Yang Jiaqing
Pour M. Denis Lavalle, conservateur général du Patrimoine, chargé de mission à la Sous-Direction des Monuments Historiques et professeur à l'Institut d'Etudes Supérieures des Arts (IESA), les relations franco-chinoises sont plus qu'une passion. Selon cet ancien pensionnaire à l'Académie de France à Rome, loin d'être seulement factuelle, cette relation correspond véritablement à une pensée très profonde de l'esprit. Beijing Information a rencontré ce fin connaisseur d'Art et de Patrimoine.
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Denis Lavalle lors de la conférence "Les fondements d'une pensée de la Culture en France, l'exemple de Louis XIV", tenue au Centre culturel Français de Beijing |
Rencontre de pensée commune entre la France et la Chine
Français et Chinois ont entretenu d'assez fortes relations à différentes époques. Louis XIV éprouvait un fort attrait pour la Chine, qu'il soit commercial ou culturel. Le Roi-Soleil finança donc naturellement deux expéditions vers l'Empire du milieu. Ainsi, les « mathématiciens du roi » mirent le cap vers l'Orient en 1685. L'empereur Kangxi désirait également connaître l'Occident, notamment son mode de vie, et ses représentations artistiques. En 1698, le peintre italien Giovanni Gherardini prit part à la seconde expédition. Louis XIV avait parfaitement saisi le désir de l'empereur de Chine : voir comment les Occidentaux pensaient à une image mathématique rigoureuse qui restituait l'espace presque comme il était, la vérité qu'on voyait, comme une sorte d'image presque trompeuse.
Peintre indépendant, Gherardini avait fait sa carrière en France, et cherchait à restituer la réalité le plus fidèlement possible. Louis XIV décida d'envoyer ce peintre encensé par les Jésuites auprès de Kangxi. Débarquant en Chine fin 1699, Gherardini y rencontra l'empereur, descendu réaliser une tournée d'inspection. Le peintre italien saisit cette occasion pour lui montrer comment réaliser une image en trompe-l'œil sur le mur d'un jardin.
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Une oeuvre en trompe-l'oeil réalisée par Gherardini |
Les Jésuites de Canton construisaient à l'époque une grande église. L'artiste entreprit donc d'en peindre la voûte au moyen d'une subtile utilisation des perspectives. « C'était très important pour les Chinois, notamment pour les milieux lettrés dans l'entourage de Kangxi, de voir comment dans la peinture, on pouvait allait dans des espaces extraordinaires », raconte Denis Lavalle.
Le peintre italien gagna Pékin avec l'empereur, mais il ne resta que peu de temps. Lui succéda son compatriote Giuseppe Castiglione (1688-1766), qui devint peintre de la cour impériale durant ses 51 années de vie en Chine. Il y jouit sans interruption d'une grande considération, et eut même l'autorisation de porter l'habit de fonctionnaire impérial. Après sa mort il reçut le titre de 'Vice-ministre', c'est-à-dire fonctionnaire de premier rang. « Bien sûr, Gherardini est aujourd'hui moins connu que Castiglione, mais il est le premier à avoir donné des images de la façon occidentale avec cet incroyable façon de copier la réalité », indique le spécialiste français.
Parallèlement, durant tout le XVIIIe siècle, l'Europe copia l'Art chinois, processus qui aboutit aux motifs appelés en France 'chinoiseries'. Le XIXe siècle fut marqué par la protestation virulente et pertinente de Victor Hugo contre la destruction du Palais d'été par les troupes franco-anglaises. « Evidemment, Hugo n'est jamais allé en Chine, mais il est quasiment la seule personne qui ose condamner, avec des mots forts, le saccage du Jardin Yuanmingyuan, en écrivant son fameux texte Lettre au capitaine Butler, alors que tout le monde se félicite d'avoir gagné la seconde Guerre de l'opium, d'avoir au fond donné une sorte de dictature commerciale à la Chine. Cela montre que la France est allée plus loin dans une pensée de la Chine que beaucoup d'autres », poursuit-il.
Au XXe siècle, c'est le général de Gaulle qui a apporté une contribution considérable dans les relations sino-françaises, comprenant qu'elle ne pouvait pas être laissée à l'écart. Quand de Gaulle annonce qu'il va reconnaître la Chine, le destin du monde exige la présence de la Chine. D'après Denis Lavalle, cette décision dépasse le politique : sans la Chine, le monde n'est pas vraiment le monde. « Il y a un sentiment français assez fort la-dessus », révèle l'expert.
L'IESA : Institut d'Études Supérieures des Arts
L'IESA, où enseigne Denis Lavalle, a créé des liens avec un certain nombre d'universités chinoises, notamment avec le Centre de Recherche National sur les Industries Culturelles de Tsinghua. « Notre école a une vision internationale. Nous faisons venir des étudiants de Paris en Chine. A Pékin, il y a des étudiants chinois qui sont liés à l'IESA. Nous faisons des rencontres, des sortes de cours et de visites, pour que la symbiose entre français et chinois se fasse. Les étudiants chinois ont l'occasion de venir en France. Pour obtenir un diplôme, ils peuvent rester un an ou deux ans », explique-t-il.
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Jean-Marie et Françoise Schmitt, fondateurs de l'IESA |
Fondé en 1985 par Françoise et Jean-Marie Schmitt, l'IESA est un établissement d'enseignement privé reconnu par le Ministère de la Culture et de la Communication. Il propose des formations développées selon des critères académiques et professionnels dans trois départements de formation : marché de l'art, métiers de la culture et multimédia. Présent en Chine depuis 2004 (voyages d'études et participation aux salons Campus France), l'IESA dispose d'un bureau de représentation dans la capitale chinoise.
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Un groupe d'étudiants français de l'IESA dans l'atelier de l'artiste Zhong Biao |
En France, les conservateurs du patrimoine ont l'habitude de donner des cours dans des écoles nationales ou privées. Denis Lavalle explique son choix de l'IESA : « C'est une école professionnelle qui donne un métier tout de suite. (…) Notre institution a des liaisons avec de nombreuses universités dans le monde, en Angleterre, en Belgique, aux Etats-Unis. (…) Il fallait absolument essayer de nouer des liens avec la Chine. C'est très important, parce que nous avions à Paris beaucoup d'étudiantes chinoises qui étaient intéressées », explique-t-il.
Préserver le patrimoine du Château de Versailles
En tant que conservateur général du Patrimoine, Denis Lavalle intervient sur les monuments français. Il s'est occupé de la restauration de la galerie des glaces, à Versailles. Selon lui, la protection du patrimoine à la française consiste à garder le monument le plus intact possible. Mais sur certains monuments symboliques, on s'interroge aussi sur la nécessité d'intervenir pour reconstituer des décors d'époque. Par exemple, à Versailles, des décors qui avaient disparu ont été reconstitués, car il est très important que le château reste tel que Louis XIV l'avait conçu. « Nous avons remis une grille d'or dans la cour de Versailles. Maintenant, nous restaurons les toits, en remettant de la dorure, comme ils étaient du temps de Louis XIV. C'est une reconstitution, pas une restauration. Restaurer, c'est essayer de maintenir en l'état, alors que reconstituer, cela signifie remettre des choses qui ont disparu sans hésitation. Ce sont deux positions très importantes et très différentes. J'essaie toujours de voir quand on peut faire l'un, ou quand on peut faire l'autre », conclut-il.
Beijing Information
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