Début août, l'Académie chinoise des sciences sociales (CASS) a publié le Livre bleu 2011 des villes de Chine. Les chiffres qui concernent la classe moyenne chinoise ont déclenché un débat plus large. Pour creuser la question, Tang Yuankai, deBeijing Information, s'est entretenu avec Song Yingchang, chef adjoint de l'équipe éditoriale du Livre bleu, et directeur adjoint de l'Institut d'études urbaines et environnementales de la CASS.
Song Yingchang
Beijing Information : Le rapport affirme qu'en 2009, 230 millions d'urbains appartenaient à la classe moyenne, soit 37 % de la population urbaine totale. Que cela signifie-t-il, et quelles tendances ces chiffres révèlent-ils?
Song Yingchang : La classe moyenne a atteint une taille considérable, en raison du développement économique rapide depuis la réforme et l'ouverture à la fin des années 1970.
Deux tendances principales peuvent être dégagées :
D'abord, il est clair que la classe moyenne chinoise continuera à se développer. Selon le rapport, en 2000, elle comptait 120 millions de personnes (26 % de la population urbaine). Et en 2009, elle avait presque doublé, avec 230 millions d'urbains (37 %).
Le gouvernement a accordé davantage d'importance au développement des conditions de vie, en particulier dans les zones urbaines. Les chiffres de l'emploi et des salaires n'ont cessé de s'améliorer. En 2010, le nombre d'employés urbains a atteint les 320 millions, 3,4 fois plus qu'en 1978. Le revenu disponible moyen de la population urbaine est désormais de 19 109 yuans, 47,2 fois plus qu'en 1972. Les systèmes d'assurance médicale et de sécurité du logement ont été améliorés de manière significative. Entre 1998 et 2009, la superficie moyenne d'un appartement urbain est passée de 18,7 à 30 m². Ces chiffres révèlent un très grand progrès.
Donc aussi longtemps que l'économie chinoise continuera de croître au rythme actuel, la taille de la classe moyenne ne cessera d'augmenter.
La deuxième tendance que montrent ces chiffres, c'est la formation d'une structure de revenus en forme d'olive. Cette forme se réfère à une société où la majorité des gens appartient à la classe moyenne.
Nos études prédisent que d'ici à 2023, la classe moyenne représentera 50 % de la population urbaine. Ainsi, la Chine entrera dans une nouvelle ère de stabilité sociale et de prospérité.
Beijing Information : En Chine, il n'existe pas de définition officielle de la classe moyenne. Comment le Livre bleu s'y est-il pris ?
Song : Bien qu'il n'y ait toujours pas de définition officielle, il est clair que, grâce au développement économique rapide, un nouveau groupe social a été progressivement formé. Ce groupe se distingue de la strate qui existait déjà il y a 30 ans. Ses membres sont bien éduqués, ont des revenus élevés et stables et un niveau de vie relativement élevé. Il est difficile de définir un groupe aussi diversifié. Classe moyenne est un terme générique qui possède de nombreux sens socio-économiques. Dans le Livre bleu, nous avons adopté le coefficient d'Engel, qui mesure la consommation alimentaire dans les dépenses totales des ménages, afin de définir la classe moyenne. Les ménages dont le coefficient est situé entre 0,3 à 0,373 ont été considérés comme appartenant à la classe moyenne.
Beijing Information : Pouvez-vous définir la classe moyenne en termes de capacité économique, de statut social, niveau d'éducation et de place dans la société ?
Song : La classe moyenne, en général, bénéficie d'un revenu plus élevé, ce qui signifie qu'ils peuvent se permettre des activités de divertissement, des voyages et des vacances, en plus des dépenses quotidiennes comme la nourriture. Ils ont tendance à être propriétaire de leur appartement, ont une bonne éducation et peuvent exercer une forte influence sur la société. En Chine, ce groupe est principalement composé des fonctionnaires, des enseignants des grandes écoles, de hauts cadres et de cadres moyens dans les entreprises de haute-technologie, les entreprises à capitaux étrangers et les institutions financières, ainsi que des entrepreneurs privés.
Beijing Information : Alors qu'elle fait face à des incertitudes et à l'inflation, cette nouvelle classe moyenne peut-être considérée comme stable ?
Song : La proportion de personnes appartenant à la classe moyenne dans le pays demeure faible par rapport aux nations les plus prospères, et la classe moyenne a été affectée par la volatilité macroéconomique, la restructuration fiscale, la hausse des prix du logement et l'inflation. A long terme, cependant, la classe moyenne pourra se développer aussi longtemps que l'économie chinoise continuera de croître.
Beijing Information : Pensez-vous que la classe moyenne chinoise mérite déjà son nom ? Le cas échéant, quelle influence politique, économique et culturelle aura cette classe ?
Song : Nous pouvons affirmer que la Chine a produit une classe moyenne. Cependant, à certains égards, la classe moyenne chinoise n'est pas aussi mature que dans les autres pays. Une différence clé est que, bien que leurs revenus et leur pouvoir d'achat soient élevés, cette classe moyenne n'a pas encore pleinement conscience de ses responsabilités sociales.
Malgré cela, ce groupe joue et continuera à jouer un rôle important dans de nombreux domaines. Ils souhaitent promouvoir une politique démocratique. Ils contribuent au développement économique et à l'innovation technologique. Ils sont les principaux consommateurs, et agissent comme stabilisateur social.
Beijing Information : Vous venez d'indiquer que les classes moyennes étaient les principaux consommateurs et agissaient comme stabilisateur social, mais avec les prix du logement et l'inflation, ils subissent une grande pression financière. Quelles mesures devraient être prises pour régler ce problème ?
Song : La volatilité macroéconomique, la flambée des prix des logements, l'inflation, la faiblesse du système de sécurité sociale et la forte pression du travail sont des défis majeurs pour la classe moyenne. Le gouvernement porte une responsabilité pour résoudre ces problèmes et protéger les intérêts d'un groupe vital pour la stabilité sociale. Tout d'abord, le gouvernement devrait faire un effort pour rationaliser la distribution du revenu national. La tendance actuelle, taux de croissance des revenus du gouvernement dépassant le taux de croissance du PIB, doit être inversée. En outre, la croissance du revenu disponible de la population urbaine devrait suivre le rythme de la croissance du PIB.
Le gouvernement devrait également accroître l'offre de logements pour enrayer la flambée des prix de l'immobilier. Un effort doit également être fait pour ajuster les salaires à l'indice des prix à la consommation, principal indicateur de l'inflation, afin de garantir la stabilité du revenu réel des Chinois malgré l'inflation.
Beijing Information : Le Livre bleu révèle aussi que la Chine abrite plus de 50 millions de pauvres. Comment avez-vous défini cette catégorie, et, selon vous, que faire pour résoudre ce problème ?
Song : En ville, il faut distinguer pauvreté absolue et pauvreté relative. Dans le premier cas, même un niveau de vie minimum de base ne peut être garanti, tandis que la pauvreté relative concerne un niveau de vie moyen encore inférieur au niveau socialement accepté. Dans ce rapport, les pauvres urbains désignent les personnes à faibles revenus ayant un accès insuffisant aux nécessités quotidiennes et aux services publics. Ces personnes sont généralement incapables de sortir seules de la pauvreté.
La pauvreté urbaine est un problème social lié à l'urbanisation, la restructuration industrielle, l'exode rural et le fossé croissant entre les riches et les pauvres. De nombreuses mesures peuvent être prises pour y remédier. La première consiste à mettre en œuvre une politique active de l'emploi. Le gouvernement peut réserver certains postes publics pour les pauvres urbains. Il peut aussi utiliser des allègements fiscaux pour encourager les entreprises à embaucher des personnes défavorisées. Des formations professionnelles gratuites et des politiques préférentielles permettraient également à ces personnes de monter leur entreprise. Les logements sociaux sont également une option importante, et à long-terme, les organisations non gouvernementales devraient, par des incitations fiscales, être encouragées à prendre la direction des opérations de réduction de la pauvreté urbaine.
Beijing Information : Intégrer les travailleurs migrants dans le tissu social des villes est d'une importance vitale pour la modernisation de la Chine. Mais en réalité, ils demeurent une sous-classe dans les villes chinoises. Quelles en sont les raisons ?
Song : Selon moi, c'est la dichotomie urbain-rural qui est en cause ici. Cette structure doit être ventilée pour accélérer l'absorption des travailleurs migrants. Un système unifié d'enregistrement des ménages (hukou) doit être mis en place pour éliminer cette discrimination. Les zones rurales devraient à terme profiter des mêmes politiques d'emploi, de logement, de sécurité sociale et d'utilisation des terres que les villes.
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