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Publié le 05/11/2010
Interview de Mme Fu Ying, vice-ministre chinoise des Affaires étrangères

Ex-ambassadrice en Grande-Bretagne, désormais en charge des relations avec l'Europe avec le titre de vice-ministre, Fu Ying participait il y a quelques jours à la troisième édition de la World Policy Conference organisée à Marrakech, au Maroc, par l'Institut français des relations internationales (IFRI) sur le thème de la nouvelle gouvernance mondiale. Elle a accordé une interview exclusive au Figaro avant le sommet du G20 à Séoul, les 11 et 12 novembre prochains.

Propos recueillis par Alain Barluet

Le Figaro : Quelle importance revêt pour la Chine la tenue du prochain sommet du G20 à séoul ?

Fu Ying : Le G20 représente pour nous une plate-forme internationale importante en même temps qu'un véritable processus d'apprentissage. Nous avons été très actifs lors des précédents sommets du G20 et la Chine attache une grande importance à la possibilité de travailler avec les autres membres de ce forum pour lutter contre la crise financière, échanger les points de vue et coordonner les politiques. Alors que les pays du monde deviennent de plus en plus interdépendants, le G20 est devenu encore plus important, car un seul pays ou un groupe de pays ne peut pas, seuls, relever les défis auxquels est confrontée la communauté internationale. Le G20, où sont représentés des pays très divers, offre à la Chine l'opportunité de mieux comprendre ces défis et d'y répondre avec la communauté internationale.

En ce qui concerne plus particulièrement le Sommet de Séoul, celui-ci survient au moment où nous observons un allègement des difficultés de l'économie internationale. Nous pensons que le monde est plus ou moins sur la voie de la sortie de crise. Il demeure néanmoins des incertitudes et le danger d'une reprise molle. Il est important à nos yeux de profiter du sommet de Séoul pour discuter ensemble de la manière de stabiliser l'économie. Le sommet du G20 est une initiative lancée au pic de la crise financière internationale et destinée à répondre à cette crise. Puisque nous sortons maintenant de cette crise, ce mécanisme doit faire évoluer son rôle d'une entité visant à gérer la crise à un mécanisme destiné à la réflexion et à l'action sur un plus long terme.

Le Figaro : La Chine a-t-elle des idées pour favoriser la pérennité du G20 ?

Fu Ying : Le G20 doit demeurer efficace. Nous devons faire notre possible pour mettre en œuvre les décisions déjà prises lors des précédents sommets. Il y a un dicton en Chine qui parle d'un ours qui cueille des épis de maïs dans un champ et qui, chaque fois qu'il en arrache un, le laisse aussitôt tomber pour se saisir d'un autre, et ainsi de suite...

Le Figaro : C'est cela pour vous l'illustration de la mauvaise méthode...

Fu Ying : Exactement. Nous avons besoin de progrès tangibles. Appliquons ce dont nous sommes déjà convenus. Au point où nous sommes, je pense que la réforme que nous avons approuvée de réformer les quotas au FMI doit être appliquée. Si nous ne cessons pas de revenir sur des sujets sur lesquels nous nous sommes déjà mis d'accord, ce sera une discussion sans fin. Mettons en œuvre les décisions prises et passons aux suivantes.

Nous pensons aussi que le G20 doit améliorer la régulation financière. Les carences dans ce domaine sont en partie responsables de la crise que nous venons de traverser. C'est là une tâche majeure pour le G20.

Figaro : Quels sujets souhaitez-vous voir abordés en priorité lors du G20 de Séoul ? Par exemple, après la conférence de Copenhague sur le climat, l'idée de travailler au sein d'un groupe plus restreint, et plus efficace, que l'ONU s'est faite jour. Etes-vous d'accord ? Par ailleurs, pensez-vous que la question de la réforme du système des monnaies, très sensible pour vous, et que Nicolas Sarkozy a mise à l'agenda de la présidence française du G20, doit être abordée dès la réunion de Séoul ?

Fu Ying : Il y a là plusieurs questions. Laissez-moi y répondre l'une après l'autre. Je pense que le G20 ne doit pas devenir une autre ONU ni trop s'écarter de ses priorités. Il doit se consacrer aux sujets qui ne sont pas traités par les organisations spécialisées ou les institutions existantes. Ne soyons pas ambitieux au point de croire que nous avons trouvé la panacée avec le G20, la réponse à tous les problèmes. Restons concentrés sur ce que nous pouvons raisonnablement accomplir, ce qui était l'objectif du G20 à l'origine. Voilà pour la première partie de votre question.

Deuxièmement, la présidence française du G20 aura lieu bientôt. Nous serons, espérons-le, plus avancés sur la voie du redressement l'an prochain, et donc mieux à même de réfléchir aux faiblesses de la gouvernance financière internationale. Cela ne nous empêche pas de travailler dès à présent sur certains thèmes parmi les plus ardus comme le manque de régulation financière et d'autres sujets dignes d'attention, parmi lesquels une meilleure représentation des pays en développement au sein des institutions internationales, notamment le FMI et la Banque mondiale. En fait, le G20 s'y est déjà penché.

Le Figaro : La meilleure représentation des pays en voie de développement au sein du FMI est manifestement pour vous une priorité...

Fu Ying : Tout à fait. Cette affaire doit être prise très au sérieux. Le monde change et évolue. L'architecture internationale élaborée après la Seconde guerre mondiale s'appliquait à une partie de la population du globe, soit 1,2 milliard de personnes issues du monde développé. Maintenant ce sont 3 milliards d'habitants, et même davantage, qui arrivent sur la planète. Il faut répondre au besoin de réforme afin que les institutions internationales reflètent mieux le nouveau paysage du monde en permettant à plus de gens de participer plus largement et sur un pied d'égalité aux affaires du monde. Le G20 doit refléter cette évolution. Heureusement tous ses participants s'accordent sur le fait que ces changements sont nécessaires.

Le Figaro : Revenons à la réforme du système monétaire international, un projet ambitieux qui figure au programme de la présidence française du G20...

Fu Ying : C'est une très bonne attitude de la France que d'être proactive en tant que prochaine présidente du G20. Cette position requiert naturellement d'avoir beaucoup d'idées pour nourrir nos futures discussions. Pour la France, ces propositions n'ont rien de définitif. Elle fait des propositions, il n'y a rien de mal à cela. Ces idées seront prises en compte par les membres du G20 qui en délibéreront pour parvenir à un consensus. Nous avons une année devant nous. Nous verrons bien quelles sont les propositions qui pourront aboutir à un consensus, ce qui n'a rien d'évident avec la présence de pays aussi divers.

Je pense que la présidence française devrait avoir la patience d'écouter chacun, notamment en ce qui concerne la réforme du système monétaire. Il y aura des discussions entre les membres du G20 et chez eux. Il y a beaucoup d'idées ambitieuses, c'est vrai. La Chine s'y attellera aussi avec énergie. Mais il est trop tôt pour se prononcer dans un sens ou un autre.

Figaro : Donc, vous approuvez le fait de proposer une réforme du système monétaire tout en restant prudente sur le fond ?

Fu Ying : Oui à une attitude proactive. Pour ce qui concerne les propositions, il est trop tôt pour se prononcer. Nous ne sommes même pas encore au sommet de Séoul. Voyons comment celui-ci va se dérouler, et ce que diront les participants de ces propositions.

Figaro : Le sommet du G20 peut-il, selon vous, contribuer à empêcher la « guerre monétaire » qui menace actuellement ?

Fu Ying : Le taux de change d'une monnaie des différents pays est une question de souveraineté nationale, tout particulièrement en Chine où la réforme financière n'en est qu'à mi-course. Nous n'apprécions pas toute cette pression qui s'exerce sur la Chine, comme si le taux de change du yuan était une clé magique à tous les problèmes. Ce n'est pas le cas.

En effet, pour pas mal d'économistes, il n'y a pas de preuve que l'appréciation de la monnaie chinoise permettra de trouver une solution aux problèmes économiques du monde actuel. Il ne faut pas en faire une question politique, car tel n'est pas le cas. Depuis 1994, lorsque nous avons entamé la réforme du taux de change jusqu'à la récente crise financière, le yuan s'est apprécié de 55%, mais les excédents commerciaux de la Chine ont crû durant cette période. Nous avons suspendu un temps la réforme pendant la crise financière, ce qui n'a pas empêché nos excédents commerciaux de chuter. Il n'y a pas de corrélation avérée entre le taux de change et l'excédent commercial, qui est structurel par nature. Nous sommes excédentaires en ce qui concerne les marchandises mais déficitaires en matière de services ; en position de surplus vis-à-vis des Etats-Unis et de l'UE mais déficitaires avec le Japon, la République de Corée et les pays de l'Asie du Sud-Est.

La Chine est déterminée à appliquer la réforme du taux de change qui a repris en juin dernier. L'essence de cette réforme est de passer d'un modèle plus ou moins accroché au dollar à un système fluctuant selon la valeur d'un panier de monnaies pour permettre plus de flexibilité en matière de taux de change.

Le Figaro : Comment voyez-vous les relations entre la France et la Chine ?

Fu Ying : La Chine et la France ont établi un partenariat global stratégique en 2004. Ces dernières années, des efforts ont été faits de part et d'autre pour le développement de ce partenariat. D'après moi, la relation sino-française revêt deux caractéristiques. Premièrement, la Chine et la France ont des visions et des positions proches ou identiques sur les grandes questions internationales, notamment en ce qui concerne les grandes tendances de l'évolution du monde, et ont su se coordonner et travailler ensemble sur de nombreux dossiers. Deuxièmement, la coopération entre les deux pays est vaste et riche. Les Chinois gardent aujourd'hui encore un souvenir vivace de la Tour Eiffel illuminée en rouge lors de l'année de la Chine en 2004. Bien sûr, il y a aussi des divergences et des frictions dans les échanges bilatéraux. Ce qui est essentiel, c'est que les deux parties s'accordent sur la nécessité de se parler, de se respecter et de se traiter dans l'esprit de l'égalité.

Lors de sa visite en Chine en avril dernier, le Président Nicolas Sarkozy est parvenu avec le Président Hu Jintao à un consensus important : Il faut construire une relation sino-française nouvelle, mûre, stable et tournée vers le monde. Nous sommes optimistes sur la relation sino-française, et nous en avons des attentes.

Le Figaro : Selon certains observateurs, la Chine préfèrerait au G20 l'ONU aux 192 membres, forum où elle est politiquement très active. Certains disent que votre système de prise de décision est très efficace. Vos hauts fonctionnaires viennent avec des instructions directes du gouvernement.

Fu Ying : Vous avez posé en effet deux questions dont la première est liée au processus de prise de décision. En Chine, la décision est prise suivant un processus de construction de consensus très démocratique qui implique toutes les parties prenantes dans les discussions, le débat, la construction de consensus et la prise de décision. Par exemple, notre politique sur le changement climatique a été élaborée en tenant compte de nombreux facteurs, tels que toutes sortes de possibilités et les dimensions économiques et humaines. Les politiques sur un dossier aussi compliqué que celui de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ont derrière elles beaucoup de calculs mathématiques. Elles ne peuvent pas changer simplement parce que certains le veulent. Nous devons être responsables envers 1,3 milliard de Chinois.

Nous faisons confiance à l'ONU. Avec sa représentation universelle, c'est la plus inclusive des institutions internationales, une plate-forme importante et irremplaçable pour débattre des politiques à mener. Nous avons pris une part active aux opérations de maintien de la paix des Nations-Unies, lesquelles bénéficient d'un meilleur soutien international si elles sont dotées d'un mandat de l'ONU. C'est vrai, nous sommes actifs aux Nations-Unis mais ce n'est pas pour nous un terrain de jeu diplomatique. C'est dans le cadre des Nations-Unies que nous préférons discuter de beaucoup des graves problèmes du monde.

Bien sûr, les réformes sont nécessaires parce que cette organisation a été créée il y a plus de soixante ans et que tout a beaucoup changé depuis. En fait, l'ONU n'a jamais cessé de se réformer : regardez, par exemple, l'essor des opérations de maintien de la paix, un phénomène nouveau. Dans toutes ces réformes, nous pensons que les pays en voie de développement doivent avoir plus de voix au chapitre.

Le Figaro : La Chine tolèrera-t-elle un jour que le Japon accède au statut de membre permanent du Conseil de sécurité ?

Fu Ying : La question n'est pas de savoir si la Chine est pour ou contre. Le Japon est pour nous un voisin important. Nous avons entre nous des difficultés historiques qu'il nous faut affronter. Mais nous sommes à la fois interdépendants et soucieux de paix et de partenariat dans la région. Coopération et partenariat sont des notions-clés.

Le Figaro : La Chine envisage-t-elle des initiatives pour faire retomber la tension actuelle entre elle et le Japon ?

Fu Ying : Pour nos deux pays, il y a un besoin de se connaître mutuellement. Je partage le sentiment de nombreux Chinois concernant la question historique. Mais, en tant que diplomate, je suis persuadée que la seule manière de faire progresser les relations entre les deux pays est d'approfondir leur partenariat. On ne devrait pas demeurer dans l'ombre du passé. Il est nécessaire de faire face aux problèmes d'aujourd'hui de manière équitable. Cela ne sera pas facile, mais il faut que nos deux gouvernements puissent se parler sereinement en gardant à l'esprit l'intérêt des populations.

Source: Ministère des Affaires étrangères

 



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