Shi Yongming, chercheur adjoint à l'Institut national des études internationales
Le 25 mai, la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a procédé à son deuxième essai nucléaire souterrain, suscitant de vives répercussions dans la communauté internationale encore figée dans le soulagement grâce à la destruction par la RPDC d'une tour de refroidissement du complexe nucléaire de Yongbyon le 27 juin 2008. Après moins d'un an, les échanges entre les deux côtés du 38e parallèle se sont rompus. La RPDC a déclaré un état d'hostilité contre la Corée du Sud, a lancé des satellites et s'est retirée des pourparlers à six. Ensuite, elle a redémarré les essais nucléaires et annoncé la rupture de l'accord de trêve. Tous ces événements risquent de bouleverser la paix dans la péninsule coréenne et perturbent la communauté internationale.
RPDC, un tournant brutal issu du désespoir
Les derniers essais nucléaires de la RPDC rappellent la crise de 2006. La situation avait évolué de la même façon : le lancement des missiles d'abord, suivi des essais nucléaires. Mais cette fois, la RPDC n'a avancé aucune condition de négociation, ne laissant alors aucune chance à ses adversaires de résoudre le problème autour de la table. Ses essais nucléaires traduisent l'attitude à la fois désespérée et déterminante de la RPDC après avoir fait l'objet de reproches mondiaux exagérés suite à son lancement de satellites respectant les règles internationales.
Pourquoi de tels agissements ? En effet, depuis le début des négociations à six, une opinion voulait que le but de la RPDC soit la possession d'armes nucléaires et que les négociations n'aboutissent pas. Ce nouveau recul de la situation ajoute un argument à ce point de vue. Mais comment celui-ci expliquerait-il la signature de la RPDC des documents relatifs à l'abandon des armes nucléaires ? Quel que soit le jugement sur la RPDC, le fruit des négociations à six est indéniable bien qu'il ne soit qu'un accord écrit. En plus, la destruction anticipée d'une tour de refroidissement par la RPDC a témoigné de sa volonté de remplir ses engagements concernant l'abandon de son programme nucléaire. Alors, comment expliquer son brusque changement d'attitude ?
Revoyant les séances de négociations à six en 2008, on peut dire que l'attitude incertaine témoignée par le gouvernement Bush lorsqu'il honorait ses engagements a brisé la confiance de la RPDC. Ensuite, le Japon, sous prétexte de l'« incident de kidnapping », a refusé de dédommager économiquement la RPDC, une proposition des Etats-Unis, ébranlant ainsi le pouvoir de contrôle de l'Oncle Sam au sein de ses alliés participant aux négociations à six. Quant à la Corée du Sud, l'alternance du pouvoir entre Roh Moo-hyun et Lee Myung-bak avait comme conséquence un ajustement radical de la politique sur la RPDC, et a provoqué l'inquiétude de cette dernière. Mais jusqu'à là, la RPDC continuait de remplir ses engagements basés sur un mémorandum d'entente avec la Maison blanche. Plus tard, sous la pression du Japon et de certaines forces politiques intérieures, l'administration Bush a demandé la confirmation de la liste complète des programmes nucléaires fournie par la RPDC, condition préalable pour que le nom de Pyongyang soit retiré de la liste des Etats soutenant le terrorisme. C'est dans l'atermoiement des Etats-Unis que la situation a changé furtivement dans la péninsule coréenne. D'une part, la mort d'une touriste sud-coréenne près du mont Kumgang a été amplifiée, et l'incident a été politisé. La Corée du Sud l'a porté même sur la scène multilatérale et internationale pour établir la responsabilité de Pyongyang. D'autre part, certaines forces hostiles à la Corée du Nord se complaisaient à faire courir une rumeur sur les problèmes de santé du dirigeant nord-coréen, sans cacher leur souhait d'un changement de pouvoir à Pyongyang. Ces circonstances troublantes ont fini par ronger le reste de confiance de la Corée du Nord dans les pourparlers à six. Quand Bush a enfin déclaré, le 11 octobre 2008, l'exclusion de Pyongyang de la liste des Etats soutenant le terrorisme, tout était trop tard, car Bush arrivait à la fin de son pourvoir présidentiel et les relations entre les deux Corées s'étaient déjà détériorées.
Pour éliminer son souci de sécurité par la voie politique, la RPDC doit non seulement essayer de s'entendre avec les Etats-Unis, mais aussi chercher la réconciliation à l'intérieur de la péninsule. Une des raisons qui ont conduit la RPDC à accepter l'accord de dénucléarisation, c'était le rôle d'équilibrage que jouait Roh Moo-hyun, l'ancien président sud-coréen, et son attitude conciliable. Malheureusement, cette politique n'a pas été poursuivie par Lee Myung-bak, son successeur. Le manque de confiance politique a déjoué la stratégie nord-coréenne d'introduire la double voie dans les négociations à six, soit procéder aux négociations majeures avec les Etats-Unis et en appliquer les fruits aux autres parties des pourparlers. Les négociations sur le mécanisme de paix rencontrent de nouveaux obstacles, et la RPDC connaîtra plus de risques politiques en abandonnant ses essais nucléaires. Si Pyongyang avait compté sur l'Oncle Sam pour contrôler la situation détériorée, elle a été finalement déçue par ce dernier en proie à la crise financière et aux conflits dans le Moyen-Orient, et lui-même désorienté sous l'influence du Japon et de la Corée du Sud. Tous ces éléments obligent la RPDC à réviser sa stratégie, tout en déplaçant sa priorité du recours politique au renforcement de la capacité d'autodéfense.
La coordination entre les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud ne fonctionne plus, l'Asie du Nord-Est sombre dans une confrontation complexe
Derrière la question nucléaire de la péninsule coréenne, c'est la confrontation complexe en Asie du Nord-Est. Au début de la crise nucléaire, toutes les contradictions s'ancraient sur les Etats-Unis et la Corée du Nord. Il semblait que tous les problèmes auraient une solution si ces deux pays se réconciliaient. Néanmoins, la Maison blanche a insisté sur une solution multilatérale en assoyant le Japon et la Corée du Sud à la table de négociation. D'une part, les préoccupations de ces deux pays pourraient être prises en considération, d'autre part, l'alliance de ce groupe de trois serait renforcée, et enfin, cela permettrait d'exercer plus de pression sur Pyongyang.
A l'époque de l'après-guerre froide, les Etats-Unis devenaient la seule superpuissance du monde. Gonflé d'hégémonisme, l'Oncle Sam ne cessait de renforcer ses forces armées et d'élargir ses alliances militaires bien que ne trouvant aucun adversaire digne dans le monde entier en vue d'établir un « monde en sécurité absolue ». A cette pensée, il a fait de son alliance défensive avec le Japon et la Corée du Sud une alliance stratégique globale, qui avait comme conséquence le développement de la droite japonaise et les forces conservatrices sud-coréennes, toutes deux hostiles à la Corée du Nord. Et cette hostilité n'était pas un simple écho de la stratégie étatsunienne mais elle était alimentée d'autre part. Alors, quand les Etats-Unis ont réajusté leur politique relative à la Corée du Nord, leurs deux alliés n'ont pu les suivre.
Prenons l'exemple du Japon : il ne parle plus le même langage que les Etats-Unis lors que ceux-ci proposent des manœuvres souples favorables à l'avancement des négociations. Logiquement, une Corée du Nord possédant des armes nucléaires serait une grande menace pour le Japon. Du point de vue de la sécurité, le Japon devrait soutenir la procédure des pourparlers à six afin de régler le problème nucléaire de la région. Pourtant, le Japon fouille dans ses archives et s'oppose à ce que les Etats-Unis retirent Pyongyang de la liste des Etats soutenant le terrorisme, sous prétexte d'un incident de kidnapping. Cette attitude non-coopérative ne traduit-elle pas une intention japonaise différente sur la structure de sécurité dans la région ?
Quant à la Corée du Sud, le gouvernement de Lee Myung-bak a mis fin à la politique de la réconciliation bilatérale en parallèle avec la procédure des négociations à six arrêtée par son prédécesseur. En posant une condition préalable, soit l'abandon du programme nucléaire, à la réconciliation bilatérale, Lee Myung-bak a révélé son ambition de chercher à dominer dans la péninsule coréenne, et a brisé la confiance mutuelle entre Séoul et Pyongyang. Ce changement de politique sud-coréen fournissait une bonne excuse à la RPDC pour préparer sa volte-face.
Les attitudes du Japon et de la Corée du Sud ont ajouté de l'incertitude aux négociations, défavorisé la RPDC et affaibli le rôle des Etats-Unis au sein des pourparlers à six.
L'Asie du Nord-Sud face à un choix stratégique
Le choix de la RPDC de posséder des armes nucléaires semble simplifier la question de sa sécurité, mais il oblige les autres pays de la région à réviser leur stratégie. Deux nouvelles questions se posent à eux : Comment juger l'intention de la RPDC et la conséquence de sa possession d'armes nucléaires ? Quelle contre-mesure serait appropriée ?
Il n'est pas facile de juger exactement l'intention nord-coréenne. Si la RPDC jure de n'utiliser ses forces nucléaires que pour l'autoprotection, les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud le prennent pour une menace. Le JINF (Japan Institute for National Fundamentals) a publié sa « Proposition politique relative à la révision des trois principes de dénucléarisation » dans laquelle il accuse la Corée du Nord d'avoir l'intention d'avaler la Corée du Sud et d'empêcher l'intervention étatsunienne par sa dissuasion nucléaire. Un tel jugement radical a pour but de pousser le gouvernement japonais à réviser ses trois principes de dénucléarisation. Il semble donc que le Japon est en train de profiter de la question nucléaire de la péninsule coréenne pour réaliser ses objectifs stratégiques en matière de la possession d'arms nucléaires.
Afin de limiter au minimum les compromissions du dossier nucléaire de la péninsule coréenne et d'éviter un grouillement militaire, il faut le calme, la raison et le dialogue renforcé. Dans le cas contraire, les réactions radicales pourraient conduire à une course nucléaire et entraîner finalement la région dans un cycle vicieux.
Depuis la crise nucléaire dans la péninsule coréenne, on voit que chaque réaction radicale donne lieu à une autre. Certains pays sont en faveur d'une résolution forte de l'Onu sur la RPDC. Mais une telle résolution serait dépourvue de sens.
Les représailles font monter la crise. Seul le calme aide à contrôler la situation. Une résolution rationnelle appelle à la retenue de toutes les parties. La sécurité de la région est basée sur une coopération gagnant-gagnant. Si chacun réclame sa propre sécurité sans réfléchir à celle des autres, on n'obtiendra jamais la paix.
Beijing Information
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