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30 ans de réforme et d' ouverture>>> Mille Facettes de la Chine
Publié le 12/11/2008
Une famille de travailleurs migrants

Lisa Carducci (texte et photos)

À Beijing on parle souvent de « waidiren », qui signifie mot à mot « personne extra-territoriale ». Dans l'arrondissement Shunyi, au nord-est de Beijing et adjacent à l'aéroport international de la Capitale, j'ai rencontré Liu Shaqing et sa femme, Fu Youxiao, respectivement 41 et 34 ans. Le couple est arrivé à Beijing en 1998. La sœur cadette de Fu, Xuexiang, 29 ans, s'y trouvait déjà avec son mari depuis deux ans. Tous les trois ont un très fort accent du Jiangxi.

Liu et son beau-frère fabriquent et posent des fenêtres aux maisons neuves et restaurent celles des maisons déjà construites. Souvent la femme de Liu travaille avec lui. L'entreprise n'a ni appellation commerciale, ni siège, ni carte d'affaires. Comment se passent les choses en ce qui concerne les taxes ? On le devine, mais tel n'est pas mon propos.

Je les ai vus travailler toute la journée, et j'ai admiré leur courage et leur diligence. Avec la plus grande simplicité et la chaleur des Chinois du peuple, ils m'ont invitée à diner. Je croyais entrer dans leur atelier, ce qui n'était pas faux en fait, mais l'unique pièce était aussi la « maison familiale ».

Liu et Fu ont deux enfants : une fille de 9 ans, Liu Xixi, et un garçon de 8 ans, Liu Chenghui, qui vient tout juste de commencer sa première année scolaire. Sachant que les Chinois, les paysans surtout, ont une façon bien particulière de calculer l'âge, je n'ai pas insisté quand la mère a dit 7 ans et que le père a repris : 8 ans.

Les sœurs Fu n'ont fréquenté que l'école primaire. Elles ont une autre sœur et trois frères. Aujourd'hui, les six enfants ont quitté le village natal, près de Nanchang, et gagnent leur vie ailleurs au pays. Ils ont tous des enfants. Leurs vieux parents sont restés au patelin, avec les enfants infirmes de la famille.

Habituellement, Fu Youxiao retourne au village natal une fois l'an, pour la fête du Printemps, sauf les deux dernières années.

Chaque fois que nous conversons, je me demande si ces femmes s'appellent Fu ou Hu ; les gens du sud ne font pas la distinction phonétique. J'ai toujours l'impression qu'elles prononcent les deux noms à la fois.

Je suis retournée plusieurs fois visiter cette famille, toujours à l'improviste afin d'éviter qu'on se donne la peine de préparer un repas. Mais quelle que soit l'heure, il y a toujours un poulet qui mijote, des légumes frais de la campagne voisine, des œufs, et - délices de mon palais ! - des piments forts comme je les aime.

Les lecteurs se demanderont pourquoi le couple Liu-Fu a deux enfants, puisque la loi chinoise n'autorise qu'une naissance par famille. D'abord, ce couple a un hukou (carnet de famille) rural. Les fermiers qui donnent naissance à une fille ont le droit d'avoir un second enfant, car avant que l'agriculture ne soit entièrement mécanisée, elle comporte des travaux qu'une femme ne peut faire. Pourtant, la famille vit dans la capitale et ne fait pas de travaux agricoles, mais les enfants sont nés alors que le couple était à Nanchang.

Quant à la sœur, l'enfant qui est né il y a huit jours est son troisième. Des voisines qui ont aperçu un poupon dans les bras de la « tante » étrangère se sont approchées pour voir. Entendant que c'était le troisième de Fu Xuexiang, elles se sont exclamées, comme prises de désespoir. Son premier, un garçon, est sourd-muet et a de la difficulté à marcher. Dans ce cas, la loi - qui n'est pas aussi draconienne qu'on le croit souvent à l'étranger, permet un « nouvel essai », lequel a donné une fille. Fu a voulu tenter sa chance d'avoir un garçon sain, et c'est fait.

Qu'en est-il des études des enfants, puisque leur hukou n'est pas à Beijing ? Ils fréquentent l'école locale, avec les enfants locaux. Les frais sont plus élevés que pour ces derniers. Mais on sait que depuis cette année (2006), le gouvernement a décidé d'abolir les frais supplémentaires qui pèsent sur les enfants des waidiren afin qu'ils reçoivent eux aussi une éducation de qualité.

À l'école que fréquentent les enfants Liu, s'ils ne travaillent pas bien, on les renvoie à la maison, tout simplement. On ne prend pas la responsabilité de faire avancer les élèves. Leur mère dit qu'ils ne réussissent pas toujours bien. Ils s'amusent… Je demande s'il lui arrive de les frapper. « Bien sûr, que je les frappe! Quand je vois une note de 58… Il faut qu'ils apprennent! »

Dans la pièce minuscule, des lits superposés (la mère avec la fille en bas et le père avec le fils en haut), une table pliante qu'on ferme, sauf pour le repas et les devoirs, un petit téléviseur noir et blanc sur le frigo, un évier et une plaque électrique tassés dans un coin. Par terre, les provisions du marché. Le sol en béton, au niveau de la rue, est recouvert d'un mince revêtement. À la fin d'octobre, il faisait déjà froid à Beijing, et le chauffage ne se met en marche qu'à la date « officielle » du 15 novembre. Peu importe pour ces gens. Il n'y a pas de chauffage central chez eux, mais une mini-fournaise au charbon qu'ils allument au besoin. À ma dernière visite, il faisait donc plus chaud chez eux que chez les « riches ». Chaud dans leur cœur aussi, et dans leurs yeux souriants.

Les deux premiers enfants de Fu Xuexiang sont restés au Jiangxi. Avec son mari, elle a loué pour 100 yuans par mois une chambre à quelques mètres de chez sa sœur, meublée d'un grand lit et d'une chaise. La famille de Liu paie quatre fois plus pour une pièce plus petite, mais on peut y faire la cuisine et il y a l'eau courante. Les toilettes publiques desservent les deux familles, entre autres.

Quand ils sont arrivés de Nanchang, ils pensaient y retourner un jour. « Bien sûr, là où l'on est né, c'est toujours chez soi… mais malgré tout, notre vie est meilleure à Beijing qu'à Nanchang », dit Fu Youxiao. Et d'ajouter : « À la campagne, on n'achète pas de maison ; on la construit soi-même. La maison familiale est grande, là-bas; ce sont les conditions de vie qui n'évoluent pas. »

Quand j'ai frappé à la porte, tout à l'heure, les enfants faisaient leurs devoirs. Dès qu'ils m'ont aperçue, ils se sont levés comme des ressorts, et se tenant bien droit, ont salué : « Bonjour, Tante ! Veuillez entrer. » Ils se montrent toujours polis, sans façon, et sans que les parents soient obligés de leur dire « Saluez votre tante », « Remerciez votre tante », « Invitez votre tante à s'asseoir ».

La famille dit s'entendre très bien avec la population locale : « Les gens sont sympathiques et gentils. Bof… peut-être un peu moins les véritables Pékinois de plusieurs générations… »

Au moment où je quitte, le petit Liu Chenghui interroge : « Tante, comment devient-on journaliste ? »

J'ai réalisé cette entrevue à l'automne 2003. Deux ans plus tard, Fu et Liu avaient séparé l'atelier du logement en construisant une nouvelle petite pièce. Et ils avaient un troisième enfant, un gros garçon qui grandit très vite.

 

Ce texte est le résumé d'une entrevue. Pour lire le texte original et d'autres entrevues faites à travers le pays, on se procurera :

Carducci, Lisa. Mille facettes de la Chine, Beijing, Éditions en langues étrangères, 2006, 304 pages.

ISBN 7-119-03215-1



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