui ne peuvent se dissimuler
Malgré divers accords mineurs conclus, les Etats-Unis et la Russie n'ont pas pu s'entendre sur certaines questions stratégiques. Le Pentagone n'abandonne pas ses manœuvres pour installer le bouclier antimissile en Europe centrale et orientale tandis que la Russie s'oppose fermement à des sanctions sévères contre l'Iran. Les Etats-Unis font la sourde oreille quand la Russie expriment leurs soucis de voir une alliance militaire se créer entre les Etats-Unis, la Géorgie et l'Ukraine. Des divergences majeures, héritées de l'Administration Bush, persistent. La seule concession que le président Obama s'engage à faire, c'est d'intégrer la question du système antimissile dans les négociations américano-russes sur la limitation des armements. La partie américaine a également réitéré le fait que le système antimissile ne visait pas la Russie. Il servira de bouclier contre les menaces venues des pays comme l'Iran et la Corée du Nord.
D'après certains analystes étrangers, le président Obama a pimenté sa visite en déclarant que M. Poutine avait « un pied dans la vieille manière de conduire les affaires, et un pied dans la nouvelle ». Le premier ministre russe lui a alors répondu que c'était à Washington de renoncer à sa « mentalité des blocs ». Finalement, Barack Obama et Vladimir Poutine n'ont pas eu d'entretien concret à Moscou. En ce qui concerne la réduction des armes nucléaires stratégiques, il n'existe pas de désaccord entre M. Poutine et M. Medvedev. Par contre, des différences peuvent être observées entre Barack Obama et son prédécesseur. Dans les relations américano-russes, certains problèmes légués par George W. Bush nécessitent la révision du gouvernement Obama. Se défiant depuis 50 ans, les deux adversaires de la Guerre froide voient leurs relations se caractériser par une coexistence de coopérations et d'affrontements.
Sous l'impulsion américaine, l'Otan a réalisé son troisième processus d'élargissement à l'Est. En avril 2008, l'Albanie et la Croatie ont été invitées à adhérer à cette organisation dont les pays membres s'élèvent désormais à 27.
En janvier 2007, les Etats-Unis ont proposé l'installation de leur bouclier antimissile et de sa station radar en Pologne et en République tchèque. Ce projet d'expansion militaire en Europe de l'Est a tout de suite suscité la vigilance de la Russie. Le président Poutine a remplacé la stratégie nationale de la dissuasion nucléaire par une stratégie plus active, à savoir celle de la sécurité nucléaire. Il a annoncé la reprise, depuis le 17 août 2007, des patrouilles permanentes de bombardiers stratégiques dont les vols avaient été suspendus pendant 15 ans. De plus, la marine russe a effectué un retour dans l'Atlantique et en Méditerranée en y déployant plusieurs porte-avions de la flotte du Nord. Le 8 février 2008, des bombardiers russes ont survolé le porte-avion américain Nimitz.
Face à des négociations diplomatiques infructueuses, ces deux puissances militaires se sont lancées dans une nouvelle course aux armements. Lors des négociations qui ont eu lieu le 12 octobre 2007, les Etats-Unis ont insisté sur leur projet d'installer un système antimissile en Europe de l'Est, mais se sont engagés à ne pas le mettre en opération. Les propositions russes, concernant notamment l'envoi de représentants militaires russes en Pologne et en République tchèque, et l'utilisation commune de la station de radars en Azerbaïdjan, n'ont pas eu de suite favorable. Le 18 mars 2008, un nouveau cycle de négociations a été entamé, mais aucune conclusion n'a abouti concernant le système antimissile.
Dans ce contexte, la Russie a décidé de modifier son attitude en prenant des mesures sévères : 1, menacer de dénoncer le Traité des forces nucléaires (TFN) ; 2, suspendre officiellement sa participation au Traité sur les forces conventionnelles en Europe (TCE) ; 3, effectuer des essais fréquents de ses missiles stratégiques Topol-M ; 4, procéder à la reprise des patrouilles aériennes de bombardiers stratégiques ; 5, effectuer des exercices militaires conjoints avec des pays d'Amérique latine ; 6, renouveler son arsenal nucléaire ; 7, déployer de nouveaux missiles russes en Biélorussie et à Kaliningrad ; 8, établir des bases de lancement de missiles stratégiques en Extrême-Orient ; 9, s'opposer à l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'Otan et exercer des pressions sur l'Ukraine en jouant la carte de l'énergie ; 10, reconnaître l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkrazie après un conflit armé avec la Géorgie en août 2008 ; 11, pousser le Kirghizistan à fermer la base aérienne de Manas en échange des aides économiques russes.
Le 19 janvier 2008, le chef d'état-major russe, Youri Balouevsky, a annoncé qu'en cas de nécessité pour la protection de la Russie et de ses alliés, les forces armées, y compris le recours à l'attaque préventive et aux armes nucléaires, seraient mobilisées. Techniquement, le système de défense russe intercepterait automatiquement tous les missiles lancés depuis la Pologne. Cette déclaration a suscité l'inquiétude mondiale face à un éventuel affrontement militaire entre les Etats-Unis et la Russie. Mais en réalité, les Etats-Unis et la Russie ne cherchent qu'à gagner plus d'enjeux dans les négociations. Seule la voie diplomatique arriverait à dissiper les divergences.
La conclusion récente répond aux intérêts des deux parties
Les relations américano-russes sont marquées par des problèmes légués par le passé. Ces derniers sont assez lourds pour accabler ces deux anciens adversaires. En se reprochant de la mentalité de la Guerre froide, ils aspirent à l'amélioration des relations bilatérales, qui nécessite un accord sur la réduction des armes nucléaires stratégiques.
Du côté américain, cet accord correspond à son besoin. Depuis l990, les Etats-Unis prônent activement le désarmement et la politique de non-prolifération nucléaire afin de persuader la communauté internationale de prolonger indéfiniment le Traité de la non-prolifération nucléaire, et de faire participer tous les pays au Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires dans le cadre du désarmement nucléaire de l'ONU. Cette position a de réelles significations : primo, après l'effondrement de l'URSS, les Etats-Unis n'ont plus besoin d'un énorme arsenal, nécessaire en cas d'affrontements d'envergure avec les Soviétiques. Une réduction des armements ne brisera pas l'équilibre stratégique et les avantages américains en termes de forces nucléaires. Par contre, cette réduction évitera une nouvelle course au nucléaire entre les Etats-Unis et la Russie, et contraindra les autres pays dans le développement de leurs forces nucléaires. Secundo, la prolifération nucléaire s'est accélérée après la Guerre froide, ce qui nuit aux intérêts stratégiques américains. Par conséquent, la non-prolifération nucléaire est devenue un objectif majeur de la politique de sécurité et de désarmement du Pentagone. Les défis ont obligé les Etats-Unis à s'engager dans la non-prolifération des armes à destruction massive.
Du côté russe, la limitation des armements stratégiques soulagera sans doute les finances publiques. Depuis les années 1990, la Russie ne cesse de jouer un rôle actif lors des forums internationaux sur le désarmement et la non-prolifération nucléaire. Après avoir effectué son dernier essai nucléaire à Novaya Zemlya le 24 octobre 1990, l'URSS a décidé de suspendre les essais pendant les quatre premiers mois de 1991, et a fermé le polygone nucléaire de Semipalatinsk au Kazakhstan. Après l'effondrement du bloc soviétique, la Russie possédait une expérience nucléaire de plusieurs centaines d'essais. Grâce à son arsenal et à sa capacité technique, elle a su maintenir sa place de superpuissance nucléaire. Cependant, les difficultés économiques l'ont empêchée de rénover ses techniques et de renouveler son arsenal. Dans ce contexte, la Russie soutient fermement l'interdiction des essais nucléaires de façon à promouvoir la coopération sur la sécurité avec les Etats-Unis et de geler les recherches sur les armes nucléaires des autres pays, car c'est le seul moyen de maintenir ses avances en termes de forces nucléaires. La Russie a, maintes fois, prolongé l'arrêt de ses essais nucléaires, et a continué à encourager les Etats-Unis à participer aux négociations multilatérales sur l'interdiction des essais nucléaires dans le cadre de la Conférence sur le désarmement à Genève.
En fait, l'accord sur le désarmement russo-américain START II avait été ratifié le 14 avril 2000 par la Douma qui y a émis cependant une condition préalable : si, malgré cela, les Etats-Unis n'abandonnent pas leur projet de bouclier antimissile régional, le START II ne pourra pas être mis en application. Le lendemain de cette ratification, le président Poutine a lancé un avertissement : si les Etats-Unis ne remplissent pas leurs devoirs stipulés dans le traité, la Russie ne détruira aucune de ses ogives nucléaires d'ici 2007. Il a aussi menacé de retirer la Russie de tous les accords portant sur la réduction des armes nucléaires et conventionnelles si les Etats-Unis ne respectaient pas le Traité de 1972 sur la non-prolifération nucléaire.
Revenons sur la visite du président américain en Russie, censée réchauffer les relations bilatérales. La conclusion des deux parties sur la deuxième phase de désarmement américano-russe conduira probablement à la signature du START II fin 2009, dans la mesure où les deux pays ont un intérêt commun, à savoir « un monde dénucléarisé ». D'ailleurs, si ces deux superpuissances nucléaires arrivent à limiter réellement leurs ogives, ce serait unbon exemple pour le reste du monde.
Aujourd'hui, la situation internationale évolue profondément, les pays, surtout les grandes puissances, n'ont jamais été si interdépendants concernant le problème de la sécurité. Bien que les médias internationaux ne partagent pas les mêmes avis, la visite de Barack Obama en Russie a toutes les raisons d'être appréciée.
Beijing Information
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