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Publié le 17/10/2011
Compte-rendu de l'enquête au Sichuan

Antoine ROSET

de Beijing Information

Au voyageur venant de Beijing, habitué aux étendues semi-arides de la plaine du Nord, l'arrivée au Sichuan ressemble quelque peu à un mirage. Depuis toujours, cette région occupe dans l'imaginaire collectif chinois une place de choix. Pays de cocagne, baigné d'innombrables cours d'eau qui courent de l'Himalaya vers la plaine de Chengdu, terre de rencontre entre les Han et les minorités, porte du monde tibétain, le Sichuan est également avec le Yunnan un véritable conservatoire de la faune et de la flore en Chine. Roulant à travers la plaine en direction de Beichuan, on embrasse du regard une myriade de champs qui ressemblent à des jardinets d'où émergent les silhouettes courbées de paysans occupés à repiquer le jeune riz, tandis qu'un échassier s'affaire à trouver du poisson dans un canal d'irrigation. Scène immémoriale et belle par sa touchante simplicité.

Mais cette apparence cache une réalité moins idyllique, car pour son malheur le Sichuan se situe également dans une zone à forte activité sismique, non loin de la zone de confrontation entre les plaques indienne et eurasienne, comme si la nature avait ainsi voulu rappeler aux hommes qu'il faut payer le prix pour tant de dons. Depuis les temps géologiques la région est victime de tremblements de terre terriblement dévastateurs, ainsi qu'en son époque le rappelait le poète Li Bai dans son fantastique poème Dure est la route de Shu : « La terre croula et les monts s'effondrèrent, enterrant de braves hommes » (地崩山摧壮士死). Et sans doute, pour un voyageur ignorant, il serait bien difficile de deviner derrière le tableau charmant de la campagne que cette terre a été ébranlée il y a trois ans par une catastrophe meutrière, mais si ce même voyageur décide de poursuivre son chemin jusqu'à l'ancienne ville de Beichuan, il sera immédiatement saisi par l'atmosphère du lieu, chargé d'un silence lourd de menaces. Comme les hommes, certains lieux ayant subi des traumatismes ont la faculté de garder sur leurs visages les stigmates du malheur. Beichuan est de ceux-là.

Le 12 mai 2008, un tremblement de terre d'une magnitude de 7,9 a secoué une région grande comme trois fois la Belgique. En l'espace de quelques minutes, des dizaines de milliers de personnes ont été ensevelies sous les décombres, plus de 400 000 édifices se sont effondrés, laissant plus de 4 millions de personnes sans abri. Un des phénomènes qui a le plus marqué l'opinion publique internationale à l'époque fut la vitesse de réaction des autorités chinoises. Le Premier ministre Wen Jiabao s'est rendu sur les lieux dès l'annonce du séisme et le président Hu Jintao, en visite à l'étranger, a décidé de rentrer en Chine toutes affaires cessantes. 130 000 soldats de l'APL ont été déployés sur les lieux et on a pu voir la solidarité nationale et internationale jouer à plein pour venir en aide aux sinistrés. Du fait du relief particulièrement accidenté de la région et de l'étendue des dégâts, certains endroits étaient rendus particulièrement difficiles d'accès, d'autant plus que les répliques du séisme se sont poursuivies pendant plusieurs jours, provoquant des coulées de boues et des glissements de terrain responsables de nouvelles victimes, parmi lesquels de nombreux sauveteurs.

Retour sur les zones sinistrées

Tout le monde aura vu et revu les images de dévastation causée par la force aveugle de la nature, et chacun vient au Sichuan avec ces horreurs en tête. Pourtant, la réalité qu'on y trouve est tout autre que ce à quoi l'on pourrait s'attendre. À l'instar des opérations de sauvetage, le plan de reconstruction de la région, décidé dès que la situation s'est stabilisée, a été appliqué avec une célérité stupéfiante et a démontré la capacité du gouvernement chinois à organiser des projets sur une très vaste échelle. Dès la réunion du Conseil des Affaires d'Etat du 21 mai 2008, plus de 70 milliards de yuans ont été débloqués pour les opérations de secours et de reconstruction. Au total, plus de 100 milliards de yuans ont été investis dans les travaux de reconstruction.

Prenons le district de Beichuan de la ville de Mianyang, seul district autonome de la minorité qiang de Chine, qui a payé le plus lourd tribut lors du séisme (environ 16 000 victimes, soit près de 10 % de la population). Il y a trois ans, cet endroit n'était plus que grabats, poussières et désolation. Compte tenu de sa position encaissée entre d'abruptes montagnes, Beichuan a été sujet aux destructions directes du séisme mais également à des glissements de terrain. Prenant en considération cette situation géographique particulière, les autorités ont décidé de déplacer entièrement le district à quelques kilomètres de son ancien emplacement, sur une friche traversée par la rivière Anchang. Pour ce faire, Beichuan a bénéficié de l'aide massive de la région du Shandong. Il faut rappeler en effet que le gouvernement central, dans un souci d'utilisation efficace de la solidarité interprovinciale, a attribué pour chaque projet de reconstruction un investisseur attitré. C'est ainsi que le Shandong a apporté à Beichuan une contribution de 1,2 milliard de yuans et affecté 35 000 personnes au projet.

Quand nous avons visité la nouvelle ville, l'essentiel des travaux de reconstruction était achevé. À Beichuan, les autorités ne se sont pas contentées de reconstruire une ville sur le modèle de la ville disparue. Elles ont vu les choses en grand et ont fait le pari, tout comme l'ensemble des villes frappées par le séisme, que le malheur subi devait être aussi l'occasion d'amorcer un nouveau départ. Pari tenu : la nouvelle ville est un modèle d'urbanisme moderne. La maquette exposée dans le musée de la ville permet d'apprécier la manière dont a été pensé l'avenir. La ville se divise en différents pôles : quartiers d'habitations dits « de réinstallation » pour les familles originaires de Beichuan, immeubles à vocation commerciale pour les personnes désirant s'y installer, quartier culturel comprenant une bibliothèque, un musée d'art et un centre culturel, pépinière d'entreprises destinées à accueillir les entreprises venant investir à Beichuan, stades et gymnase, complexe hospitalier et centre-ville à vocation touristique, s'inspirant de l'architecture traditionnelle des Qiang. Comme nous l'explique M. Han Guijun (韩贵钧), responsable de la communication du district, et comme nous le répèteront bon nombre de responsables politiques locaux, le principe présidant aux travaux était que « les plus beaux édifices soient les habitations, les plus avancées soient les hôpitaux, et les plus sûrs, les écoles. »

Le nouveau collège, bénéficiant de l'appui de l'UNESCO, où enseignent des professeurs venus de leur propre chef de tous les coins de Chine, n'a rien à envier en termes d'équipement aux établissements des grandes villes. Dans chaque salle de classe, le traditionnel tableau noir dissimule derrière ses panneaux coulissants un équipement audiovisuel de pointe. Terrains de sports, dortoirs, salles de classe, toutes les installations de l'établissement ont été construites en s'appuyant sur les règles antisismiques les plus avancées.

Ménager la transition économique

Une des conséquences générales les plus importantes de l'après-séisme est que cet évènement a obligé chaque ville, district ou bourg a reconsidérer intégralement son modèle économique, a fortiori pour les endroits où les risques de séismes sont désormais connus comme trop importants pour y installer à nouveau des usines.

Un fait mérite tout autant d'être souligné, car il souligne bien comment le nouveau modèle économique de la région s'inscrit dans le cadre macroéconomique du développement de l'Ouest de la Chine. À Beichuan même, des constructeurs automobiles de la province du Liaoning ont décidé d'installer deux usines de chaînes de montage dans le district. Bien que cela manifeste un élan de solidarité délibérée, il ne s'agit pas uniquement de cela. En effet, pour ces entreprises, cette délocalisation permet à la fois de trouver sur place une main d'œuvre meilleur marché que sur les régions littorales, et de commencer à exploiter le potentiel commercial local. Pour les habitants, c'est évidemment une bénédiction en termes d'opportunités de travail, mais aussi l'occasion de voir revenir au pays les travailleurs migrants partis chercher du travail dans les régions côtières, bien souvent dans des usines similaires à celles évoquées plus haut. Ce qui est intéressant ici, c'est que ce phénomène est en parfaite cohérence avec le mouvement global de rééquilibrage des pôles d'activité du pays vers l'ouest.

Pour beaucoup d'autres lieux que nous avons visités, le tourisme s'est présenté tout naturellement comme la solution pour envisager une transition économique durable. Le petit bourg de Shuimozhen, situé à proximité du parc naturel de Jiuzhaigou et de la réserve naturelle de pandas de Wolong, était avant le séisme un centre industriel important de la région. On y extrayait des minerais, en particulier de l'aluminium et du cobalt, et de nombreuses cimenteries étaient installées à proximité du village. Après le séisme, il a été décidé de reconstruire les usines à Chengdu, sur une friche industrielle que la capitale provinciale a cédée au bourg de Shuimozhen. Cela a permis au bourg de continuer à s'appuyer sur la croissance générée par ces quelques soixante entreprises (près de 80 % du PIB local, d'après les autorités locales) tout en développant le potentiel touristique de l'endroit. Dong Lide, une habitante de Shuimozhen nous a confié que la situation environnementale s'était grandement améliorée depuis que les usines avaient déménagé : « auparavant, l'air comme l'eau de la rivière était fortement pollué, maintenant nous jouissons d'une qualité de vie remarquable ». Shuimozhen a été honoré par le Forum mondial sur l'habitat humain du prix des « meilleures pratiques pour la reconstruction post-catastrophe », et on ne peut qu'approuver ce choix lorsqu'on se promène dans cette exquise petite ville qui a prit soin de mettre en valeur le patrimoine et la culture des Han, des Tibétains et des Qiang.

Le bourg de Nianhua de la municipalité de Mianzhu a également choisi de mettre en valeur son potentiel touristique en mettant à l'honneur une spécialité locale : les peintures naïves du Nouvel An. Une petite activité de gravure et de peinture a vu le jour avec l'appui du gouvernement local et de la ville de Wuxi, dans le Jiangsu, qui est le principal contributeur financier de la reconstruction de Mianzhu. C'est une industrie qui fait vivre directement une cinquantaine de personnes dans le bourg, et attire de plus en plus de touristes.

Les perspectives en termes de planification future

Dans tous les efforts de planification déployés lors du processus complexe de reconstruction, les campagnes n'ont pas été laissées de côté, loin s'en faut. Bien au contraire, elles sont le théâtre d'une initiative nouvelle et qui offre des perspectives intéressantes pour le développement futur du pays.

Ainsi que nous l'a expliqué Mme Wu Yuhua (吴玉华), vice-secrétaire de la municipalité de Deyang, chaque bourg a bénéficié de l'expertise d'un urbaniste, ce qui est une première dans l'histoire du pays, qui privilégiait jusqu'alors la planification urbaine. Il a paru très rapidement aux autorités que la reconstruction des villages sinistrés devait se faire de manière organisée, mais en recueillant l'avis des habitants quant au modèle économique et au style architectural recherché. Ainsi les paysans du petit village de Shouyangquan de la ville de Pengzhou ont opté pour une architecture traditionnelle de maison de plain-pied de forme carrée avec une ouverture sur un des côtés. Le modèle économique choisi était celui dit de « construction individuelle dans le cadre d'un programme commun » (同规自建), c'est-à-dire où un plan d'organisation urbaine s'applique à tous en ce qui concerne le type d'habitat, le lieu de reconstruction, mais où chacun est libre de faire appel à l'entreprise de son choix pour les travaux. Chaque foyer s'est vu attribué une somme de 20 000 yuans pour les travaux, qui était versé directement à l'entreprise, une fois les travaux achevés, ce qui a le mérite de s'assurer que le projet est mené à bien, et d'éviter d'éventuelles malversations financières.

Cette forme d'organisation des campagnes se révèle avantageuse à bien des égards. Tout d'abord il permet de regrouper l'habitat et de diminuer ainsi l'emprise humaine sur la terre. De plus, il contribue à moderniser les campagnes de manière beaucoup plus rationnelle et efficace. La concentration de l'habitat facilite grandement les travaux d'abduction d'eau, le traitement des déchets et des eaux usées, ainsi que l'installation du gaz. Sans compter que cette concentration de l'habitat permet de repenser entièrement l'utilisation des terres agricoles. Ainsi les villageois de Wugui, dans la municipalité de Dujiangyan ont décidé de s'organiser en coopérative agricole et de se lancer dans la production et la commercialisation de kiwis. À n'en pas douter, de tels projets peuvent servir de modèles pour l'organisation future des campagnes dans pays en pleine transition urbaine.

 



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