Hu Shaocong
Le 17 mars 2011, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont poussé le Conseil de Sécurité de l'ONU à approuver la résolution 1973, permettant aux armées transnationales d'imposer une zone d'exclusion aérienne sur la Libye. Le 19 mars, les forces transnationales commandées par les Etats-Unis, avec la France en tête, ont commencé à attaquer les forces aériennes libyennes, et le 23, elles ont mis en place une zone d'exclusion aérienne couvrant toutes les régions maritimes libyennes. Plus tard, elles ont attaqué ses armées terrestres, en fournissant des soutiens aériens à l'opposition. Bien que les opposants aient repris beaucoup de villes de l'est du pays, Kadhafi et son armée ne sont pas encore battus. L'issue de la guerre est toujours incertaine. Le 25 mars, les Etats-Unis ont commencé à transférer à l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) le pouvoir de commandement de la mission de patrouille dans la zone d'exclusion aérienne, et de la mission d'embargo des armes en mer.
Cette attaque constitue la troisième opération militaire américaine dans la région du « Grand Moyen-Orient », considérée comme une réaction urgente des Etats-Unis face à un fort changement dans les pays arabes, et une situation troublée en Libye. Bien qu'ils soient favorables à la guerre, les Etats-Unis préfèrent commander en coulisses, en limitant leur participation.
Sur scène et en coulisses
A l'origine, les Etats-Unis voulaient contraindre Kadhafi à quitter la scène politique en le sanctionnant, et en soutenant ses opposants, une stratégie qui ne porta pas ses fruits. A partir de la mi-mars, les Etats-Unis ont pensé à changer de stratégie, estimant que sans opération militaire, la zone d'exclusion aérienne ne suffirait pas pour empêcher la contre-offensive de Kadhafi. Ainsi, en promouvant l'approbation du Conseil de Sécurité de l'ONU sur la création de la zone d'exclusion aérienne, ils ont fixé un projet concret d'opération militaire, et ont entamé les préparatifs. Après la résolution de l'ONU, les forces multinationales ont laissé 24 heures à Kadhafi. Mais ce dernier n'ayant pas cessé l'attaque contre Benghazi malgré sa déclaration de cessez-le-feu, l'opération militaire commandée par les Etats-Unis, France en tête, a commencé.
La participation des Etats-Unis à l'opération militaire a pour premier objectif d'empêcher la contre-offensive et la reprise du pouvoir par Kadhafi, puis, à terme, de renverser totalement son régime. Contraints par leur budget militaire et par la situation embarrassante en Afghanistan et en Irak, les Etats-Unis ont cherché une position souple, afin d'avoir toute liberté de manœuvrer lors de la guerre en Libye. C'est pourquoi ils ont préféré commander dans les coulisses, avec une participation limitée.
En ce qui concerne la France, pays initiateur de l'opération militaire, elle souhaite protéger son statut traditionnel et ses intérêts en Afrique du Nord. En effet, la Libye appartient à l'orbite traditionnelle de la France, et quantité d'intérêts politiques et économiques français y sont liés. Après sa prise de fonction en 2007, le président Nicolas Sarkozy a lancé la stratégie de « Retour en Afrique ». En 2008 la France a appelé à la création de l'Union pour la Méditerranée (UPM), ayant l'objet de redresser l'influence de l'Europe et de la France.
La Libye revêt des significations stratégiques importantes pour la France. Du fait que Kadhafi s'oppose à la création de l'UPM, et n'agit pas de concert avec la stratégie française, la France a finalement choisi de soutenir l'opposition après l'éclatement des mouvements contre Kadhafi en 2011.
Estimant avec optimisme que Kadhafi serait rapidement renversé, la France a pris l'initiative de reconnaître l'organisation des opposants : le Conseil national libyen, le considérant comme « le seul mécanisme légal qui représente les peuples libyens ». Cependant, Kadhafi a résisté non seulement à la protestation, mais a également réprimé fortement les opposants. Si Kadhafi reprend la main, la France perdra tous ses intérêts dans ce pays. Cette situation pousse la France à employer la force pour renverser Kadhafi. En outre, la France organisera ses élections présidentielles en 2012. Le soutien à l'UMP, parti au pouvoir, s'effritant, Nicolas Sarkozy compte sur une victoire militaire pour remonter dans les sondages.
Agir comme d'habitude au mépris des nouvelles circonstances
Cette opération militaire est en fait une réaction classique pour les pays occidentaux participants, dans de nouvelles circonstances. Au nom de leurs valeurs démocratiques, de leur orbite et de leur hégémonie dans le « Grand Moyen-Orient », et pour leurs intérêts dans cette région, ces pays se sont permis d'employer la force à plusieurs reprises. Malgré les évolutions de l'époque, les pays occidentaux tels que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, ne saisissent pas les informations exactes des mouvements populaires dans les pays arabes, ni ne comprennent leur vraie signification.
Les mouvements populaires qui ont successivement éclaté cette année dans les pays arabes résultent principalement du désir des peuples arabes pour le changement de système politique, plus de droits démocratiques et plus d'indépendance d'esprit. Ces aspirations concernent non seulement les affaires intérieures des pays arabes, mais également les affaires régionales. Les Arabes veulent peser davantage dans les affaires régionales. Ils en appellent au principe démocratique des relations internationales et à l'abandon de l'intervention des forces armées.
Les pays occidentaux continuent à nier que la démocratie dont ils font étalage est une démocratie incomplète. Exigeant que d'autres pays adhèrent aux principes démocratiques, ils ne les respectent jamais dans les relations internationales, car l'hégémonisme et le recours à la force armée sont déjà enracinés dans leur esprit. Avec le réveil de l'esprit démocratique et le renforcement de l'indépendance politique, les pays arabes s'opposent toujours plus à la loi du plus fort occidentale. Seuls les anciens pouvoirs despotiques, qui manquent du soutien de l'opinion et d'esprit indépendant, s'appuieront sur le soutien des pays occidentaux et suivront pas à pas l'hégémonie occidentale. A l'époque actuelle, même si l'Occident soutient un nouveau pouvoir en Libye, celui-ci n'agira plus de concert avec la politique d'hégémonie occidentale.
Influencé par cet esprit du temps, aucun consensus général sur l'intervention militaire en Libye ne s'est dégagé en Occident ou à l'OTAN. Aux Etats-Unis, des démocrates et républicains américains mettent en question l'opération militaire, accusant Barack Obama d'employer la force sans avoir obtenu l'autorisation du Congrès. En s'abstenant lors du vote de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l'ONU, l'Allemagne a déclaré sa non-participation à l'embargo des armes en Méditerranée contre la Libye mis en place par l'OTAN. Unique pays musulman membre de l'OTAN, la Turquie s'oppose à l'intervention militaire, arguant que cela dépassait le domaine d'autorisation de la résolution de l'ONU. En ce qui concerne le transfert du pouvoir de commandement, les avis sont partagés au sein de l'OTAN et de l'Union européenne.
Difficultés pour maintenir l'hégémonie
Apparemment, l'attaque militaire contre la Libye maintient l'ordre du Grand Moyen-Orient et l'hégémonie de l'Occident, et protège dans une certaine mesure les intérêts des pays occidentaux en Libye. Mais en réalité, l'ordre du Grand Moyen-Orient appuyé sur la domination de l'Occident tremble plus encore. Au début de sa prise de fonction, le président Barack Obama a présenté un discours à Ankara (capitale de la Turquie) et au Caire (capitale de l'Egypte), exprimant que les Etats-Unis déploieraient des efforts pour améliorer les relations avec les pays musulmans et maintenir la paix, en respectant l'Islam et les peuples musulmans. Cependant, il déclenche à l'heure actuelle une guerre contre un pays arabe, tout comme son prédécesseur, ce qui a terni son image de garant de la paix et de la réforme, et lui a fait perdre la confiance et la sympathie des peuples arabes.
Outre le conflit et l'instabilité au Moyen-Orient, cette opération militaire contre la Libye engendrera également des problèmes économiques. D'une part, elle aggravera la situation énergétique internationale, alors que les prix du pétrole atteignent déjà des sommets en raison de la politique monétaire quantitative, et des mouvements populaires régionaux. Cela accentuera l'inflation critique dans le monde, en particulier dans les pays secoués du Moyen-Orient, ainsi que l'instabilité des situations régionales. D'autre part, cette opération coûtera cher, obligeant les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, qui sont déjà endettés jusqu'au cou, à réfléchir à un resserrement fiscal. Si le conflit en Libye ne connaît pas d'issue rapide, le redressement économique occidental en pâtira.
Après la Seconde Guerre mondiale, les pays occidentaux ont construit leur hégémonie au Moyen-Orient pour protéger la sécurité de l'Israël et s'emparer des bénéfices pétroliers, à travers leur puissance économique et militaire et l'appui de pays alliés comme Israël, l'Egypte, l'Arabie Saoudite, la Jordanie et la Turquie.
Depuis le 21e siècle, avec le développement de la globalisation et de la multipolarisation, la situation intérieure des pays occidentaux et le Grand Moyen-Orient change progressivement. Suite aux attaques terroristes contre les Etats-Unis le 11 septembre 2001, l'Occident a déclenché la guerre contre l'Afghanistan et contre l'Irak, et a lancé le « Projet du Grand Moyen-Orient », avec pour objectifs la réforme du Moyen-Orient et le maintien de son hégémonie. Cependant, les deux guerres s'éternisent, traduisant l'impuissance occidentale au Moyen-Orient.
Ces dernières années, avec le développement de l'économie nationale et de la réforme démocratique, la Turquie, un des amis alliés traditionnels de l'Occident, qui adopte une politique extérieure de plus en plus indépendante, ne s'entend plus avec l'Occident sur les questions de l'Iran, des relations avec Israël, etc…
Après la crise financière en 2008, les puissances de certains pays occidentaux se sont affaiblies de manière flagrante, et l'augmentation considérable du déficit fiscal a grandement limité leur intervention au Moyen-Orient. En 2011, à la suite de l'éclatement des mouvements populaires dans la région arabe, et du départ de l'important ami allié de l'Occident, Hosni Moubarak, les pays alliés traditionnels de l'Occident tels que l'Arabie Saoudite et la Jordanie affrontent de fortes pressions de réforme, ce qui ébranle encore un peu plus l'hégémonie occidentale au Moyen-Orient.
Ainsi, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France se lancent aveuglément dans une bataille contre la Libye, avec l'intention de protéger leur hégémonie en grand danger. Cependant, l'Occident a déjà connu de nombreux changement après la crise financière, dont l'affaiblissement des puissances et l'affrontement de divers risques, entre autres. Cette opération militaire très risquée pourrait coûter cher à l'Occident.
* L'auteur est chercheur adjoint à l'institut d'études internationales de Chine.
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