Une forte pression, de faibles revenus et des relations de plus en plus tendues avec les patients ont à nouveau fait plonger la satisfaction professionnelle du personnel médical, selon des recherches.
Non seulement les médecins sont mécontents de leur emploi, mais en plus ils découragent leurs enfants de suivre leurs traces.
« Auparavant, j'encourageais fortement ma fille à suivre des études de médecine, mais maintenant je ne suis pas sûr à ce sujet, au vu des nombreux cas de médecins (blessés et tués) lors des dix-huit derniers mois », a déclaré Lu Hai, Vice-directeur du département d'ophtalmologie de l'hôpital Tongren de Beijing, qui est renommé pour ses soins des yeux.
En septembre 2011, un patient de sexe masculin a violemment frappé Xu Wen, un médecin du Département ORL de l'hôpital Tongren, trois ans après avoir poursuivi l'hôpital. Le patient avait accusé le docteur Xu, qui avait opéré le patient en 2006 pour tenter de soigner son cancer de la gorge, de ne pas avoir extirpé la tumeur, qui, selon lui, aurait pu être éliminée lors de la première intervention chirurgicale, ce qui a conduit à une rechute.
Le docteur Xu a été grièvement blessé mais a survécu. Néanmoins, un tribunal a condamné Wang à 15 ans de prison en avril 2012.
Dans le dernier cas grave en date, un homme de 62 ans a tué une femme médecin, Kang Hongqian, avec une hache, à Tianjin, dans le Nord de la Chine, le 29 novembre 2012.
Selon le China Youth Daily, l'homme a séjourné au premier hôpital affilié à l'Université de médecine traditionnelle chinoise de Tianjin à deux reprises en 2011 pour y être traité pour une hémiplégie causée par un accident vasculaire cérébral,.
L'homme se comportait de manière étrange, a déclaré au journal un médecin de l'hôpital, mais il a dit qu'il ne se souvenait pas du moindre différend entre lui et l'hôpital avant que le meurtre ait eu lieu.
Han Baojie, médecin à l'hôpital et ancien collègue de Mme Kang, a déclaré que, après cette affaire, de nombreux collègues et lui se sont décidés à ne pas laisser leurs enfants se lancer dans la médecine.
L'Association des Médecins Chinois a révélé que 78% des 3 700 médecins interrogés en mars 2011 ont dit qu'ils ne voulaient pas que leurs enfants étudient la médecine, alors qu'en 2009, 62,5% des 3 200 personnes interrogées avaient exprimé la même opinion.
Dans toutes les enquêtes menées à travers le pays en 2002, 2004, 2009 et 2011, l'association a constaté que le taux de médecins prêts à voir leurs enfants devenir des étudiants en médecine a baissé.
L'absence de valeurs et de fierté au travail est également manifeste, 96% des médecins interrogés en 2011 ayant dit alors que leur salaire ne correspondait pas à leur travail.
« Être médecin devrait être un travail auquel les élites aspirent », a déclaré Deng Liqiang, Directeur du Département de l'association des affaires juridiques, et également en charge de l'enquête.
« Toutefois, la lourde charge de travail et les salaires qui ne correspondent pas aux efforts font que de nombreux médecins estiment que leur travail n'est pas décent. A Beijing, un médecin de haut niveau peut arriver à seulement 300 000 yuans de revenus légaux par an. Mais dans la plupart des cas, leur revenu varie de 3 000 Yuans à 8 000 Yuans par mois. D'autre part, il y a aussi des médecins qui acceptent de l'argent illégal, comme des pots de vin, mais ce genre de revenus ne les fait pas pour autant se sentir plus à l'aise ».
M. Lu, âgé de 45 ans et médecin depuis 22 ans, approuve.
« Un membre de mon service ne perçoit que 3 000 à 4 000 Yuans par mois », dit-il. « Les médecins du plus haut niveau du service, comme moi, gagnent environ 10 000 Yuans par mois ».
Plusieurs excellents jeunes médecins du département l'ont quitté ces dernières années, car « ils ne voyaient aucun espoir », a-t-il dit.
Pourtant, la « charge de travail particulièrement lourde » que supportent les médecins et dont ils estiment qu'elle devrait avoir plus de valeur n'est pas la seule cause de pression.
Plus de 70% des personnes interrogées ont dit que les litiges médicaux et les « attentes trop grandes des patients » ajoutent également à leur charge de travail.
« Seulement un tiers des maladies peuvent être traitées efficacement par la science médicale, et il est parfois difficile de prédire comment une maladie va se développer », a déclaré M. Deng, qui a été médecin dans le Henan pendant huit ans. « Toutefois, les litiges médicaux surviennent parfois lorsque les patients et / ou leurs familles estiment que le traitement ne répond pas à leurs attentes ».
Une décision rendue par la Cour Populaire Suprême en 2001 avait déclaré que les hôpitaux devaient fournir la preuve attestant qu'ils n'étaient pas responsables des dommages subis par les patients si un patient les poursuivait pour un traitement qu'il estimait erroné.
Bien que la règle ait été abandonnée en 2010, « de plus en plus de gens ont déjà adopté la pensée stéréotypée selon laquelle toute insatisfaction qu'ils ressentent à propos du traitement a quelque chose à voir avec l'hôpital, et qu'ils vont obtenir une indemnisation dans la mesure où ils pourront attirer l'attention sur leur mécontentement », a dit M. Deng.
En tant qu'avocat, M. Deng a dit qu'il a vu différentes façons d'attirer l'attention : pas seulement en déposant des plaintes et des poursuites, mais aussi par le biais de bagarres, de harcèlement et de menaces.
Deng Bingbin, stagiaire dans un hôpital public de Beijing, croit que les attentes élevées des patients proviennent d'un manque de connaissances.
« Certains considèrent que payer pour un traitement médical est comme payer pour avoir un chou au marché », a-t-elle dit.
« Toutefois, ce n'est pas un chou. On ne peut pas simplement attendre qu'une maladie sera guérie du moment qu'on paie pour son traitement. La vie et la santé, ça ne s'achète pas ».
« J'espère que les gens pourront obtenir plus d'informations sur ce que les médecins peuvent faire quand ils tombent malades, ce qui est limité. La chose la plus importante est de prendre soin de soi et faire attention à sa propre santé », a ajouté la stagiaire.
Qui plus est, cette tendance à charger les hôpitaux a contribué à entretenir des « fauteurs de troubles » hospitaliers professionnels, des groupes de personnes qui profitent de l'insatisfaction des patients et de leur famille, a déclaré la stagiaire.
« A cause d'eux, parfois lors de conflits, un hôpital accorde une indemnisation, même quand il n'y a pas grand-chose à compenser, dans un compromis pour avoir la paix. Je crains bien que je risque de rencontrer ce genre de problèmes quand je commencerai à travailler en tant que médecin », a déclaré la jeune femme de 23 ans, mais elle a insisté sur le point que les litiges médicaux et même des cas de violence ne la dissuadent pas de poursuivre sa carrière.
Toutefois, ces cas ont eux dissuadé certains médecins de prendre des risques pour leurs patients, a indiqué Lu Hai, de l'Hôpital Tongren.
« Certains médecins ne vont pas essayer de faire mieux, même quand ils le peuvent. Quand ils sentent qu'ils ne sont pas vraiment sûrs du traitement, ils vont encourager leurs patients à aller voir un autre médecin ou à aller dans un autre hôpital, et même de les persuader de renoncer à un traitement », a-t-il dit.
« Après ces affaires de litiges et de meurtres, je sens parfois un changement délicat et inconscient dans mon attitude envers les patients, du genre 'je ne peux pas me persuader à être vraiment agréable' ».
Une enquête menée par cinq étudiants dans la Province du Hunan, dans le Centre de la Chine, a obtenu des résultats similaires.
L'enquête de l'Université Normale du Hunan, qui a interrogé 363 médecins dans 19 hôpitaux de la province de juillet à septembre, a ainsi révélé que 61% des médecins n'aiment pas leur emploi.
« Certains médecins que j'ai interrogés ont déclaré qu'avant ils aimaient leur métier, mais leur sentiment de plénitude a disparu dès lors que les litiges médicaux et des cas de violence ont été fréquemment signalés dans les hôpitaux et que les patients deviennent moins confiants », a déclaré Tan Xin, un membre de l'équipe, spécialisée en psychologie.
Melle Tan a dit que l'enquête a « fait disparaître » son point de vue sur les médecins, après avoir vu quel est leur travail quotidien.
« Avant, j'étais en colère quand les médecins me traitaient froidement lors d'une consultation, pensant qu'il était inacceptable que j'aie à souffrir de leur attitude. Cependant, ils sont stressés quand ils n'ont que trois minutes pour chaque patient en visite, et il leur est impossible de répondre à tout ce que le patient veut savoir », dit-elle.
« Pourtant, un patient a souvent envie d'en savoir plus sur son état, et les attitudes froides et les réponses souvent superficielles des médecins peuvent les perturber ».
Cette insatisfaction parmi les patients peut à son tour être évacuée par les médecins eux-mêmes, a-t-elle ajouté.
« J'espère que les deux parties pourront mieux se comprendre mutuellement », a déclaré Melle Tan. « Les médecins peuvent sourire davantage et être moins froids, et les patients peuvent essayer de comprendre les médecins parce que leur charge de travail est vraiment lourde ».
Source: Quotidien du peuple en ligne
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