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Publié le 09/10/2011
L'influence de Jean-Jacques Rousseau

L'influence de Jean-Jacques Rousseau sur la pensée politique en Chine avant la révolution de 1911

La grande innovation politique apportée par la Révolution française n'est pas l'introduction des libertés, que connaissaient déjà, à des degrés divers, les sociétés européennes de l'Ancien Régime, mais celle de l'égalité civile. Ce principe fondateur de l'ordre nouveau puisait alors son inspiration doctrinale majeure dans les écrits de Jean-Jacques Rousseau. C'est aussi très largement par la connaissance de l'œuvre politique de Rousseau que s'est propagée au-delà des frontières de la France l'influence des idées directrices de la révolution de 1789.

J'ai montré ailleurs que la Révolution française elle-même n'avait exercé qu'un attrait médiocre et très limité sur les révolutionnaires chinois qui renversèrent la monarchie impériale et fondèrent une république en 1912. En revanche, bien que connue assez tardivement, la pensée politique de Jean-Jacques Rousseau semble avoir joui d'une audience étendue et ad-mirative parmi la jeune génération de lettrés patriotes qui, entre 1901 et 1911, cherchent à définir les voies d'une nouvelle Chine. On devine chez certains esprits les plus originaux, tels Zou Rong et Liu Shipei, l'étape décisive que fut pour leur réflexion la découverte du Contrat social.

La réception de Rousseau en Chine est un vaste domaine presque inexploré: je me bornerai ici à apporter quelques repères sur les débuts de la fortune chinoise du Citoyen de Genève. Je m'attacherai d'abord à préciser les conditions dans lesquelles l'œuvre de Rousseau a été portée à la connaissance du public chinois. Puis j'examinerai les thèmes évoqués par ses premiers commentateurs, et enfin quelques usages ou interprétations que l'on peut apercevoir dans la littérature politique jusqu'au moment où la Jeune Chine, comme on la nommait alors, accomplit la révolution républicaine dont le Contrat social lui semblait l'évangile.

La traduction des œuvres de Rousseau en chinois est relativement tardive: elle ne commence qu'en 1901. Au Japon, au contraire, Du contrat social est traduit dès 1875, l'Emile en 1879, le Discours sur l'inégalité et Les Confessions en 1883. La tradition qui connut le plus grand retentissement est le Minyaku yakkai (Traduction et commentaire du Contrat du peuple) de Nakae Chomin. Cette paraphrase commentée des deux premiers livres du Contrat social, parue en 1882, était rédigée en chinois classique. Toutefois, à l'exception peut-être de Huang Zunxian, comme on y reviendra plus loin, ce texte semble avoir été totalement ignoré des Chinois jusqu'au début du XXe siècle. Il en va de même pour les traductions japonaises des autres œuvres de Rousseau parues dans les vingt dernières années du XXe siècle, à savoir le Discours sur les sciences et les arts, Les Confessions, Emile et deux lettres à Malesherbes.

La première traduction chinoise, publiée en Chine, d'une œuvre de Rousseau fut celle de l'Emile. Faite à partir de la traduction japonaise de Yamaguchi Shotaro et Shimazaki Tsunegoro qui datait de 1899, elle parut sous le titre Aimeier chao dans le troisième recueil de la série Jiaoyu congshu (Collection de l'enseignement), à Shanghai, en 1901.

C'est au Japon que les Chinois publièrent leurs premières traductions de l'œuvre politique de Rousseau. Des extraits du Contrat social paruent durant l'été et l'automne 1900 dans Kai zhi lu (L'éveil intellectuel), revue éditée à Yokohama par des sympathisants de Kang Youwei et Liang Qichao, qui cessa au bout de six mois.

Il ne semble pas que d'autres traductions chinoises des œuvres de Rousseau aient été faites avant 1911. Il est difficile d'évaluer la circulation de ces premières versions elles-mêmes. Elles ont sans doute été reproduites dans des revues et sous forme de fascicules, mais la diffusion en Chine de la pensée de Rousseau pendant la première décennie de notre siècle paraît résulter de l'action des commentateurs plus que du contact des lecteurs avec l'œuvre originale. C'est seulement dans son dernier numéro paru le 1er février 1910, que le Minbao (Journal du peuple), organe du parti révolutionnaire de Sun Yat-sen, publiait le Minyaku yakkai, la traduction commentée en chinois classique du Contrat social par Nakae Chomin.

Contrairement à leurs condisciples japonais, comme Nakae Chomin, qui fréquentaient Paris à la même époque, les premiers étudiants chinois en France n'ont rien connu ou rien retenu de particulier des doctrines de Rousseau, même ceux qui avaient fait des études de droit ou de sciences politiques, tels Chen Jitong ou Ma Jianzhong. Rousseau reste ignoré aussi des lettrés réformateurs de la fin du XIXe siècle, dont les références occidentales viennent de la pensée anglaise et américaine surtout. Ni Wang Tao (1828-1890) qui vécut en Angleterre, ni Xue Fucheng (1838-1894) qui fut ministre de Chine à Paris, ne semblent avoir connaissance de l'auteur du Contrat social ou de ses idées.

Le premier lecteur chinois de Jean-Jacques Rousseau fut, semble-t-il, Huang Zunxian, dès 1879-1880. Huang, qui était alors secrétaire de la légation de Chine à Tokyo, fut conduit à cette lecture par l'observation de la vie politique japonaise, au moment où l'opposition libérale créait le parti Jiyuto dont les revendications démocratiques se réclamaient précisément de Rousseau. Dans une lettre de 1902 à son ami Liang Qichao, le premier commentateur chinois de Jean-Jacques, Huang relate ainsi cette expérience: «Au début de mon séjour au Japon, je ne vivais qu'avec des lettrés traditionnels, tous très posés et distingués. Dans les années 12-13 de Meiji (1879-1880), les discussions sur la souveraineté populaire étaient à la mode. Au début je fus assez effrayé en les entendant. Puis je pris les œuvres de Rousseau et de Montesquieu et les lus. Il se produisit alors un changement dans mon esprit. Je compris que l'ère de la grande paix ne pouvait exister que dans la démocratie. Mais je ne pouvais en parler à personne.

Cette découverte isolée a peut-être été le fait de quelques autres Chinois. Mais le «je ne pouvais en parler à personne» de Huang Zunxian montre à quel point les circonstances politiques et le climat intellectuel ont déterminé la faveur de Rousseau en Chine, plutôt que le seul attrait de ses idées.

C'est après l'échec de la réforme des Cent Jours, au lendemain des événements tragiques des Boxeurs que paraît le premier article consacré à Rousseau. L'immense espoir qui accompagnait, chez les lettrés éclairés, la tentative de réforme de l'Etat lancée par l'empereur en juin 1898 a été déçu par le coup d'Etat grâce auquel l'impératrice douairière Cixi et les éléments conservateurs ont repris les rênes du gouvernement. L'insurrection des Boxeurs avec laquelle la cour a jugé bon de pactiser, en provoquant un intervention militaire étrangère lourde de conséquences, révèle brusquement l'ignorance et l'asservissement de la population, l'incapacité du pouvoir monarchique, la faiblesse et le retard croissant du pays.

Le premier article chinois sur Rousseau est publié du 21 novembre au 21 décembre 1901 dans trois livraisons du Qingyi bao (Journal du conseil désintéressé), revue éditée à Yokohama par des réfugiés politiques de la réforme des Cent Jours, réunis autour de son inspirateur Kang Youwei. L'auteur est Liang Qichao (1873-1929), disciple de Kang Youwei, qui a été un des porte-parole les plus en vue de la réforme des Cent Jours. Son essai sur Rousseau fait partie d'une série inaugurée dans la revue depuis le 1er novembre 1901 sous la rubrique Zhengzhi Xuean (Dossier d'étude politique), où Liang présente les doctrines de penseurs étrangers pour l'information et la réflexion de ses lecteurs. Hobbes et Spinoza ont précédé Roussau.

L'article porte le titre Lusuo Xuean (Dossier d'étude sur Rousseau). Il comporte une biographie de deux pages, puis un exposé des doctrines centré sur la notion de contrat social. Bien que Liang Qichao n'y fasse aucune référence, non plus qu'à une source quelconque, cet exposé est la fidèle reproduction de la section consacrée à la «philosophie sociale» de Rousseau dans l'ouvrage d'Alfred Fouillée, Histoire de la philosophie, paru en 1875. Seule est supprimée la dernière page de l'original traitant des rapports entre l'Etat et la religion. Le texte de Fouillée, un universitaire français né en 1838, professeur de philosophie à la Sorbonne et maître de conférence à l'Ecole Normale Supérieure, avait été traduit en japonais par Nakae Chomin en 1886, pour le compte du ministère japonais de l'Education. Comme Liang Qichao ignorait le français, il a très certainement traduit en chinois la version japonaise. Celle-ci suivait parfaitement l'original français, et Liang Qichao ne s'en est pas écarté. On retrouve en effet l'exact enchaînement du chapitre de Fouillée, ses expressions, ses citations de Rousseau.

C'est au Vindiciae contra tyrannos d'Hubert Languet, daté de 1577, qu'est rapportée l'origine de la notion du contrat social. L'article souligne que pour bien comprendre la théorie de Rousseau, il faut distinguer comment la société (ici Liang traduit par guo, Etat) a été constituée en fait et comment elle doit être constituée en droit. La plupart des critiques se sont mépris sur la vraie doctrine de Rousseau en lui objectant que la société n'a pas commencé historiquement par un contrat, Kang a mieux compris en voyant dans le contrat social non le fondement historique, mais le fondement rationnel de la société. La constitution d'un pacte social procédant d'un libre choix est expliquée, ainsi que le sens du contrat social chez Rousseau, c'est-à-dire le fondement logique d'une autorité politique telle qu'elle rende les individus aussi libres dans l'état social que dans l'état de nature. Ce contrat d'association ne saurait être un contrat d'aliénation de la liberté. Mais Fouillée montre que Rousseau hésite entre l'idée antique du corps social et l'idée moderne du contrat social et esquive finalement le problème de l'aliénation en affirmant que le but de l'association est l'égalité et la liberté de tous. Fondement de l'égalité, le contrat social rend tous les hommes égaux devant la loi, quelles que soient leurs inégalités naturelles, physiques ou intellectuelles. L'article commente la théorie de la souveraineté, bien commun de tous, indivisible et inaliénable. Il souligne la condamnation de la monarchie héréditaire et des privilèges aristocratiques. Il développe la conception de la loi, expression de la volonté générale, dont l'objet est l'intérêt suprême de la société, c'est-à-dire la liberté et l'égalité. Cette égalité, condition de la liberté ne suppose nullement le nivellement des fortunes, mais seulement la protection des pauvres et des faibles contre les abus des riches et des puissants. L'analyse s'étend longuement sur la volonté générale, «volonté du bien de tous par tous, présents et à venir», qui se confond avec la raison universelle.

Passant ensuite à l'examen des formes de gouvernement compatibles avec le contrat social, l'exposé relève que contrairement à ses devanciers, Rousseau ne confond plus la souveraineté de l'Etat (traduit ici guomin, nation) et le gouvernement. L'Etat seul est souverain. Le gouvernement est un ensemble d'hommes auxquels tous confient le soin de faire exécuter la volonté générale. Les gouvernants ou magistrats ne sont que les commissaires de la nation. Or l'unique système permettant l'exécution de la volonté générale est la démocratie. Les critiques adressées par Rousseau aux diverses formes de régime représentatif sont mentionnées, ainsi que ses remarques sur l'impossibilité matérielle de la démocratie directe. Le chapitre s'achève sur les mérites attribués par Rousseau à la république confédérative (traduit par lianbang minzhuzhi, système démocratique fédéral) et les espoirs qu'il mettait en elle pour permettre à un grand pays de pratiquer une réelle démocratie tout en s'assurant une force suffisante.

Rien dans ce texte, qui copie scrupuleusement Fouillée, n'indique que Liang Qichao ait réellement lu Jean-Jacques Rousseau. Ce n'est donc nullement sa propre perception des doctrines du Contrat social qu'il livre aux lecteurs chinois, mais une analyse européenne. Or l'analyse de Fouillée, guidée par ses préoccupations personnelles de républicain modéré, met en relief chez Rousseau les principes politiques constitutifs d'une démocratie républicaine stable et solide. La traduction de Liang Qichao accentue plutôt le caractère politique et étatique de cette lecture des idées de Rousseau: ainsi le terme de société est rendu par guo, Etat.

Cependant, malgré sa fidélité à Fouillée, Liang ajoute trois commentaires personnels. Dans ses articles antérieurs sur Hobbes et Spinoza Liang Qichao relevait des similitudes avec les idées des penseurs chinois antiques, mais ne tirait de leurs doctrines aucune application à la Chine de son époque. Chez Rousseau au contraire, notant que la liberté paternelle ne doit pas aliéner celle des enfants, il trouve l'occasion de fustiger au passage les usages anciens de la Chine. Deux thèmes retiennent surtout son attention et nourrissent immédiatement sa réflexion sur les réformes nécessaires à son propre pays. L'un est celui du droit et de la conception de la loi comme expression de la souveraineté de la nation et de l'intérêt général. En ce sens, observe-t-il, la Chine n'a jamais eu de lois: elle ignore le droit. L'autre thème est celui du fédéralisme. Liang termine l'article par un commentaire sur l'avenir mondial du système fédéral. Une tradition millénaire d'autonomie locale prépare la Chine mieux que tout autre pays à un tel système, dit-il: «Elle deviendra l'Etat rêvé par Rousseau... son régime servira de modèle aux autres pays.»

Or ces deux thèmes, qui apparaissent ici pour la première fois dans l'œuvre de Liang Qichao, ont constitué des lignes de force dans l'évolution de sa pensée politique. Son enthousiasme pour les vertus démocratiques du système fédéral s'est peut-être communiqué alors au petit groupe de révolutionnaires qu'animait Sun Yat-sen, avec lequel il entretenait des liens étroits dans son exil japonais. Toujours est-il que c'est une «république confédérée du Sud» que Sun Yat-sen proposa pour la Chine méridionale lors de ses entretiens secrets avec les autorités coloniales françaises à Hanoi en janvier 1903. C'est seulement dans les années suivantes que Sun Yat-sen relie cette idée d'une république confédérée au modèle américain.

Peu après sa première présentation de Rousseau dans le Qingyi bao, Liang Qichao lui consacrait un autre article dans les numéros 11 et 12 (5 et 19 juillet 1902) de la revue Xinmin congbao (Mélanges du peuple nouveau). Ce journal prenait la suite du précédent et continuait, sous sa rubrique «doctrines» (xueshuo), l'exposé méthodique des théories philosophiques et politiques européennes. Le texte sur Rousseau est intitulé «La doctrine de Rousseau, le grand philosophe du contrat social» (Minyue lun ju zi Lusuo zhi xueshuo).

Ce nouvel article sur Rousseau est exactement le même que celui publié l'année précédente dans le Qingyi bao. Liang n'y a apporté aucune modifiaction ni addition.

C'est après 1902 qu'on voit se multiplier les allusions à Rousseau dans la littérature politique chinoise. Dès 1903, Zhu Zhixin, Hu Hanmin et Wang Jingwei, trois futurs révolutionnaires illustres, avaient formé à Canton une Société de l'intelligence populaire (Qunzhi she) pour acheter et discuter des traductions étrangères: Rousseau figurait en bonne place parmi leurs lectures. La même année dans son pamphlet «L'Armée révolutionnaire» (Geming jun), le jeune Zou Rong se félicite d'avoir pu lire la traduction du Contrat social. Les profondeurs de sa philosophie sont un talisman de résurrection, dit-il. C'est d'elles que sont nées la civilisation française et américaine. Il faut déployer l'étendard de Rousseau sur la terre de Chine. «Tous les hommes naissent libres et donc égaux», écrit-il encore. Rousseau nourrit sa volonté de renverser la tyrannie et d'établir la république, sa foi dans la liberté et l'égalité.

Mais Rousseau n'est pas seulement l'inspirateur d'un enthousiasme révolutionnaire, sa pensée est intégrée à une réflexion sur l'histoire de la Chine. Dans l'hiver 1903-1904, à Shanghai, un jeune lettré, Liu Shipei (1884-1919) achève un pamphlet intitulé «L'idée du contrat social en Chine (Zhongguo minyue jingyi). Son but est d'examiner tous les passages des Classiques chinois qui se réfèrent à une notion de contrat social et d'évaluer leur portée à la lumière de la doctrine de Rousseau. Selon lui, l'essence du contrat social est la défense des droits du peuple contre le souverain. Il veut démontrer aux conservateurs qui récusent le contrat social comme une hérésie que beaucoup des grands penseurs chinois ont soutenu cette idée. Mais Liu souligne aussi que la Chine dans sa tradition possède l'équivalent des valeurs occidentales. Huang Zongxi, le penseur éclairé du XVIIe siècle, est tenu pour l'égal de Rousseau et c'est avec ses idées que Liu Shipei établit sa propre filiation intellectuelle.

L'analogie entre Huang Zongxi, le critique du despotisme monarchique, et Rousseau est mainte fois reprise ailleurs. On la voit sous des traits émouvants dans un roman de Chen Tianhua publié par le Minbao, journal fondé à Tokyo en 1906 comme organe du Parti révolutionnaire. Dans un village, le maître d'école, converti aux doctrines nouvelles, harangue la population sur l'origine du despotisme et ses méfaits en invoquant le Contrat social; son auditoire regrette que la Chine n'ait pas un Rousseau; le maître répond qu'elle en a eu un, né bien avant Rousseau lui-même, beaucoup plus savant et vertueux, universellement respecté, Huang Zongxi; mais alors que le Rousseau français a été suivi par des milliers d'autres, le Rousseau chinois fut seul, si bien que son œuvre n'a pas eu d'influence; la foule fait alors serment d'appliquer la doctrine de Huang Zongxi.

Tandis que beaucoup de revues ne citent Rousseau que de façon assez formelle, comme une référence obligée pour évoquer le problème de la liberté et de l'égalité, le Minbao a été le plus vigoureux propagandiste des doctrines du contrat social. Démocratie, volonté populaire, et droits naturels sont les thèmes constants de référence. Dans l'équipe des fondateurs de la revue, Ma Junwu et Wang Jingwei ont été leurs principaux apôtres.

Ma Junwu forge des expressions nouvelles propres à faire saisir la pensée de Rousseau, tel son dimin (littéralement: peuple empereur) pour rendre «peuple souverain». Wang Jingwei utilise Rousseau pour réfuter les réformistes et prôner la révolution républicaine.

A la différence de beaucoup d'autres, on sent dans ces textes un véritable contact avec l'œuvre originale. Mais Rousseau sert ici comme arme dans une lutte politique, et moins comme fondateur d'une réflexion théorique. Il tient ce rôle philosophique surtout dans le développement du mouvement anarchiste après 1911.

Tard venu parmi les références intellectuelles des lettrés chinois, Rousseau y a été introduit par l'intermédiaire du Japon. A cette entremise il doit d'avoir été connu d'abord par sa pensée politique surtout. Il lui doit aussi d'avoir été utilisé par les jeunes patriotes chinois pour aider la Chine à devenir une nation moderne, c'est-à-dire une nation disposant d'institutions politiques semblables à celles des démocraties occidentales, fondées sur la souveraineté populaire et la suprématie de la loi.

Mais à la différence du Japon, et plus précisément de Nakae Chomin, la jeune Chine révolutionnaire d'avant 1911 fait peu usage du moralisme de rousseau. Que l'œuvre de Rousseau soumette la politique à la morale n'est pas pour ces jeunes gens un attrait essentiel: elle n'est pas un prétexte pour affirmer la valeur permanente de certains principes confucéens, ainsi que c'est le cas au Japon. Chez les jeunes Chinois Rousseau sert au contraire à créer un nationalisme, comme il l'a fait dans les pays européens, nationalisme antimandchou et révolutionnaire. L'égalité civile dont Wang Jingwei souligne à mainte reprise dans le Minbao l'antagonisme absolu avec le système moral et social de la tradition, est aussi l'arme de la lutte des Han contre les dominateurs mandchous. Il est particulièrement significatif à cet égard qu'après une première incursion chez Rousseau, à un moment où l'avenir de la monarchie paraissait tout à fait compromis, Liang Qichao se soit ensuite attaché à réfuter ses doctrines et ait trouvé plutôt dans l'étatisme de Blüntschli une inspiration mieux appropriée à ses convictions réformistes.

 

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