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Publié le 15/06/2015
Revenir au Tibet : regard d'une voyageuse française

 

Photo : Sonia Bressler

Par Sonia Bressler

Ecrire quelque chose de nouveau sur mes voyages en région autonome du Tibet, revient à me plonger dans des souvenirs intenses. Dans cette région, il n'y a pas de demi-mesure. Chaque chose, chaque instant doit se vivre avec intensité.

Il faut donc prendre le temps de regarder les souvenirs avec force. Il faut repenser la puissance de la terre, la présence du ciel à portée de main. L'oxygène qui se raréfie, le bleu infini, les tableaux de lumières, les jeux des nuages, les tâches de couleurs, le bruit des drapeaux flottant au vent, les yaks, les chemins menant aux sommets, le lointain à perte de vue, le chant des moines, les fumées d'encens, les habitants allant et venant. C'est cela le coeur du Tibet : une palpitation de couleurs, une vibration de lumières.

Et puis, il y a sans cesse cette même question qui revient : que dire de plus sur cette région de Chine qui me fascine tant ? Dire quelque chose qui ne soit pas la répétition de mes précédents articles ?

Aujourd'hui, j'ai envie de vous parler de cette région autrement. Par le truchement des remarques qui m'ont été faites depuis mes voyages, par les questions soulevées au cours de discussions.

Je vais partir du nouveau livre que je suis entrain d'écrire. Ce livre a la chance d'avoir la distance entre mes deux expériences au Tibet. La fougue, l'énergie sont passées, mais elles restent là. Car, à qui veut bien l'entendre, cette région nous apporte cela : une connexion extraordinaire à la nature, à la force des éléments.

Comprendre le Tibet, c'est comprendre notre rapport au monde par le truchement de notre corps. La terre est ici vivante, mouvante, susceptible de colères. Elle tremble, elle hurle, elle gronde, engloutissant les histoires humaines, transformant nos champs de vision et nos perceptions. Au Tibet (comme en Islande), nous sommes au monde différemment. Nous sommes, comme écrit le poète Guillevic “reliés à l'immémorial”. Se rendre au Tibet c'est comme “planer à travers les temps qu'ils soient de misère ou d'éblouissement”.

Ecrire et parler du Tibet en France, c'est prendre un risque : celui de demander à tous les français (mais aussi bon nombre d'européens) d'accepter de retirer leurs oeillères. Il nous faut prendre conscience que notre vision est trop souvent liée à un truchement de discours, à un amalgame.

Partout, on entend “nous défendons un Tibet libre”. Mais qu'est-ce que cela veut dire un “Tibet libre” ? C'est une expression qui me fait penser à celle du “Tsunami financier”. C'est une expression devenue image manipulatoire. Parler du “Tibet libre”, c'est parler de la création d'un état théocratique.

Qu'est-ce qu'une théocratie ? Faisons un peu d'étymologie, le mot “théocratie”, vient de deux mots grecs “Θεός (Theós)” pour “Dieu” et “κράτος (krátos)” pour “pouvoir”. En d'autres termes, une théocratie c'est un gouvernement par Dieu.

Donc si Dieu décide de voiler les femmes, de leur interdire l'accès à l'éducation, de les marier dès l'âge de cinq ans, de n'accorder du pouvoir qu'aux riches, d'établir que certains seront, par naissance, esclaves des puissants, alors la liberté sera ainsi définie. C'est aussi cela le “Tibet libre” et nous avons tendance à l'oublier.

Il est donc risqué de parler du Tibet moderne, comme d'une région de Chine. Une région puissante par sa taille, une région forte, une région humaniste par sa culture. Une région aux mille merveilles terrestres et célestes. Une région qui pourrait être amenée à être le poumon de la Chine, un lieu des énergies renouvelables, un lieu qui serait le prolongement et la continuité idéale du projet de la Route de la Soie.

Avant mon premier départ pour Lhassa, une de mes connaissances, m'avait dit “tu vas être déçue, Lhassa ce n'est pas ce que tu crois !” Cette phrase résonne encore moi, elle me procure toujours la même onde de choc pour deux raisons.

La première : comment peut-on présupposer ce que je vais penser, ressentir ? La seconde raison c'est que cela signifie, à demi-mot que pour nous occidentaux, nous devons continuer à penser que pour entrer à Lhassa il faut se vêtir de peaux de bêtes, et se faire passer pour des mendiants.

Photo : Sonia Bressler 

En me rendant au Tibet, j'ai pu comprendre combien notre imaginaire est coincé par tant d'a priori, par tant de discours établis. Nous en oublions les fondements même de notre savoir : l'expérience, le croisement des informations. Rien ne vaut l'expérience, le déplacement, les rencontres. Je garde un souvenir impérissable de ces enfants qui dans leur classe me disaient qu'ils voulaient être médecin, enseignant, agriculteur, bâtisseur de route, moine, etc. Ou encore ce pèlerin devant le Potala qui regardait avec sagesse l'évolution de sa région. Et cet homme si heureux d'être dans une maison de retraite alors qu'il aurait du errer et mourir sur les routes.

Un soir, du côté du Polar Manor, invitée à dîner dans la famille Lhapa Dunzhu, j'ai pris conscience de ma naïveté occidentale. Sous leurs sourires, ils masquent tous les deux un lourd secret celui d'une enfance sous la servitude de leurs parents. Assise chez eux, savourant des plats délicieux, je mesure la leçon qui m'est donnée.

Comprendre le Tibet d'aujourd'hui, c'est avancer dans la compréhension de l'histoire de la Chine et du reste du monde. C'est aussi se défaire des discours établis. C'est aller à la rencontre de ceux qui font le Tibet d'aujourd'hui. Ils sont étudiants, ils sont médecins, moines, enseignants, écrivains, peintres, poètes, guides, amoureux ou même rêveurs. Tous sont dans le mouvement du monde. Tous par leur présence, leur ouverture, nous enseignent ce qu'est la Chine aujourd'hui : un pays aux multiples visages, aux ethnies qui vivent ensemble, un pays qui réfléchit et s'inspire des bonnes pratiques, un pays résolument orienté vers le futur.

Autant de raisons qui font qu'il faut aller au Tibet et surtout y revenir, y rester, y vivre un peu afin d'y retrouver un brin de sagesse et d'humanité.

Présentation : une série d'articles de Sonia Bressler sur l'art et la culture chinoise. Sonia Bressler est docteur en philosophie et épistémologie, ses recherches sur le langage l'ont conduite après l'obtention de son doctorat à prendre un train pour la Chine. De ce périple en mai 2005 est né non seulement un premier récit Paris-Moscou-Pékin mais également son amour de la Chine.

Découvrez ses textes :

L'art brut des pêcheurs de Chine

Pérégrinations en Chine

Peintres paysans chinois, Peintures paysannes du Zhejiang

 

Source: le Quotidien du Peuple en ligne

 



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