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Publié le 08/07/2015
La vie sur Le Troisième pôle

 

Tsultrim, médecin, prélève de l'eau du lac Mapham Yutso pour ses propriétés médicinales.

« Vous avez vu ce que j'ai trouvé ? » George Schaller ouvre sa main : une chenille noire apparaît. Ce sont ces larves noires qui ont le plus marqué cet éminent biologiste américain, spécialiste des panthères des neiges, lors de son voyage sur le plateau Qinghai-Tibet.

Sur la route qui relie les districts de Yushu et de Zadoi, George trouve une section de route où processionnent ces chenilles. Des automobilistes qui passaient par là s'arrêtent et descendent de leur véhicule pour observer le spectacle. Certains ramassent ces vers dans un seau et les mettent un peu plus loin dans l'herbe.

Le documentaire Le Troisième pôle relate cette scène. Dernier documentaire en date sur le plateau Qinghai–Tibet, cette production a été un succès immédiat. Elle a nécessité 500 jours de tournage sur une soixantaine de sites difficiles d'accès, que ce soit au Tibet, au Qinghai, au Sichuan, au Yunnan, etc. C'est à ce jour le documentaire sur le Tibet qui a demandé le plus gros budget.

Le plateau de Qinghai-Tibet, le plus haut du monde, est surnommé le « troisième pôle » – s'ajoutant au pôle Nord et au pôle Sud. C'est la seule région polaire dans le monde où subsistent de multiples activités humaines. Cet endroit renferme en outre des montagnes aux neiges éternelles, des glaciers, des lacs, des marécages, tout en abritant une variété d'espèces. Y règne également une forte atmosphère religieuse, de par la place accordée au bouddhisme. Tous ces aspects enveloppent ce lieu de mystère...

« Je ne voulais pas réaliser un documentaire fournissant plein d'explications. Simplement rendre compte, avec ma caméra, de la vie quotidienne des Tibétains telle qu'elle se déroule », explique le réalisateur Zeng Hairuo. Les paysages dépeints par le documentaire sont certes majestueux et impressionnants, mais ce qui intéresse Zeng Hairuo, c'est surtout le mode de vie des gens du coin, notamment leur relation avec la nature dans cet environnement polaire aux conditions extrêmes.

Le long-métrage a enregistré une forte audience, un succès qui a dépassé les attentes de l'équipe de production. Dès la première diffusion, 83,34 millions de téléspectateurs étaient réunis devant leur écran. La chaîne américaine National Geographic Channel a alors fait l'acquisition de ce documentaire chinois, une grande première, puis l'a diffusé sur son réseau de télévision mondial.

 

Le quotidien des locaux

Il y a dix ans, Zeng Hairuo avait produit son tout premier long-métrage documentaire, focalisant déjà son attention sur les zones tibétaines du Qinghai. Il rêvait depuis de revenir sur ces lieux pour tourner une deuxième production. Mais cette fois-ci, l'expérience lui a semblé différente. « Je ne pensais pas que le Tibet s'était autant modernisé : désormais, tout le monde possède un portable et utilise WeChat. Par ailleurs, les Tibétains n'ont plus l'esprit très traditionnel comme je l'imaginais. Au contraire, ils s'intéressent beaucoup aux nouveautés », commente Zeng Hairuo dans une interview pour notre revue.

Au début, il comptait filmer les mœurs traditionnelles des Tibétains. Mais alors qu'il préparait son reportage, il a constaté que presque tous les ouvrages concernant le Tibet portaient sur l'histoire et le tourisme dans la région. Rarement est évoquée la vie quotidienne des Tibétains, encore moins celle transformée depuis 2010. C'est ainsi que Zeng Hairuo a choisi de retourner au troisième pôle du monde pour faire découvrir la véritable vie des Tibétains sur le plateau, à travers l'histoire d'une quarantaine de locaux.

On prétend que les Tibétains ne prennent que trois bains dans leur vie : un à leur naissance, un à leur mariage et un à leur décès. Zeng Hairuo affirme que ce n'est qu'une légende. « Dans les pâturages, il n'y a effectivement pas de salle de bain, mais coulent des sources chaudes. Les bergers restent en ces lieux quelques jours et en profitent pour se laver parfois plusieurs fois dans la journée.

Peu de gens savent que ces thermes sont vus comme une méthode de traitement dans la médecine tibétaine, pour soigner en particulier les maladies osseuses. À Laoyingquan, on compte une vingtaine de sources chaudes, dont l'accès est ouvert. Des Tibétains nus y bavardent en barbotant dans des étangs fumants. Chaque jour, des gens y viennent, d'autres en repartent. À proximité des sources, reposent des cannes délaissées par d'anciens malades, lesquelles attestent des effets miraculeux de ces eaux.

De retour des thermes, l'équipe de tournage a fait la rencontre d'une famille vivant sous une tente. Les membres de celle-ci étaient en train de nourrir avec de la viande de mouton six louveteaux qu'ils avaient adoptés. Cette viande venait en fait d'un troupeau de moutons décapités par une horde de loups le jour même… Sur le plateau tibétain, les rapports hommes-animaux illustrent l'attention que les Tibétains portent à la nature. Des paysannes sauvent des grues blessées, tandis que des villageois laissent les singes descendus de la montagne s'abriter dans leur habitation. Les maîtres posent également le hada (foulard tibétain) blanc sur leurs gros chiens – les dogues du Tibet – ou leurs chevaux, en signe de gratitude.

D'après Zeng Hairuo, le respect des Tibétains envers les animaux vient plus de la tradition que de la croyance. « Leurs grands-parents et parents agissaient de la sorte. En proie aux rudes conditions sur le plateau, les locaux se montrent depuis les temps anciens reconnaissants envers la vie, envers tout être et toute chose. Même les insectes, ils les traitent avec bonté. Ils ne font pas de distinction entre ceux qui sont utiles et ceux qui sont nuisibles », observe-t-il.

Dans un village, le réalisateur a filmé les habitants se rendant au temple pour y demander une pilule qui, symboliquement, permet d'expier ses péchés. Chaque année, les villageois dissolvent cette pilule dans l'eau, puis donnent le breuvage à boire aux moutons qu'ils vont tuer. Ils se mettent alors à prier pour le salut des pauvres bêtes, une façon de se faire pardonner du crime qu'ils commettent.

« Dans la culture tibétaine traditionnelle, l'homme n'est pas supérieur aux autres êtres vivants. Selon ces idées, l'homme n'est qu'un hôte sur le plateau, dont la nature est la maîtresse. L'hôte ne peut pas se procurer les biens du maître de maison à son gré. Il doit donc se contenter de ce que la nature lui offre. Ainsi, les bergers tibétains n'élèvent pas plus de bœufs ni de moutons que ce que le pâturage est capable d'endurer, poursuit Zeng Hairuo. L'homme est considéré comme un simple élément de la biodiversité. »

Danse de villageois tibétains.

Fusion entre tradition et modernité

Dans le monastère de Mindroling du district de Chanang, l'équipe de tournage a été témoin du rite appelé en sanscrit « mandala ». Ce terme signifie « l'espace où se regroupent les boud-dhas » et symbolise l'origine de l'univers. La cérémonie du mandala n'est en général ouverte qu'aux moines bouddhistes. Lors de la fête du Saga Dawa, une quarantaine de moines du temple Mindroling se placent dans quatre positions différentes pour ensemble composer une œuvre : ils versent du sable multicolore le long d'un croquis blanc. Au fur et à mesure que le sable fin coule entre leurs doigts, se dessine un magnifique motif aux contours bien nets. Selon la légende, le Bouddha dessinait lui aussi de cette façon avec ses disciples.

Ce qui est bouleversant, c'est qu'une fois le mandala accompli avec soin, les moines s'agenouillent et balaient le sable avec leurs mains. Puis ils frottent encore le plancher avec un chiffon humide pour bien tout nettoyer. En moins d'une minute, tout a disparu. Il ne reste que le lustre des dalles rouges du temple...

Le bouddhisme est profondément ancré dans la vie des habitants du troisième pôle. Au pied d'un mont enneigé, près d'un lac, nous avons aperçu deux sœurs jumelles. L'aînée vit en ermite dans une grotte depuis une vingtaine d'années, se nourrissant des vivres que lui offre sa sœur cadette. Elle n'a pour compagnie que les vautours de la mort. Pourtant, entre la cadette à l'allure opulente et l'aînée quelque peu rabougrie, c'est la seconde qui est la plus respectée. « La bonne foi est le meilleur des compagnons. Avec elle, on ne ressent ni angoisse ni ennui », explique cette dernière.

Néanmoins, les modes de vie modernes se généralisent. Les grottes sont désormais remplacées par des bureaux, parfois munis d'un lot complet de produits Apple. Désormais, même les tentes tibétaines sont pour la plupart équipées en appareils électroménagers.

Zeng Hairuo a alors demandé aux locaux : « Les jeunes tibétains adoptent de plus en plus un style de vie urbain et se passionnent pour le monde extérieur. Est-ce un phénomène inquiétant, selon vous ? » Des moines tibétains lui ont répondu que le monde était en constante évolution. Le changement en est une caractéristique propre. C'est au contraire si rien ne changeait pendant des décennies qu'il y aurait lieu de s'inquiéter. Il est ainsi évident que les Tibétains ordinaires souhaitent mener une vie confortable.

Le « daga » est un travail collectif : les hommes s'alignent sur un toit, chacun un outil dans la main, pour réparer la toiture, tous au même rythme. Les jeunes que nous avons vus à l'ouvrage portaient des vêtements modernes et des casquettes de base-ball. Ainsi, les jeunes ont réalisé cette merveilleuse combinaison entre tradition et modernité. Alors que Zeng Hairuo les filmait, ces travailleurs l'ont invité à participer à la tâche.

Staduoji est un étudiant tibétain. Comme ses camarades, chaque matin, il va en classe, joue au basket-ball, puis rentre au dortoir universitaire le soir. Mais en plus de ces activités, il est conteur de l'épopée du roi Gesar. Il s'agit de la plus longue épopée du monde, avec plus d'un million de vers. Cette histoire s'est transmise oralement dans de nombreuses ethnies du plateau tibétain pendant plusieurs millénaires. Elle raconte qu'à l'heure où le peuple vivait dans la misère et la souffrance, le roi Gesar était descendu dans le monde des mortels pour lutter contre les monstres, sauver les pauvres et unifier toutes les tribus.

Staduoji semble avoir un don. La plupart de ces artistes, bien qu'analphabètes, sont dotés d'une mémoire d'éléphant. Ils sont capables de réciter une dizaine, voire une vingtaine d'épisodes de l'épopée de Gesar. Son école filme ses représentations. Staduoji, vêtu de costumes multicolores, les yeux entrouverts, ressemble à un vieux chaman lorsqu'il récite : « Au bord du lac sacré et dans la montagne sacrée, sur le trône installé au-dessus des flammes, s'assoit le roi Gesar. Il invite tous les dieux à anéantir diables et démons. Il prie pour que les monstres soient chassés et qu'advienne un monde meilleur... »

 

L'homme n'est qu'un élément de la nature

Le troisième pôle renferme de somptueux paysages, mais aussi d'immenses zones désertes, des chemins de montagne cahoteux, ainsi que des lieux détruits par de multiples glissements de terrain. La teneur en oxygène de l'air ne représente que 60 % environ de celle dont on dispose à altitude zéro. Le caméraman Sun Shaoguang a vécu deux ans dans la région tibétaine. Il considère que ce voyage a été une épreuve plus difficile : « Je n'avais jamais vécu d'expérience aussi dure auparavant ! »

La haute altitude n'a pas facilité la tâche de l'équipe de tournage, parfois désemparée. Des appareils tombaient en panne ; les batteries se déchargeaient deux fois plus vite sur le plateau que dans la plaine ; l'essence partait également en fumée très rapidement... « C'est ainsi en haut du plateau ! On comprend plus pertinemment que l'homme n'est qu'un grain de sable dans l'univers. Il faut alors se voir comme un simple élément de la nature », commente Zeng Hairuo.

Pour la première fois, l'équipe de tournage a filmé sous la surface glacée d'un lac situé à 5 000 mètres d'altitude, en suspension sur une falaise de 200 mètres de haut avec le fleuve Yarlung Zangbo en contrebas, ainsi que dans la région dépeuplée de Changtang pour capturer des images haute définition de la faune. Au total, ils ont accumulé plus de 1 000 heures de vidéo.

Les autochtones se voulaient souvent rassurants : « Ce n'est pas la peine de s'inquiéter. Tout ira bien, vous arriverez à filmer ce que vous voulez. » Ce caractère calme avait grandement impressionné Zeng Hairuo. « Je vis ici depuis un an, et jamais je n'ai vu un Tibétain pressé ou stressé, excepté si ses proches ou ses troupeaux sont en danger. Mais en général, ils mènent une vie au rythme lent. Tous les matins, ils sirotent tranquillement du thé au beurre et mangent du tsampa (farine d'orge grillée), puis ils partent travailler », décrit Zeng Hairuo. Selon lui, cette attitude est due à leurs croyances, mais aussi à leur modèle de production agricole. Quoi qu'il en soit, le plus important, c'est de trouver un équilibre entre les divers intérêts.

« Pourquoi sommes-nous si nerveux ? Nous sommes souvent angoissés, car nous nous prenons pour le centre d'intérêt et nous nous comparons sans cesse aux autres : si je suis moins rapide, je vais gagner moins que les autres. On pense se motiver, mais à l'inverse, on devient stressé, on perd patience, et de fait, on prête moins d'attention à la nature, et même, à sa famille, explique Zeng Hairuo. Les gens d'ici ne sont pas parfaits, bien évidemment, mais à ce niveau-là, ils s'en sortent mieux que nous. » Au fil du tournage qui a duré plus d'un an, il a appris des sagesses intemporelles qui lui ont fait voir la vie et le travail sous un autre jour.

« Cela fait une dizaine d'années que je produis des documentaires, et par ce biais, je suis entré en contact avec toutes sortes de personnes. Et le Tibet est pour moi l'endroit où je me suis senti le plus à l'aise, où les gens sont les plus tolérants. Ils sont indifférents à nous et à notre caméra. Ils font ce qu'ils ont à faire, et ils disent ce qu'ils ont à dire, comme si nous n'étions pas là », constate Sun Shaoguang.

Le Troisième pôle est le premier volet d'une trilogie sur le plateau Qinghai-Tibet par Zeng Hairuo. Les deux autres volets seront davantage axés sur les rapports humains qu'entretiennent les gens d'ici. « Que ce soit dans les relations familiales, dans les rapports entre voisins ou dans le contact avec les animaux, les montagnes ou les rivières, il y a toujours ce sentiment de respect. C'est quelque chose qui m'a profondément impressionné. Ce sens de l'égalité entre chaque homme ainsi qu'entre l'homme et la nature, voilà ce que je voudrais faire ressortir », résume Zeng Hairuo.

 

Source: french.china.org.cn

 



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