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Publié le 07/05/2014
Pénurie de juges en Chine

Face à une charge de travail accrue et à des salaires qui stagnent, beaucoup de juges préfèrent changer de carrière.

Le 12 mars, Zhang Xuequn, président de la Haute Cour populaire de la province du Yunnan, et député de la XIIème Assemblée populaire national (APN), le Parlement chinois, a proposé, lors d'une discussion de groupe en session plénière de l'APN de cette année, une augmentation du salaire des juges. M. Zhang a déclaré qu'il espérait que cette initiative redonnerait du moral aux juges et accroîtrait leur enthousiasme au travail.

Cette proposition est une réponse au fait qu'un nombre croissant de juges ont démissionné ces dernières années, ce qui a accentué la pression sur le système judiciaire du pays.

 Selon Mu Ping, président de la Haute Cour populaire de Beijing et également député de la XIIème APN, plus de 500 juges ont démissionné à Beijing ces cinq dernières années. « Beaucoup d'entre eux ont choisi de devenir avocats et d'autres se sont orientés vers des postes dans le public ou le privé, explique-t-il. C'est une grande perte pour les tribunaux, car la plupart des juges ont beaucoup d'expérience ».

 Pour M. Mu, les causes principales sont un environnement de travail stressant, ainsi que trop peu de salaires attrayants et d'opportunités d'évolution de carrière. « Nous devrions trouver des solutions à ce problème, en créant des conditions de travail favorables pour les juges et en exaltant leur fierté professionnelle », estime-t-il.

 Un travail harassant

 L'année dernière, en mai, un rapport de l'université Renmin de Chine a mis en lumière ce problème du manque de juges dans les tribunaux de première instance.

 Peng Xiaolong, professeur agrégé à la Faculté de droit de l'université et contributeur majeur de ce rapport, a déclaré que la situation devenait préoccupante et constituait une menace pour le fonctionnement au quotidien des tribunaux. « Avec le développement de la société et l'augmentation des connaissances juridiques parmi les citoyens ordinaires, il y a plus de procès, ce qui accroît considérablement la charge de travail des juges », explique M. Peng.

 Le rapport note que le nombre de juges en Chine depuis 30 ans a triplé pour atteindre 196 000 alors que le nombre de procès instruits par les juges chaque année a été multiplié par 13.

 La Cour populaire suprême, la plus haute instance judiciaire, fait par ailleurs savoir que depuis 30 ans, 5% des juges démissionnent avant d'atteindre l'âge de la retraite.

 Zhou Haibo, un député de l'APN de la province méridionale du Guangdong, confirme les conclusions du rapport. Ses recherches montrent que le nombre de dossiers gérés par les tribunaux à Qingyuan, une petite ville du Guangdong, a augmenté de 52,7% entre 2008 et 2012, alors que le nombre de juges locaux et de personnel dans les tribunaux a chuté d'environ 8%.

 « Une ex-juge m'a dit qu'elle avait quitté son travail car elle n'avait pas assez de temps pour être avec ses enfants à cause d'une charge de travail trop importante », confie M. Zhou.

 Lin Hui, une avocate de Shenzhen dans le Guangdong, remarque que son bureau est situé à côté d'un tribunal ; de ce fait elle voit fréquemment les employés travailler très tard.

 La situation dans la province du Henan, dans le centre de la Chine, est la même. Selon Song Xiaoxin, directeur du département politique du Tribunal populaire de l'arrondissement de Yicheng dans la ville de Zhumadian, les 31 juges du tribunal ont traité 3 292 dossiers civils en 2013, c'est-à-dire une moyenne de 106 cas par juge.

 Li Liuzhu est un juge du tribunal de Yicheng. Il dit avoir traité plus de 130 cas l'année dernière. « J'ai travaillé au tribunal pendant 25 ans. Durant cette période, la chose la plus impressionnante dont j'ai pu être le témoin est le nombre de procès qui n'arrête pas d'augmenter chaque année », remarque-t-il.

 Selon M. Li, en dépit de la charge de travail qui augmente, il n'y a pas eu d'augmentation proportionnelle des salaires. Actuellement son salaire est de 3 110 yuans (501 dollars) par mois. « Je ne peux pas dire que le salaire n'est pas assez élevé pour moi mais c'est très bas comparé aux tâches effectuées ».

 A Shanghai, les salaires bas couplés aux longues heures de travail ont incité 74 juges des tribunaux de première instance à quitter leurs fonctions en 2013, selon Cui Yadong, président de la Haute Cour populaire de Shanghai.

 « Alors qu'ils travaillent souvent jusqu'à tard dans la nuit, beaucoup de jeunes juges ne peuvent se payer un appartement à Shanghai », a déclaré M. Cui à un groupe de législateurs durant la session de l'APN de cette année.

 Selon le législateur Li Biying, pour couronner le tout, en plus des conditions de vie précaires, les charges de travail sont excessives ; chaque juge à Shanghai traitant en moyenne 131 cas l'année passée. Cela signifie un cas tous les deux jours ouvrables.

 « J'espère que les autorités centrales vont augmenter les salaires des juges prochainement », nous confie Li Liuzhu, du tribunal de Yicheng.

 Pour un nouvelle modèle de gestion du système judiciaire

 Outre l'accroissement de la charge de travail et les bas salaires, experts et initiés ont aussi souligné le problème du modèle de gestion obsolète pour les juges du pays et suggèrent que plus d'innovation pourrait revigorer le système.

 M. Peng, de la Faculté de droit de l'université Renmin, croit que le système de gestion actuel, qui traite les juges de la même manière que les autres fonctionnaires, a une influence négative sur leur performance.

 « Ce modèle néglige le caractère spécial et le besoin d'autonomie des juges, leur créant des obstacles durant des procès qui impliquent d'autres agences gouvernementales ou des représentants du gouvernement », dit M. Peng.

 M. Zhou, du Guangdong, est d'accord. Dans sa proposition soumise à l'APN, il souligne que la gestion actuelle affecte l'efficacité et l'indépendance des tribunaux.

 Il estime que puisque les juges chinois sont maintenant soumis aux mêmes procédures d'évaluation et d'avancement que les fonctionnaires, beaucoup sont enclins à essayer de monter en grade par d'autres moyens qu'en améliorant leurs performances professionnelles. « Au lieu d'être de bons juges, ils peuvent préférer devenir de riches notables », écrit-il dans la proposition.

 En plus de cela, comme le budget des tribunaux et l'avancement des juges sont liés aux autorités de même niveau, les instances judiciaires en subissent les conséquences et ne peuvent être indépendantes, se plaint M. Zhou.

 Pendant ce temps, Zhu Zhengxu, également député de l'APN et juge auprès du tribunal du district de Baofeng dans le Henan, affirme que le système de gestion du personnel actuel limite aussi les évolutions de carrière des juges.

 Selon la Cour populaire suprême, le système actuel répartit les juges en 12 grades, le plus élevé étant le juge en chef et le plus bas, le juge de niveau 5.

 M. Zhu pense qu'avec un tel schéma, un juge, débutant en tant qu'assistant juge, peut atteindre le grade 5 en 7 ans, à la condition qu'il ou elle n'ait commis aucune irrégularité.

 Cependant, il y a une autre règle qui stipule que dans un tribunal de district, seul son président doit être un juge expérimenté et tous les autres juges peuvent atteindre le grade 1 au maximum. « Cela signifie qu'un juge n'aura aucune chance d'être promu à un grade supérieur avant la retraite s'il ou elle ne quitte pas le tribunal », conclut-elle.

 Zhu Jingwen, un autre professeur de la Faculté de droit de l'université Renmin de Chine, affirme que la situation se perpétue car le système de gestion actuel pour les juges est cautionné de manière indifférenciée par le système de gestion administratif national. Il a suggéré l'établissement d'un système de gestion indépendant pour les juges.  

 « Les juges sont différents des autres fonctionnaires. Ils appartiennent à unsuprme profession à part, ils ont donc besoin d'un système de gestion professionnel afin de conserver leurs privilèges et d'assurer leur indépendance », estime M. Zhu.

 M. Peng est d'accord sur le fait que ce système devrait respecter les règles de leur travail judiciaire. « Créer des systèmes sains afin d'établir les règles concernant le recrutement, la retraite, l'avancement de carrière, la formation, l'évaluation de la performance ainsi que la récompense et la sanction pour les juges seront des chantiers importants lors de la réforme du système de gestion du personnel », a-t-il déclaré.

 Conscient de l'importance de ce problème, le département de l'organisation du Comité central du Parti communiste chinois et la Cour populaire suprême ont conjointement édicté une règle en mars de l'année dernière stipulant qu'ils créeront un système de gestion spécifique pour le personnel des institutions judiciaires.

 M. Peng suggère que les autorités centrales y intègrent les règles actuelles afin de créer un document unique qui régirait les juges. « Actuellement, à l'exception du Code des juges, les autres règles concernant la gestion des juges sont réparties dans différents documents, ce qui crée des difficultés ».

 Par ailleurs, M. Zhu a conseillé de limiter le nombre de procès dans les tribunaux locaux en raison de la pénurie de juges. Afin d'alléger le fardeau qui pèse sur ces juges, il suggère d'orienter les cas les moins urgents vers les agences locales de médiation.

 « C'est plus difficile pour un juge de rendre la justice quand il ou elle est sous pression », remarque M. Zhu.

  

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