L’économie rurale et numérique insuffle une bouffée d’air frais au développement local.

La culture des succulentes est aujourd’hui très tendance, surtout chez les jeunes urbains. (XINHUA)

Smartphone en main, une agricultrice peut actuellement gagner 500 000 yuans (77 200 dollars) par an. Il y a six ans à peine, il s’agissait encore d’un rêve pour Liu Qing, qui élevait seule ses enfants à Gengwei, agglomération du district de Shuyang, au Jiangsu (est). Sans débouché au niveau local, son mari n’a pas eu d’autre choix que de partir travailler en ville, avec un revenu annuel de 20 000 yuans (3 088 dollars) seulement. Mais aujourd’hui, le rêve est devenu réalité pour elle, comme pour beaucoup d’autres agriculteurs locaux, et ce grâce à une arme puissante : les plantes grasses.

Miser sur le développement rural

La diffusion en direct sur Internet booste le commerce des plantes grasses. (XINHUA)

Faute d’installations adaptées et surtout mal desservie par les transports, Gengwei ne représentait aucun intérêt aux yeux des industriels. Les habitants ne pouvaient que compter sur la culture du riz et du blé pour subvenir à leurs besoins. Mais l’agriculture traditionnelle a perdu, de loin, son charme d’antan pour les jeunes paysans. Beaucoup d’entre eux ont dû s’exiler comme le mari de Liu Qing, laissant derrière eux un village fantôme.

À l’inverse, Yanji, agglomération voisine de Gengwei, a connu un essor fulgurant ces dernières années grâce au développement de l’horticulture et de l’e-commerce. En 2014, la mise en service de la route provinciale 245 a finalement relié ces deux localités, séparées naturellement par une rivière. Mais la voie de la prospérité n’a pas pour autant été accessible à Gengwei à ce moment-là. « Yanji occupait déjà une grande part du marché national de l’horticulture. Il nous a été difficile de lui emboîter le pas », analyse Qiu Jiancheng, secrétaire du comité du Parti pour l’agglomération de Gengwei.

L’agglomération a pourtant pris le virage du développement rural l’année suivante avec l’implantation d’une exploitation horticole privée. On y retrouve 30 millions de plantes jardinières, dont notamment des succulentes. Pour les 150 employés recrutés localement, cet emploi leur a donné l’occasion de découvrir pour la première fois la beauté et la délicatesse de ces plantes grasses miniatures, mais surtout leurs retombées économiques.

En effet, très esthétiques et faciles à cultiver, les succulentes connaissent un succès croissant auprès du grand public, en particulier des jeunes urbains. Le prix peut aller de quelques yuans à des sommes astronomiques en fonction des variétés. Malgré un coût de revient légèrement supérieur à celui de l’agriculture traditionnelle, la culture des succulentes peut générer des bénéfices nets 14 fois plus élevés.

Sachant désormais comment s’y prendre pour cultiver les succulentes de manière optimale, les employés ont testé cette culture dans leurs propres champs. Dans un même élan, le gouvernement local a investi, en octobre 2015, 12 millions de yuans (1,9 million de dollars) pour créer une pépinière de succulentes de 500 mu (33,3 hectares), dotée d’installations modernes. Peu après son ouverture, tous les terrains ont été partagés parmi les 35 exploitants contractuels, dont Liu Qing.

En participant aux sessions de formations techniques destinées aux femmes laissées pour compte, Mme Liu a vite acquis le savoir-faire nécessaire à la culture des succulentes. En un an seulement, son activité lui a permis de réaliser un chiffre d’affaires de 400 000 yuans (61 760 dollars).

La pépinière ne suffisant plus à elle seule aux appels des autres agriculteurs locaux vivement intéressés par cette activité, le gouvernement a décidé d’installer des exploitations agricoles dans les douze villages de l’agglomération, pour que chacun puisse avoir sa part du gâteau. Du jour au lendemain, toute l’agglomération s’est lancée à corps perdu dans la culture de ces plantes tendance. On y compte désormais des milliers de variétés de succulentes cultivées sur une surface de 5 000 mu (333,3 hectares), avec une valeur de production annuelle de 300 millions de yuans (46,3 millions de dollars) et 7 000 emplois créés.

Recette miracle

Au niveau national, Gengwei est loin d’être la seule région à miser sur l’économie des succulentes. Face à ses concurrents, son exploitation n’est ni la plus grande ni la plus ancienne. Elle doit toutefois son succès à une recette miracle : l’e-commerce. Comme M. Qiu le résume bien, la population locale s’avère être douée autant pour la culture que pour la vente.

Vers 18h, la pépinière atteint son heure de pointe. Les succulentes vendues en ligne dans la journée sont emballées et expédiées en vrac. Dans le meilleur des scénarios, les clients les reçoivent le lendemain. Selon les statistiques, 10,87 colis en moyenne sont expédiés de Gengwei chaque seconde et chaque année, on en dénombre 343 millions. Bien entendu, tout cela serait inimaginable sans une plateforme d’e-commerce puissante et un réseau logistique efficace.

En réalité, le gouvernement local a donné un coup de fouet à cette stratégie de développement avec la mise en place d’un centre de service de 1 500 m2 et d’une zone de logistique de 2 000 m2. Ceci notamment pour exhorter les jeunes à retourner dans l’agglomération et y créer leur start-up. Les exploitants locaux peuvent y gérer leurs boutiques en ligne, suivre une formation continue, et même exposer leurs marchandises. Tous les ans, les grands exploitants de Yanji sont également invités à y former les agriculteurs aux astuces des métiers du secteur e-commerce.

En parallèle, la diffusion en direct sur Internet ne cesse de gagner en popularité parmi les e-commerçants. Les habitants de Gengwei n’ont pas hésité à prendre le train en marche, déjà engagé dans la voie du succès.

Le matin dès 11h, Liu Qing ouvre son application pour le live streaming sur mobile depuis sa pépinière. À travers son écran, les clients peuvent admirer les succulentes dans tous leurs états. En quelques minutes, plusieurs commandes sont passées. « Parfois, une séance de diffusion peut durer dix heures d’affilée si les abonnés se connectent en grand nombre ce jour-là. Les commandes peuvent atteindre un total de plusieurs centaines par jour », se réjouit Mme Liu. Un revenu annuel de 500 000 yuans (77 200 dollars) n’est donc plus un rêve pour elle.

Si l’économie rurale a transformé le destin des femmes laissées pour compte, elle n’en a pas moins bénéficié aux personnes à mobilité réduite, comme dans le cas de Yang Xiao, 22 ans. Convaincu de l’efficacité économique des succulentes, le jeune homme a lancé sa propre activité en 2019, malgré son handicap physique. À peine un an plus tard, il connaît les différentes variétés sur le bout des doigts. « Je me sens beaucoup plus utile aujourd’hui. Il me suffit d’expédier des commandes pour pouvoir gagner 3 000 à 4 000 yuans (463 à 618 dollars) par mois. Si je ne peux pas travailler ailleurs, je n’en gagne pas moins », raconte-t-il, très fier de lui.

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