Zeng Wenhui
M. Jin Yinan, membre du Comité national de la CCPPC et directeur de l'Institut de recherches sur les stratégies de l'Université de la défense nationale, a accordé une interview exclusive à Beijing Information. Il a expliqué la nécessité de la Chine d'augmenter son budget militaire.
Question : Lors de la conférence de presse de la présente session de l'Assemblée populaire nationale, le porte-parole Li Zhaoxing a révélé que le budget de la défense nationale en 2012 sera de 670 milliards de yuans, soit une augmentation de 11,2 % par rapport à l'année dernière. En 2011, le budget militaire a été de 601 milliards de yuans (+12,7 %). D'après vous, cet accroissement est-il normal ? Pourquoi ?
Réponse : A en juger par la situation intérieure du pays, le budget militaire correspond au développement économique. Et du point de vue de la situation extérieure, cet accroissement s'adapte aussi à l'élargissement graduel de la notion de la sécurité nationale du pays. La mission de sécurité d'autrefois ne peut être comparée à celle d'aujourd'hui. Entre 1950 et 1960, notre mission principale était de défendre les territoires terrestres, maritimes et aériens, alors que celle d'aujourd'hui est de protéger les intérêts du pays à une plus grande échelle. De plus, il faut aussi prendre en considération des défis au niveau mondial, tels que la révolution militaire, l'évolution des méthodes de guerre, et l'apparition de la guerre informatisée à l'aide des armes de hautes technologies. De ce fait, accroître le budget militaire est nécessaire pour la défense nationale de notre pays dans de nouvelles circonstances.
Q : Quel est le niveau des dépenses militaires de la Chine par rapport à celui des pays développés ?
R : Les dépenses militaires des Etats-Unis sont cinq à six fois plus élevées. De plus, bien que le volume du budget militaire chinois représente un chiffre très important, les dépenses militaires par personne se classent loin derrière celles des Etats-Unis, du Japon, de la France, de l'Allemagne, voire même de la Corée du Sud. Par exemple, la Chine est la deuxième économie du monde, mais elle figure encore parmi les pays en développement pour son PIB par habitant. C'est pourquoi nous devons continuer à consacrer des efforts pour rattraper la vitesse du développement de la modernisation militaire mondiale.
Q : Vous avez dit qu'en comparaison avec les pays développés, la Chine accuse encore un grand retard sur le plan des dépenses militaires par personne. De quelle manière pourrions-nous transformer le budget limité en une certaine combativité à l'avenir ?
R : La question que vous avez posée est identique à la mission de la réforme militaire d'aujourd'hui, laquelle consiste à transformer au maximum les ressources limitées en une capacité militaire modernisée.
Actuellement, les différentes provinces font face au changement d'approche économique, l'armée est également confrontée à la tâche de la réforme militaire. Celle-ci comporte la diversification des méthodes de guerre, et des actions militaires non guerrières. Aujourd'hui, il est de plus en plus impossible qu'une guerre d'envergure voit deux pays s'affronter. Mais la tâche principale de l'armée consiste à défendre l'intérêt national et à sauvegarder la sécurité nationale dans des secteurs non traditionnels et non guerriers. Il faut élever la vitesse de réaction et d'action de l'armée, améliorer son effectivité militaire. Accomplir la réaction rapide de l'armée dans des conditions d'informatisation est une mission très dure pour l'armée, mais il faut le faire car cela est nécessaire pour attraper le développement militaire mondial.
Q : Dans le « Rapport des activités gouvernementales » que le premier ministre Wen Jiabao présente cette année, il indique qu' « il faut continuer à élever la capacité d'accomplir notre mission militaire diversifiée centrée sur la victoire d'une guerre locale dans des conditions d'informatisation ». Comment interpréter cette phrase ? Que signifie la mission militaire diversifiée ?
R : Nous poursuivons la stratégie de « défense active » qui vise à gagner une guerre locale dans des conditions d'informatisation. Par rapport aux Américains qui cherchent à gagner une guerre locale d'envergure tout en maintenant l'effet dissuasif pour une autre guerre, notre stratégie est très conservatrice. Mais nous nous distinguons des Américains par la tâche militaire, le principe de la fondation de l'armée et le principe de l'usage des forces militaires. Notre objectif de gagner une guerre locale dans des conditions d'informatisation à partir de défense active correspond à la sauvegarde de notre sécurité nationale à l'époque actuelle caractérisée par l'informatisation.
La mission diversifiée comporte des actions guerrières et non guerrières. « Une guerre dans des conditions d'informatisation » est composée des actions de guerre et des actions qui n'est pas de nature de guerre, comme le secours d'envergure aux sinistrés et le retrait des ressortissants de l'étranger. Notre armée a porté son secours non seulement aux sinistrés chinois à l'intérieur du pays, mais aussi aux victimes des calamités naturelles à l'étranger, comme le raz de marée dans l'océan Indien. L'équipe de secours chinoise comporte aussi des forces militaires telles que des travailleurs médicaux, des techniciens et des corps du génie. Nous avons aussi exécuté la tâche du maintien de la paix de l'ONU, plus de 1 000 militaires chinois sont à l'étranger actuellement pour remplir les missions de l'ONU. Par ailleurs, l'armée chinoise s'est aussi impliquée dans le retrait des ressortissants chinois de l'Egypte et de la Libye. A en juger par le développement ultérieur, c'est là la mission diversifiée qu'assume l'armée.
Bien sûr, ce genre de mission diversifiée fait augmenter les dépenses militaires. Il y a aussi des forces majeures imprévisibles qui imposent des tâches urgentes, comme le séisme à Wenchuan. Quand le tremblement de terre a eu lieu, les forces terrestres, maritimes et aériennes ont aussitôt été déployées dans la région sinistrée. Le secours nécessitait une dépense supplémentaire, qui provenait en réalité des dépenses fondamentales du budget.
Q : L'UE et les Etats-Unis imposent encore des limites aux ventes des armes à la Chine. Vous avez aussi évoqué le grand retard que la Chine accuse par rapport à l'Occident, retard presque d'une vingtaine ou trentaine d'années. En quoi réside le retard ? Comment le rattraper ?
R : La victoire d'une guerre locale dans des conditions d'informatisation nécessite l'innovation indépendante et un haut niveau de compétence des soldats et officiers. Auparavant, notre armée avait pour tradition les dix principes militaires de Mao Zedong, lesquels consistaient à concentrer des forces supérieures pour aboutir à la victoire finale. Aujourd'hui, les forces supérieures doivent résider principalement dans la transformation de la supériorité de la puissance de feu en supériorité de l'informatisation. Dans ce processus de transformation, l'amélioration de la qualification de l'armée est indispensable. Mais comment l'améliorer ? Cette question concerne non seulement les armes, les brevets techniques, mais aussi le niveau culturel et scientifique des militaires, autrement dit, la compétence de diriger une guerre moderne. Mais le critère d'évaluation n'est pas le pourcentage de détenteurs d'un master ou d'un doctorat, parce que les affaires militaires sont une discipline spéciale qui est basée sur la pratique et qui est impossible à examiner dans un laboratoire. C'est pourquoi il faut avoir un corps de haut niveau de qualification, qui comporte un quotient intellectuel élevé, des diplômes universitaires et la maîtrise des savoirs concernant les armes modernes d'une part, et du sens de responsabilité, de l'audace, de l'esprit de sacrifice d'autre part.
Actuellement, nous avons beaucoup parlé du décalage au niveau des armes, et peu de l'écart au niveau de l'homme. Je pense qu'améliorer la qualification des soldats et officiers aidera aussi à réduire l'écart. Bien entendu, il nous est impossible de former des gens capables de se lancer dans la guerre d'informatisation avant que les nouveaux équipements du genre ne soient disponibles. L'influence des armes sur l'homme se fait en parallèle avec l'amélioration de la qualification de l'homme. Ce sont deux facteurs interdépendants qui se complètent l'un à l'autre. Dorénavant, nous devrons accorder plus d'attention à l'homme.
Q : Concernant le « développement pacifique de la Chine », plusieurs sinologues étrangers indiquent que la Chine a depuis toujours pour principe la défense, et qu'elle a rarement envahi les autres pays. La mission de l'armée chinoise est-elle aussi la défense ?
R : Oui, c'est notre stratégie de défense nationale. Nos livres blancs sur la défense nationale ont toujours préconisé une défense active, un point que l'Occident ne nie pas. Depuis l'antiquité et notamment depuis l'époque moderne, la Chine n'a jamais lancé d'attaques massives contre d'autres pays, ni n'a possédé des bases militaires outre-mer, et ni n'a eu besoin de porter atteinte aux intérêts d'autres pays. La marine américaine a déclaré qu'elle allait contrôler 16 importants cours d'eau dans le monde, comme le détroit de Gibraltar, le canal de Suez et le canal de Panama. Les Etats-Unis ont une tendance à l'attaque, à l'hégémonie, alors que la Chine a pour principe de se défendre et de protéger ses intérêts dans des zones limitées, sans vouloir rechercher un intérêt global.
Q : Vous avez dit que la nature de l'armée est de sauvegarder la sécurité nationale et de maintenir la dissuasion à travers la force. La dissuasion n'est pas une stratégie de guerre, mais une stratégie de paix. Que pensez-vous de la dissuasion de l'armée chinoise ? L'essai d'un porte-avion vise-t-il à renforcer la dissuasion ?
R : Le respect de la Chine dans le monde comporte aussi le respect des forces militaires chinoises. Notre dissuasion est principalement due au développement des forces de défense nationale, à savoir des armées terrestres, aériennes et navales et de diverses catégories de corps. Lors des visites des dirigeants de notre armée aux Etats-Unis, l'accueil à leur égard était impressionnant. Cela montre que les forces militaires chinoises imposent le respect.
Nous avons gagné ce respect grâce à notre développement, d'où provient notre dissuasion. Mais nous devons nous rendre compte que notre capacité de dissuasion ne correspond pas au statut économique de notre pays. Il nous faudra continuer à y consacrer plus d'efforts. Auparavant, nous avons interprété le mot « dissuasion » comme une sorte de stratégie de l'Occident visant à intimider les pays en voie de développement, alors qu'aujourd'hui, nous considérons la dissuasion comme une méthode de défense pour les pays en voie de développement, une méthode permettant d'empêcher leurs adversaires de s'aventurer à faire une guerre. De ce point de vue, notre dissuasion n'est pas suffisante et nous devrons continuer à lui consacrer plus d'efforts.
Nos efforts devront être concentrés sur les maillons faibles de notre édification militaire à long terme, à savoir les forces aériennes, les forces navales et le second corps d'artillerie, afin de former une dissuasion complète. Depuis longtemps, l'armée chinoise est centrée sur les forces terrestres auxquelles étaient attribués tous les mérites. Mais aujourd'hui, les choses ont changé. La mission militaire diversifiée et la victoire d'une guerre locale dans des conditions d'informatisation sont bien différentes des exigences militaires d'autrefois.
L'essai d'un porte-avion n'est qu'une petite partie de la dissuasion. Pour le moment, il est même trop tôt pour en parler, car notre porte-avion est seulement destiné à l'essai et à l'entraînement des pilotes et des matelots, et n'a pas l'ambition de devenir une force de combat.
Beijing Information |