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Protéger l'esprit du fleuve

Ge Lijun  ·  2021-12-03  ·   Source: Chinafrique
Mots-clés: poissons rares; fleuve Yangtsé; Chine

Les lâchers de poissons rares dans le fleuve Yangtsé sont favorables à la protection de la biodiversité.

Plusieurs bancs d’alevins disparaissent en quelques secondes dans le fleuve Yangtsé. Du 24 octobre au 7 novembre, 300 000 poissons issus de six espèces rares ont été lâchés en amont du fleuve pendant trois dimanches consécutifs à Yibin (Sichuan), dont 50 000 esturgeons du Yangtsé, espèce endémique en voie de disparition. Il s’agit de la première opération de ce type entièrement ouverte au public dans le but de sensibiliser la population.

Organisé conjointement par le Bureau du fleuve Yangtsé du ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales (MAAR), le gouvernement municipal de Yibin et China Three Gorges Corporation (CTG), groupe spécialisé en énergie propre, l’événement faisait suite à la COP15 à la Convention sur la diversité biologique à Kunming (Yunnan). « Le lâcher de poissons revêt une grande importance pour la protection de la biodiversité et la restauration des écosystèmes du fleuve Yangtsé », révèle à CHINAFRIQUE Qu Huantao, responsable du Centre de recherche et d’élevage de poissons rares destinés à cette cause, relevant de la centrale hydraulique Xiangjiaba à Yibin.

Mesures écologiques complémentaires

Une campagne de sensibilisation s’adressait aux enfants invités à lâcher des poissons via des bassins préliminaires directement reliés au fleuve à Yibin, le 24 octobre. (CTG)

Située dans le sud-ouest de la Chine, Yibin est la seule réserve de protection de poissons rares au niveau national sur le fleuve Yangtsé. Ce tronçon constitue également une frayère naturelle des esturgeons du Yangtsé. Cette espèce avait perdu sa capacité naturelle à se reproduire en 2000 en raison de la construction de centrales hydrauliques et de la surpêche à cet endroit, bouleversant son habitat naturel. En 2010, elle avait été classée espèce en danger critique d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature.

Heureusement, la reproduction artificielle aide à rétablir la population. Cette année, les poissons ont été lâchés dans le fleuve au bout de cinq à six mois d’élevage en captivité. Selon M. Qu, les chercheurs vont adopter différentes mesures de repère (physique, chimique, sonar et satellite) pour évaluer leurs conditions d’existence dans l’environnement sauvage. « Les alevins mesurent 30 cm. Avec cette taille, difficile de se faire attaquer et ils peuvent vivre normalement dans le fleuve. »

En réalité, cette activité n’est pas inédite en Chine. À partir de 1984, le CTG avait initié les lâchers d’esturgeons chinois, poisson migrateur, tous les ans à Yichang (Hubei), frontière séparant les cours supérieurs et moyens du fleuve Yangtsé. Au début des années 1980, la construction de la centrale hydraulique Gezhouba avait empêché le retour des esturgeons chinois, vivant principalement en mer orientale de Chine et remontant à Yibin uniquement pour se reproduire. Progressivement, une nouvelle frayère s’était formée à Yichang, en aval de Gezhouba, mais la modification de la température de l’eau due aux activités hydrauliques menaçait une nouvelle fois la reproduction des esturgeons. « Le recours à la reproduction artificielle est une compensation des ressources sauvages », indique M. Qu. S’appuyant sur cette initiative, la construction de toute centrale hydraulique en Chine doit obligatoirement mettre en place un centre de recherche et d’élevage de poissons afin de réduire son impact environnemental. Au total, le CTG a lâché plus de 5 millions d’esturgeons chinois dans le fleuve Yangtsé.

Par ailleurs, les esturgeons du Yangtsé ne sont pas des poissons migrateurs et ils sont principalement installés dans le tronçon Yibin du fleuve. En plus des esturgeons, d’autres espèces rares (Myxocyprinus asiaticus, Leptobotia elongata, etc.) ont également été inscrites sur la liste des lâchers prévus. Fin septembre, plus de 10 millions de poissons rares élevés en captivité ont été libérés par le CTG dans le fleuve Yangtsé.

Selon M. Qu, d’autres pays du monde mettent également en place les lâchers de poissons. « Ces mesures sont prouvées comme étant utiles pour reconstituer les communautés sauvages. Ce sont des expériences qui nous ont fortement inspirés », précise-t-il.

Une protection complète

Deux marsouins aptères du Yangtsé nagent dans le fleuve du même nom à Yichang (Hubei), le 10 mai. (XINHUA)

Le fleuve Yangtsé est le plus grand de Chine et le troisième plus long du monde. C’est l’un des berceaux de la civilisation chinoise (l’autre est le fleuve Jaune au nord du pays). Dans la société moderne, sa fonction économique est de plus en plus importante : trafic fluvial, pêche, constructions des centrales hydrauliques… Sa surexploitation a toutefois mis en péril son équilibre. Constructions, surpêche et pollution : tout l’écosystème du fleuve est menacé. Le gouvernement chinois a donc fait de la sauvegarde des eaux du Yangtsé une priorité nationale. Le lâcher de poissons en est une mesure efficace. « Les poissons rares font partie de l’écosystème. Une espèce manquante dans la chaîne cause l’effondrement de tout l’écosystème », explique M. Qu.

En plus de cette initiative, la Chine a adopté de multiples politiques pour protéger le fleuve Yangtsé, notamment à l’aide des lois et des réglementations. Le comité permanent de l’Assemblée populaire nationale a adopté, le 26 décembre 2020, une loi pour protéger le Yangtsé. Le texte, le premier visant à protéger une voie navigable dans le pays, est entré en vigueur en mars et tente d’assurer un « développement vert » du « fleuve bleu ».

Afin de préserver la biodiversité du fleuve, une interdiction de pêche décennale a été décrétée par le MAAR début 2020. En moins d’un an, 231 000 pêcheurs opérant sur 111 000 bateaux ont dû ranger leurs filets. Les gouvernements locaux les soutiennent dans leur reconversion professionnelle vers d’autres métiers, incluant chauffeurs routiers, gérants de pisciculture ou travailleurs migrants dans les grandes villes. Parmi eux, certains s’engagent professionnellement à la protection des poissons. C’est le cas de Liang Duogang, 44 ans, qui est désormais chargé de patrouiller sur le tronçon Yibin. Il fait en effet partie d’une équipe de protection depuis juillet 2020. « Je parcours quotidiennement le fleuve en bateau avec d’autres agents pour intercepter les activités de pêche illégales », confie-t-il à CHINAFRIQUE. Avec six autres collègues, ils sont chargés de confisquer le matériel de pêche et de le rapporter au gouvernement local. Son salaire mensuel s’élève à environ 3 000 yuans (470 dollars), c’est beaucoup moins que ce qu’il gagnait avec la pêche. Il est quand même satisfait : « Je me suis rendu compte de l’importance de la protection environnementale. J’espère que mes descendants connaîtront une plus grande diversité de poissons. » Selon lui, l’interdiction de pêche et les lâchers sont utiles. « Je remarque que le nombre de poissons a considérablement augmenté », ajoute-t-il.

Son observation trouve écho chez les experts. « La biodiversité se rétablit progressivement dans le Yangtsé. Le nombre d’espèces est jusqu’à présent passé à 79 dans le tronçon Jiangsu de la rivière contre 48 début 2017 », indique Zhang Jianjun, directeur adjoint du Département de l’agriculture et des affaires rurales de la province du Jiangsu. Cette année, les marsouins aptères du Yangtsé, espèce également menacée, reviennent petit à petit dans le fleuve. Avec la réduction de la pollution de l’eau et le renforcement des mesures de protection, le nombre de marsouins aptères dans le tronçon Nanjing, chef-lieu du Jiangsu, est passé de 20 il y a cinq ans à plus de 50 actuellement.

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