|
|
|
|
Expo « Père et Fils » : un hymne à l'amour |
|
Jacques Fourrier · 2016-06-14 · Source: Beijing Information | |
Mots-clés: Père et Fils; festival Croisements; culture |
La galerie 3Shadows de Caochangdi, à l'est de Beijing, propose depuis le 11 juin une exposition de photos de Grégoire Korganow intitulée « Père et Fils ». Un événement particulièrement attendu dans le cadre du festival Croisements.
Grégoire Korganow
Déjà six ans que le photographe français Grégoire Korganow, 48 ans, tente de saisir la relation père-fils à travers son art et montrer que cette relation transcende les frontières et les milieux sociaux. Tout est parti d'une interrogation sur la paternité et le lien filial. « Qu'est-ce qu'un père ? Qu'est-ce qu'un fils ? Quel est le lien qui les unit ? Le sang ? L'amour ? La transmission ? L'héritage ? ». Ces questions ont servi de trame à un récit sur le rapport à l'autre qui est un peu soi, si proche et si loin. « En regardant ces portraits, on recherche les ressemblances. On scrute les traits du visage, on compare les gestes, les attitudes. On imagine une histoire. On tente de percer le mystère de la relation. La nudité des corps jette le trouble, brouille un peu les pistes. »
Rémi et Xavier, 2011, France
La photographie comme peinture du réel
Ce diplômé de l'Ecole supérieure des arts et industries graphiques (ESAIG) pratique la photographie comme d'autres se lanceraient dans le militantisme social. Devant les injustices, les inégalités, les atteintes aux libertés, il brandit son objectif pour capturer des visages et des corps dans leur plus simple expression, de la révolte à la soumission. En 1994, il publie pour Libération des clichés des émeutes de la Goutte d'Or à Paris et poursuit son travail pour donner un visage à ceux qu'on ne voit jamais, les invisibles aux marges de la société, ceux qu'Edmond Rostand appelait déjà « les petits, les obscurs, les sans-grades », ceux qui marchent « fourbus, blessés, crottés, malades » : les mal-logés, les sans-papiers, les alcooliques, les détenus. Grégoire Korganow sait qu'il appuie là où ça fait mal, qu'il risque de déranger, mais il est impossible de détourner son regard. Il ne s'agit pourtant selon lui pas de voyeurisme, mais plutôt de permettre ne serait-ce qu'un court instant de faire surgir une réalité sobre et crue pour mieux l'effleurer.
Sur son visage de baroudeur et derrière une crinière grisonnante, on devine des aventures dans les bas-fonds de Santiago du Chili, aux confins de la Patagonie, dans la brousse africaine ou dans une zone de guerre du Moyen-Orient. Il a travaillé pour les grands noms de la presse française et étrangère, de l'Express au National Geographic, et exposé dans les événements les plus prestigieux comme les Rencontres photographiques d'Arles et la Maison européenne de la photographie. Il transmet aussi son art en milieu universitaire et organise des ateliers pratiques.
Au nom du père et du fils
Grégoire Korganow vient juste d'arriver à Beijing avec sa compagne Mélanie Roger, agent artistique, productrice et curatrice de l'exposition « Père et fils ». Son mètre dérouleur et un cutter en main, il s'active malgré la fatigue et la chaleur dans l'immense studio que 3Shadows a mis à sa disposition dans ce havre de paix de Caochangdi. Les photos, qui se présentent comme des tableaux sont encore dans leur emballage, en appui contre les murs, mais les portraits de ces hommes, pères et fils, le torse nu, saisis dans un moment d'intimité, se détachent clairement dans l'arrière-plan noir. Grégoire Korganow semble penser le portrait comme un art pictural qui évoque les grands peintres hollandais tant le cadrage et la lumière sont évocateurs d'un Vermeer ou d'un Van Dick.
Son fils adoptif avait cinq ans quand Grégoire Korganow a eu l'idée d'aborder la paternité par la photographie. « Avec sa peau noire contre ma peau blanche, j'ai voulu montrer que la paternité allait au-delà de l'hérédité ». Six ans plus tard, il aura photographié des centaines de pères et de fils en France, mais aussi au Brésil et en Chine. « J'essaye que le geste soit juste et qu'il s'appuie sur des éléments que j'imagine d'eux. Je ne veux pas que le geste soit superficiel, mais je veux puiser dans ce que j'imagine d'eux, de ce que je pressens d'eux », explique-t-il.
A une époque où les logiciels de retouche de photos font la loi, les clichés de Grégoire Korganow montrent les corps tels qu'ils sont. Des corps toniques et jeunes côtoient des corps flasques et ridés. Il conçoit que certains visiteurs peuvent être gênés, troublés ou émus. « Je ne suis pas sûr que les gens regardent vraiment les corps. Personnellement, cela ne me viendrait pas l'idée de me dire que telle personne est trop grosse, trop maigre, ou qu'elle est belle ou non. »
Une photo prise à Beijing montre un père sexagénaire avec son enfant de cinq ans. « On sent l'importance de la photo, c'est un père qui a conscience qu'il ne verra pas son fils vieillir, donc chaque moment qu'il partage avec l'enfant est important pour lui. Et puis il y a cette image de l'enfant qui pince le sein de son père, qui renvoie à une image maternelle ». L'image prend une dimension iconique. « On ne voit plus l'âge du père, seulement la relation entre le père et le fils ».
Le rapport à l'image n'est pas le même selon les sujets. « On peux voir que certains sont poseurs, qu'ils ne décrochent pas un sourire ». Il cite le photographe et portraitiste malien Seydou Keita, célèbre pour ses portraits familiaux dans le Mali des années 1950, dont les modèles semblaient toujours un peu crispés. « Le fait d'être photographié, c'est quelque chose de sérieux, il faut se montrer digne. » C'est aussi l'occasion de retrouvailles intimes, de célébration d'un lien qui est parfois malmené et distendu.
Une relation à la fois complexe et fragile
Le lien père-fils est complexe et fragile, comme l'explique Monique Lauret, psychiatre et psychanalyste, membre de l'association Espace psychanalytique de Paris. « La relation père-fils n'est pas seulement une relation faite de rivalité et d'hostilité mais d'abord et surtout une relation d'amour. Le fils a besoin de s'identifier et de s'appuyer sur l'amour de son père pour se construire en tant qu'homme et devenir père à son tour. Les ratages dans cette construction vont donner ces symptômes que sont l'hostilité et la rivalité, fabriquant des pères tyrans et des fils restant fils, incapables d'accéder à la paternité. »
C'est une relation père-fils distante de ces passions tristes que Grégoire Korganow célèbre, une relation dépouillée des oripeaux de l'autorité, pour lui donner une dimension quasi-maternelle, tendre et assagie. Monique Lauret ne cache pas son émotion. « Merci à ce photographe de témoigner de la capacité d'amour et d'émotion dans ce monde actuel, bien malmené par les désordres et les guerres. »
Beijing Information
Imprimer
|
Liens: |
|
24 Baiwanzhuang, 100037 Beijing République populaire de Chine
京ICP备08005356号 京公网安备110102005860号