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CHINE ET SOCIÉTÉ
Publié le 12/12/2014
La Journée nationale de commémoration commune, un signe de maturité pour la Chine

Xu Lifan

La Chine célébrera le 13 décembre sa première Journée de commémoration nationale commune à la date anniversaire du Massacre de Nanjing, perpétré en 1937 par les troupes japonaises et ayant fait près de 300 000 victimes. C'est la première fois depuis la création de la République populaire de Chine, qu'une journée commémorative est institutionnalisée en souvenir d'une tragédie nationale. Quelles sont les raisons qui ont poussé à instaurer une journée de commémoration nationale commune et pourquoi, parmi les événements dramatiques qu'a connus le peuple chinois, est-ce le massacre de Nanjing qu'il fut choisi de commémorer ? Cette décision découle d'un jugement et d'un besoin de transmission de la mémoire historique et se base sur des considérations pratiques. Ne pas oublier les souffrances de l'histoire ne signifie pas entretenir la haine, mais plutôt former un concept de valeurs relatives à l'histoire que les citoyens d'un grand pays se doivent d'avoir et aussi la manière de vivre avec dignité au sein de la communauté internationale. Vu cet objectif à long terme, la commémoration, même en dehors de la journée qui lui est spécifiquement dédiée, ne doit faiblir.

La journée de commémoration est un signe de maturité nationale

En règle générale, les offrandes aux divinités et aux ancêtres constituent une pratique rituelle représentative, marquant la maturité d'une civilisation. Une civilisation arrivée à maturité comporte nécessairement des rites. La civilisation chinoise s'est développée relativement tôt et possède de nombreuses cérémonies rituelles, dont des rites commémoratifs qui en constituent une part importante. Dans la culture chinoise, on dit que « le cérémonial comporte cinq classiques, mais rien n'importe plus que la commémoration ». Pour toutes ces raisons furent instaurées des journées spécialement dédiées aux offrandes et à la commémoration. Dans un sens, certaines fêtes traditionnelles, comme la fête de Qingming, la fête des bateaux-dragons et la fête du double neuf, reflètent la maturité de cette culture commémorative. La commémoration ne concernait pas seulement les offrandes faites par l'Empereur mais aussi celles de ses sujets, et c'est aujourd'hui une composante majeure des activités nationales et familiales.

Cependant, ces cérémonies plurimillénaires sont en train de disparaître lentement en Chine. Ses activités ne font plus partie des conventions et leurs normes se délitent progressivement. Cela est dû aux bouleversements qui se sont produits au sein de la nation à l'époque moderne et aux transformations du terrain propice à la culture cérémoniale. La vénération passée des esprits terrestres et célestes a disparu, et l'atomisation de la structure familiale a émoussé le culte des ancêtres. Ces dernières années, le culte des ancêtres et des divinités est redevenu à la mode. Cependant, il met aujourd'hui davantage l'accent sur la signification du symbole culturel, sert parfois de plateforme pour le développement économique, et son sens originel s'est étiolé. En comparaison, même si les spécificités des rites traditionnels ont perdu une grande partie de leur substance, la population a su préserver les activités rituelles basées sur la famille. Au niveau national, malgré des événements commémoratifs sporadiques, comme la commémoration de l'Incident de Mandchourie du 18 septembre 1931 ou l'hommage aux victimes du séisme du 12 mai 2008 dans le Sichuan, aucune règle n'est cependant institutionnalisée.

Quant à la question de savoir s'il faut, aujourd'hui, mettre en place une journée nationale de commémoration commune, la réponse semble évidente. Si le culte des ancêtres et des esprits a, par le passé, participé à la création d'une culture commémorative reflétant la maturité de notre civilisation, le fait de savoir si nous décidons aujourd'hui d'oublier notre histoire ou non est un test de maturité pour notre nation.

Cette journée nationale de commémoration commune permet de retrouver une dignité historique, dans une période où le nihilisme s'attaque aux jugements et aux valeurs historiques. Nous devons regarder de manière objective les splendeurs et les tragédies de notre histoire. Cette journée de commémoration fournit à l'opinion publique une plateforme permettant de relier l'histoire à la réalité, afin que nous puissions trouver notre juste place au sein de l'Histoire. Elle nous aide aussi à examiner de façon rétrospective ses tragédies, à préserver ses jugements et à empêcher sa falsification, alors que les attaques à son encontre se font de façon continue.

A travers cette journée de commémoration et par la confrontation de cette période tragique de l'histoire, la valeur de mise en garde du massacre de Nanjing prend un sens universel qui servira aux générations futures. Les périodes sombres ne manquent malheureusement pas dans l'histoire de la Chine et les événements dramatiques, desquels nous pouvons tirer des leçons, sont nombreux. Pourquoi alors décider de choisir la date anniversaire du massacre de Nanjing pour cette journée de commémoration nationale ?

Tout d'abord, le massacre de Nanjing représente le point culminant de toutes les souffrances subies par la Chine dans l'époque moderne. La population chinoise porte les stigmates de toutes ces pressions extérieures, mais les huit années de guerre de résistance contre l'invasion japonaise furent les plus difficiles. C'est durant cette période que le sacrifice de l'armée chinoise et des civils chinois fut le plus grand, et que le processus de modernisation de la Chine fut le plus sérieusement entravé.

Ensuite, le Japon n'a, après ces 77 années passées, toujours pas réalisé son examen rétrospectif sur le rôle d'initiateur qu'il a tenu lors de cette agression. Et ces deux dernières années, il a falsifié l'histoire pour justifier cette agression, dans le but de réviser sa constitution - qui était pacifiste - et de relancer la voie d'un militarisme qui prend de l'ampleur.

Enfin, le comportement du Japon ces dernières années a non seulement rendu les relations sino-japonaise glaciales, mais il remet potentiellement en cause la légitimité de la guerre mondiale contre le fascisme et du système politique et sécuritaire international mis en place après la 2nde guerre mondiale.

La restauration des vérités historiques nécessite un miroir qui renvoie correctement les rayons de l'histoire. Pour éviter que l'histoire se répète et se préserver des actes de subversion de l'histoire, il faut un miroir correct. Et pour transmettre la voix de la paix, il faut un miroir correct. Peu importe que l'on adopte un point de vue antifasciste ou humaniste, le massacre de Nanjing est une affliction qui n'est pas seulement réservée aux Chinois, mais concerne le monde entier. A l'instar du camp de concentration d'Auschwitz, sa valeur de mise en garde est universelle.

La commémoration ne doit pas se limiter à un jour dans l'année

La commémoration nationale est une activité de commémoration au plus haut niveau. Que ce soit au niveau de l'importance de sa signification ou de sa portée effective, son contenu doit être substantiel afin de s'harmoniser au mieux avec les schémas socioéconomiques actuels. En dehors des événements de commémoration organisés, des sirènes, et des programmes audiovisuels dédiés, la commémoration nationale commune doit devenir un élément de l'éducation de la population à la sécurité et à la défense nationale. Elle doit aussi permettre d'améliorer la sensibilisation à la sécurité par la commémoration de l'histoire.

Parallèlement à cela, elle doit davantage être intégrée dans la vie de la population. Par exemple, la journée des vétérans aux Etats-Unis est consacrée à l'amélioration de leur bien-être. La journée de commémoration des soldats morts au combat en Israël limite, quant à elle, les activités festives. Ces actions peuvent bénéficier à la façon dont le peuple perçoit et participe à l'introspection historique. La Chine doit quant à elle approfondir les interactions entre les activités sociales et la commémoration nationale, empêcher que la valeur de cette dernière ne se limite à un jour dans l'année, et préserver la force de sa signification.

 

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