Li Li
Le livre d'une maman d'origine chinoise sur l'éducation stricte de ses deux filles, qui la surnomment « Tigre » pour sa rigueur excessive, lance un débat en Chine et aux Etats-Unis. Mais contrairement à cette Maman tigre, de nombreux parents chinois de deuxième génération, nés aux Etats-Unis, délaissent le modèle traditionnel de leurs parents, et se tournent vers une éducation à l'américaine.
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La famille d'Amy Chua. |
Dans son nouveau best-seller, Le cri de guerre de la maman tigre, Amy Chua, sino-américaine professeur de droit à Yale, dévoile sa vision de l'éducation, et explique pourquoi l'éducation à la chinoise est la meilleure.
Née et élevée aux Etats-Unis par des parents chinois, la « Maman tigre » explique comment elle a appliqué à l'éducation de ses deux filles, Sophia et Louisa, le modèle hérité de ses parents. Elle commence par une liste d'interdictions : "dormir chez une amie, participer à une soirée, se vanter de leur virtuosité à l'école, regarder souvent la télévision ou jouer sur l'ordinateur, avoir moins de 20/20, ne pas être la première dans toutes les matières sauf en art et en sport, jouer d'un autre instrument que le violon ou le piano", entre autres.
Pendant les vacances, les filles devaient pratiquer leur instrument au moins trois heures par jour. Et si elles étaient en déplacement, la maman se débrouillait pour dégoter un piano afin que Sophia fasse ses gammes.
Chua cite des situations extrêmes dans son livre. La Maman tigre a menacé plusieurs fois de brûler toutes leurs poupées quand ses filles n'arrivaient pas à jouer un morceau particulièrement ardu. Une autre fois, alors que Louisa lui avait manqué de respect, Amy Chua n'hésita pas à traiter sa fille de poubelle lors d'un dîner entre amis.
Et les résultats parlent d'eux-mêmes : à 14 ans, Sophia jouait au Carnegie Hall, et Louisa, plus rebelle, est une violoniste virtuose.
Mais quelques chapitres plus loin, Amy Chua relativise sa méthode muscle en admettant quelques échecs, notamment avec sa seconde. Mais selon le magazine Time, la Maman tigre se montre moins rigide dans la réalité : Sophia peut sortir avec des amis, et ne doit faire qu'une heure et demie de gammes quotidiennes, et Louisa peut s'adonner à son sport préféré : le tennis.
Quoiqu'il en soit, ce livre a lancé de vifs débats, le propulsant en tête des ventes aux Etats-Unis, malgré la pluie de critiques. Certains parents américains hésitants ont remis leur modèle éducatif en question une fois l'ouvrage d'Amy refermé.
S'exprimant dans un collège de Caroline du nord en décembre dernier, le président américain Barack Obama a déclaré que les États-Unis étaient arrivés à un "moment Spoutnik", référence à la compétition pour l'espace lancée en 1957 avec l'Union soviétique, qui s'était notamment traduite par des investissements massifs dans l'enseignement des mathématiques et des sciences.
Toujours en décembre, les résultats de la dernière enquête PISA, menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de l'OCDE, étaient rendus publics. Les étudiants américains ne se sont classés qu'au 17ème rang, alors que ceux de Shanghai, pour leur première participation, se sont classés en tête dans les trois catégories : lecture, mathématiques et sciences. Ce résultat a donné matière à réfléchir aux parents américains.
Pour le magazine Time, le livre d'Amy Chua constitue donc « une provocation salutaire pour nous interroger sur notre supériorité présumée, notre croyance que les Etats-Unis seront toujours les meilleurs (…) et une bonne occasion pour aller de l'avant, retrouver cette attitude qu'avaient nos ancêtres ».
Un livre qui fait du bruit
De l'autre côté du Pacifique, la plupart des parents s'étant renseignés sur le livre d'Amy refuse catégoriquement de suivre son exemple, ou bien de s'identifier à cette Maman tigre.
Dans son livre, Amy Chua explique que sa méthode n'est pas ethnique, mais philosophique, la volonté de parvenir à l'excellence scolaire et musicale par un travail acharné.
La nouvelle génération de parents chinois vivant aux Etats-Unis, qui ont eux-mêmes été éduqués à la méthode d'Amy, ont tendance à s'éloigner de ce modèle, adoptant un style plus décontracté, à l'américaine, en particulier dans les milieux urbains instruits. Ces parents respectent l'individualité de leurs enfants, en les encourageant à poursuivre leurs passions, en appuyant leurs choix, en les encourageant et en leur fournissant un environnement stimulant. En un mot, ils pensent qu'une éducation à l'américaine est favorable à l'enfant à long terme.
« L'éducation est un processus dont le succès ou l'échec ne peut pas être jugé à court terme. Je crois que, sans enfance heureuse, notre vie a peu de chance de l'être », a déclaré Yin Jianli, ancienne enseignante, et auteur du best-seller Une bonne mère vaut mieux qu'un bon prof. Pour Yin, dont la fille a sauté deux classes, et été admise par deux prestigieuses universités à 16 ans, le bonheur des enfants est une condition sine qua non de l'épanouissement d'un enfant. « Si les enfants se sentent nerveux, ne sont pas respectés ou doivent trop se retenir, ils ne peuvent pas être heureux. S'ils se sentent souvent malheureux, ils pourraient développer certains problèmes psychologiques », a expliqué la spécialiste.
Sun Ruixue, psychologue pour enfants, est l'une des premières à introduire en Chine la méthode Montessori, une approche développée par l'Italienne Maria Montessori. La spécialiste a confié au journal cantonnais New Express que l'éducation de Maman tigre pourrait étouffer la créativité des enfants. « Les enfants qui vivent dans la peur et les menaces s'instruiront dans la colère et les plaintes, et risquent d'être moins créatifs », a indiqué Sun.
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Bie Dunrong |
Bie Dunrong, professeur à l'Institut de recherches sur l'éducation de l'Université des Sciences et technologies de Chine centrale, à Wuhan, comprend cette pédagogie de Maman tigre, mais l'expert estime qu'elle n'aura pas de succès. Bie Dunrong a confié au Wuhan Morning Post que la méthode d'Amy Chua était représentative des concepts et de la philosophie traditionnels chinois, mais qu'elle était inadaptée à la société moderne, la focalisation sur l'excellence scolaire ne produisant pas d'esprit créatif.
Cependant, Amy Chua fait des émules en Chine. Hu Zihong, père de deux enfants à Xingtai, dans le Hebei, s'est dit très touché par la discipline qui règne dans cette famille sino-américaine. « Cela me rappelle Fu Cong and Lang Lang, deux grands pianistes chinois. Si leurs parents les avaient laissés faire ce qu'ils voulaient dans leur jeunesse, ils ne seraient jamais devenus les virtuoses qu'ils sont aujourd'hui », a affirmé Hu Zihong au New Express.
L'éducation occidentale toujours appréciée par les Chinois
Alors que les parents américains et les responsables de l'éducation se lamentent sur les derniers scores du test PISA, les Chinois ne cessent de se plaindre de leur système, entièrement base sur le par cœur.
Plus important, les citoyens ont longtemps été frustrés que leurs universités ne se classent pas parmi les meilleures mondiales. En effet, la Chine n'apparaît pas dans le top 10 des derniers classements des écoles asiatiques. Dans le classement 2010 établi par le réseau londonien Quacquarelli Symonds, les meilleurs universités chinoises sont l'Université de Beijing (Beida), et l'université Qinghua, respectivement classées 12ème et 16ème, loin derrière leurs homologues hongkongaises, japonaises, singapouriennes et sud-coréennes.
Les autorités chinoises cherchent l'inspiration à l'ouest, afin de créer un environnement caractérisé par la pensée critique. Et les regards se tournent notamment vers les Etats-Unis, qui comptent 70% des Prix Nobel, pour uniquement 5% de la population mondiale.
Pendant longtemps, la population s'est plaint que les diplômés étaient mal préparés à l'entreprise et à leur vie personnelle. De nombreux rapports ont montré que de jeunes diplômés ne concevaient pas de projet professionnel dans ce marché ultra-concurrentiel, et changeaient d'emploi trop souvent ; de leur côté, les employeurs étaient consternés par leur immaturité et leur maladresse.
Ces dernières années, parmi les nouveaux riches chinois qui émigrent aux Etats-Unis, au Canada, en Australie ou ailleurs, beaucoup sont motivés par le souhait d'offrir une éducation plus agréable à leurs enfants.
Wu Jiachuan, promoteur immobilier de 42 ans, et père d'une collégienne, a décidé d'émigrer pour elle.
"S'ils n'enseignent pas l'intégrité et l'estime de soi, les professeurs ne font que rabâcher le contenu des manuels scolaires. Ma fille n'est pas une surdouée. En tant que parents, nous souhaitons juste qu'elle soit heureuse, plutôt que de souffrir d'une énorme pression, a expliqué Wu Jiachuan à l'International Herald Tribune basé à Beijing.
Beijing Information |