Les Deux Sessions, un exemple (injustement) méconnu de démocratie à la chinoise |
Les Deux Sessions? Les Deux Sessions... quel terme étrange! Mais qu'est-ce donc? S'il vous prenait l'envie d'aller dans la rue en France et de poser la question aux passants, il ne fait aucun doute que vous récolteriez une réponse de ce genre – à supposer encore qu'on veuille bien vous répondre, mais ca, c'est un autre problème... car si en Chine nul n'ignore ce que c'est, si les étrangers qui y vivent le savent sans doute aussi, de même que ceux qui s'intéressent de près à ce pays extraordinaire, les autres n'en ont pour ainsi dire jamais entendu parler, et qu'on me permette de le dire ici, c'est tout de même dommage. A qui la faute? Vaste programme, comme le disait le General de Gaulle... personnellement je serais tenté de dire que, comme souvent quand il y a faute, les torts sont partagés. Les pays étrangers, occidentaux notamment, ne s'intéressent guère à la politique intérieure chinoise, et le fait n'est pas nouveau, à moins que ce soit un événement qu'ils considèrent comme digne d'intérêt, comme l'arrivée au pouvoir d'un nouveau dirigeant –et encore, faut-il que ce soit LE plus important... demandez à un Français, ou tout autre européen, quel est le nom du président chinois, vous aurez sans doute un certain nombre de réponses, quand bien même le nom de Xi Jinping risque d'être écorché, mais demandez celui du Premier ministre, et là, je gage que fort peu vous répondront Li Keqiang. Dans les pays occidentaux, les gens s'intéressent peu à la politique chinoise, et ils ont tort – vous me direz que les Chinois s'intéressent aussi assez peu à la politique intérieure des pays occidentaux, et ce n'est pas faux, quoiqu'on voie plus souvent dans la presse chinoise des articles consacrés à des sujets politiques de ces pays que l'inverse. Ils ont tort, disais-je, car quoi qu'on puisse penser de la nature du système politique chinois, il n'en reste pas moins qu'étant donné la place actuelle de la Chine sur la scène mondiale, et dans ce monde mondialisé qui est le nôtre, les décisions qui se prennent à Beijing, pendant les Deux Sessions, mais aussi avant et après, sont susceptibles d'avoir des conséquences dans le monde entier. D'un autre côté, si ces Deux Sessions sont méconnues du public étranger, la Chine y est aussi pour quelque chose, car toute consciente qu'elle soit de l'importance de ce qu'on appelle le « soft power », il faut bien dire qu'elle ne fait guère d'efforts pour faire connaitre ses institutions à l'étranger, ce qui fait qu'elles passent pour opaques et peu démocratiques. Et pourtant... certes, nombreux sont ceux qui vous diront que la Chine n'est pas une démocratie, ou tout au moins pas une démocratie au sens « occidental » du terme. Au sens purement occidental du terme, sans doute. N'empêche. Le Président Xi Jinping l'a il n'y a pas si longtemps souligné, et à mon avis il n'a pas vraiment tort, que le modèle de démocratie à l'occidentale n'est pas forcément transplantable tel quel dans n'importe quel pays de la terre, il n'est pas aussi universel que certains voudraient bien le dire, tant il est vrai qu'il est nécessaire de tenir compte des traditions locales, de l'histoire et de la situation courante d'un pays, qui imposent leur loi. Certains, il n'y a pas si longtemps, ont oublié cette évidence, pensant que le modèle occidental, puisque, même s'il est imparfait – souvenons-nous de ce que disait le grand Churchill « La démocratie est la pire forme de gouvernement, à l'exception de tous les autres » - ce qui est bon chez eux est bon partout. Et on a vu le résultat, notamment au Moyen-Orient... Pourtant, ce qui se passe ces jours-ci à Beijing est, croyez-moi, digne d'intérêt. Les médias occidentaux ont envoyé leurs correspondants, mais quand on fait des recherches en ligne sur les Deux Sessions, on est vraiment réduits à la portion congrue, et c'est un euphémisme. Cette expression de démocratie à la chinoise, même si elle peut sembler étrange à nous autres Occidentaux, mériterait qu'on la regarde de plus près, et surtout qu'on s'attache aux progrès – sans doute modestes, mais la démocratie ne se construit pas en quelques années, et nous devrions le savoir mieux que quiconque puisqu'il nous a fallu des siècles pour nous débarrasser de l'arbitraire féodal tandis que nous nous montrons tres impatients quand il s'agit de la Chine. Et à cet égard, les avancées de la Chine sont certaines, même si on peut toujours faire mieux. Mais ce pays a le temps pour lui, ne l'oubliez jamais... A ceux qui douteraient de ces progrès, je recommande par exemple de prendre connaissance d'un petit « code de conduite » diffusé par le Quotidien du Peuple à la veille de l'ouverture des Sessions, et qui tient en neuf phrases destinées aux représentants et députés siégeant à Beijing et leur rappelant leurs droits mais aussi leurs devoirs. Une sorte de « Neuf Commandements », en quelque sorte, et qui pour la plupart pourraient –je dirais même pour certains devraient- s'appliquer dans nos démocraties occidentales. Autre fait intéressant, la présence croissante parmi les représentants siégeant à la Commission consultative politique du peuple chinois –l'organe de conseil du parlement- de représentants de la société civile, qu'ils soient patrons, acteurs sportifs, artistes ou autres. C'est une chose qui peut nous paraitre surprenante, à nous qui sommes habitués à des assemblées relativement monolithiques surtout composées de politiciens professionnels et de membres des professions libérales ou de la fonction publique, que nous accusons souvent –non sans raisons d'ailleurs- d'être coupés des réalités de la vie courante. En France, nous n'aimons globalement guère nos représentants aux assemblées, et en même temps quand un patron, un acteur, un sportif, un artiste, s'engage, c'est généralement assez mal vu. Mais chacun le sait, et c'est même plus vieux que la France, comme l'aurait dit Colbert, qui le savait sans doute mieux que personne, « Les français sont ingouvernables »... ou encore, comme le disait malicieusement le General de Gaulle « Comment voulez-vous gouverner un pays qui a 350 sortes de fromages ? ». Fort heureusement, en Chine, voir un écrivain ou un grand patron siéger à Beijing ne choque guère de monde, tant il est vrai que pour beaucoup, ces gens très souvent sortis du peuple sont un peu à leur image. Cette touche originale fait aussi l'intérêt de ces Deux Sessions, et nombreux sont les Chinois qui guettent leur intervention et critiquent leur silence quand ce n'est pas leur absence. Il n'y a qu'à voir le nombre croissant d'internautes qui débattent avec une vigueur sans cesse croissante sur les forums en ligne. Pour ma part, je trouve ca franchement intéressant, même si j'ai souvent – et je ne dois pas être le seul - un peu de mal à m'y retrouver. Personnellement, si j'avais une remarque à faire, ce serait que je trouve ce principe de la double session annuelle unique un peu trop lourde, et que l'expression des souhaits de la population par l'entremise de leurs représentants mériterait sans doute d'être plus fréquente et moins lourde, moins majestueuse. Je gage cependant qu'on y arrivera tôt ou tard, tant il est vrai qu'en Chine, « pragmatisme » n'est pas un vain mot... alors rendez-vous peut-être, d'ici quelques années, a une autre fournée des Deux Sessions, en septembre par exemple ! Source: le Quotidien du Peuple en ligne |