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« La Grande Muraille » : succès ou navet ? |
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Li Fangfang · 2017-01-18 · Source: Beijing Information | |
Mots-clés: Grande Muraille; Zhang Yimou |
Quand le célèbre réalisateur chinois Zhang Yimou, dont les films ont récolté des récompenses internationales et qui a reçu le Peabody Award pour la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de Beijing 2008, a sorti son dernier film le 16 décembre 2016, il fallait s'attendre à un grand retentissement.
« La Grande Muraille », un film sino–américain avec Matt Damon, Pedro Pascal, Willem Dafoe, Jing Tian et Andy Lau, est l'une des productions les plus coûteuses de l'histoire en Chine avec son budget de 135 millions de dollars. Vendu comme une « fiction épique historique de monstres, d'aventure et d'action », il a engrangé un milliard de yuans (144,24 millions de dollars) en deux semaines. Il a bien marché en Asie du Sud–Est, en Turquie mais aussi en Islande, où ce film, le premier entièrement réalisé en anglais par Zhang Yimou, est sorti en salle le 29 décembre 2016. Il sortira aux Etats–Unis le 17 février.
Un film de monstres
L'intrigue repose sur une ancienne croyance folklorique chinoise autour de la construction de la Grande Muraille, qui a d'abord servi de fortification défensive dès le VIIème siècle avant notre ère et a été renforcée vers 220 sous le règne de l'empereur Qinshihuang. La construction a continué jusqu'à la dynastie Ming (1368-1644). Dans le film, William Garin, un mercenaire européen joué par Matt Damon, et ses compagnons recherchent de la poudre à canon en Chine et rencontrent une population qui vit sous la terreur en raison de monstres – les Taotie – qui envahissent leur territoire tous les 60 ans.
Son arrivée coïncide avec l'invasion de hordes de Taotie qui attaquent la Grande Muraille. Il abandonne son rêve de fortune et rejoint l'armée de guerriers chinois pour stopper ces brigands qui semblent invincibles.
Matt Damon, grand fan de Zhang Yimou, le considère comme le « Steven Spielberg chinois ». Sa première réaction en voyant les plans que le réalisateur avait préparés pour le film a été de la comparer à Avatar, de James Cameron.
Hormis des acteurs d'Hollywood, le film de monstres a aussi nécessité deux sociétés américaines de production aux côtés de deux sociétés chinoises. Au centre de cette fiction, on trouve Thomas Tull, le PDG de Legendary Entertainment, une des sociétés hollywoodiennes impliquées dans le projet, alors qu'Industrial Light and Magic a créé les effets visuels et que la société néo–zélandaise Weta Workshop a conçu les décors et les armes.
« J'espère que cela ne sera pas qu'un film d'action grand public hollywoodien, mais un mélange du mode hollywoodien et d'éléments chinois. C'est ce qui est à la source de ma passion », a déclaré M. Zhang au Quotidien du Peuple.
Il a ajouté de nombreux détails chinois à l'histoire originale écrite par des scénaristes américains. Cependant, il n'y a pas une profusion d'éléments culturels car le public non chinois aurait eu du mal à les comprendre. « Pour que la culture chinoise et le mode hollywoodien fonctionnent bien ensemble dans un film, cela nécessite beaucoup de travail », explique–t–il.
Certains spectateurs ne sont pas d'accord. Une partie des médias américains d'origine asiatique accusent « La Grande Muraille » de « blanchir » l'histoire. Constance Wu, vedette de la série américaine Fresh Off the Boat diffusée sur le réseau ABC, a tweeté en disant qu'Hollywood devait cesser de perpétuer le mythe selon lequel « seul un homme blanc peut sauver le monde. Cela ne repose sur aucun fait concret ».
M. Zhang a rejeté les critiques, disant que les héros étaient Chinois. « En fait, c'est l'histoire d'étrangers qui tentent de voler de la poudre à canon en Chine pour la vendre en Europe. La braverie, le dévouement et la combativité des soldats chinois les ont faits changer d'avis, les inspirant pour ensuite se joindre à eux et lutter contre les monstres. » Pour lui, le film parle « de la Grande Muraille, de l'esprit national ».
Coup de génie ou travail d'amateur ?
Certains spectateurs chinois n'ont pas été tendres pour ce film, notamment sur les réseaux sociaux. Le jour de sa sortie, un bloggeur nommé « Desecrate Movie » sur la plateforme Weibo, a écrit : « Zhang Yimou est mort ». Dans un long exposé, il explique que « Maître Zhang » est « comme un amateur de troisième zone avec le scénario ».
Hollywood a fait des films de monstres à outrance, depuis le King Kong de 1933 en passant par Godzilla et Jurrasic Park, et récemment au Zombieworld en 2015. Devait–il y vraiment avoir un autre film de monstres ?
Pour M. Zhang, le taotie est une allégorie, faisant référence à un proverbe chinois disant que la cupidité est comme un monstre qui finit par se dévorer lui–même.
Ses partenaires américains considéraient le taotie comme un simple monstre. « Ils pensaient que la bête n'était qu'une bête, explique M. Zhang. Mais le taotie est une bête cupide dans l'ancienne mythologie chinoise. J'ai suggéré qu'ils conservent cette signification. » C'est ce qu'ils ont fait et le thème de la cupidité parcourt le film.
A la différence des autres personnages fictifs, M. Zhang a voulu que les taotie soient réels et crédibles, comme un animal réel qui aurait existé, comme « un vrai carnivore massif ». Pour répondre à cette exigence de réalité, la société Weta a passé une année entière à concevoir la bête, soumettant un millier d'ébauches.
Pour donner plus de vérité à « La Grande Muraille », M. Zhang a souhaité que la lutte contre les monstres soit un combat épique entre l'homme et la bête sans qu'il soit nécessaire de faire appel à des pouvoirs surnaturels ou des armes sophistiquées. Les armes blanches de la Chine ancienne, comme l'arc et la flèche, ainsi que la catapulte, sont utilisées. Le combat inégal permet de montrer l'héroïsme des armées chinoises de l'antiquité et leur esprit de sacrifice.
« Il y a beaucoup trop de pouvoirs surnaturels dans les films aujourd'hui. Les gens peuvent soulever la moitié d'une ville d'un doigt, et donc tout défi apparaît trop facile. Pour ce film, je voulais vraiment faire quelque chose d'aussi réaliste que possible », a affirmé Zhang Yimou au magazine américain Entertainment Weekly.
Il a aussi déclaré qu'il avait fait « La Grande Muraille », en rupture avec ses films précédents, parce que c'était une occasion de montrer l'étendue de ses talents. « La critique pense que je dois m'en tenir à mon genre de film. Ils me demandent pourquoi je ne continue pas de faire des films comme 'Vivre' ou 'Qiu Ju, une femme Chinoise'. Grâce à mon expérience, je peux réaliser des projets comme 'La Grande Muraille'. 'La Grande Muraille' est un produit standard, une coopération approfondie et aussi, une histoire chinoise. »
« En tout premier lieu, c'est un film en anglais, et une superproduction hollywoodienne. Il avait été déjà clairement stipulé dans la phase de scénarisation qu'il s'agissait d'un film de montres hollywoodien et qu'il devait rester ainsi, explique–t–il pour se défendre. Je ne voulais pas changer cette approche, et cela n'était pas nécessaire. Ce que je voulais apporter, c'était des nuances et un arrière–plan chinois à une audience mondiale dans un langage qu'elle connaît. »
Avec le développement rapide du secteur chinois du film, les spectateurs deviennent plus critiques que par le passé, quand ils pouvaient encore se laisser impressionner par des effets spéciaux sophistiqués.
Wen Xingang, un critique de film et réalisateur de séries en ligne, a constaté des imperfections dans la technique cinématographique de Zhang Yimou. « Les éléments chinois et occidentaux ne se combinent pas naturellement dans le film. Zhang Yimou les a mélangés mécaniquement, a–t–il déclaré à Beijing Information. La couleur et la photographie sont deux éléments principaux de son travail, les bons scénarii sont juste involontaires. » Parlant de Zhang Yimou, il sait que toutes ces critiques négatives lui sont indifférentes. « Les réactions du public à l'égard des films de Zhang Yimou sont soit positives soit négatives, comme pour 'Héros'. Zhang Yimou ne s'en soucie pas. Il fait ce qui lui plaît. »