Jin Duoyou
« Suite aux nouvelles mesures prises par la municipalité, tout client qui fera l'acquisition de son véhicule avant aujourd'hui minuit pourra recevoir un numéro d'immatriculation. Passé ce délai, ce numéro sera obtenu pas tirage au sort. Nous vous attendons donc ce soir, avant minuit. » Voici le contenu du SMS envoyé le 23 décembre à Deng Fei, employé de Wu-mart, par le concessionnaire auto chez qui il avait acheté son véhicule le mois dernier.
Quelques heures plus tôt, la municipalité de Beijing promulguait ses nouvelles mesures visant à fluidifier la circulation dans la capitale. Ces règles concerneront la construction, la gestion et la restriction.
Sans surprise, c'est le volet sur la limitation des immatriculations qui fait le plus polémique. Et pour cause : en 2011, seules 240 000 nouvelles immatriculations seront autorisées, 2/3 de moins qu'en 2010 ! Cerise sur le gâteau : les plaques seront attribuées par tirage au sort. Cette nouvelle règle sera-t-elle efficace ? Mystère…
Transports en commun + tranports verts, un échec ?
Deng Fei habite à Shaoyaoju, dans le nord de Beijing. Mais son entreprise, se trouve à Yuquanlu, à 25 km de son appartement. Avant, il prenait le bus 125 jusqu'à Andingmen pour ensuite prendre le métro. Mais avec les embouteillages, Deng arrivait souvent en retard au supermarché.
En octobre 2007, la ligne de métro n°5 a été mise en service, à la plus grande joie de Deng Fei. « Je n'ai plus que deux arrêts de bus pour prendre le métro. Je gagne donc une demi-heure ». Cependant, trois mois plus tard, le jeune homme changeait de discours : « Les rames sont bondées, impossible de monter. »
800 000, c'est le nombre de passagers de la ligne 5 chaque jour, soit presque les estimations pour l'année… 2032 ! Les internautes n'ont pas manqué de railler cette situation : « Si on apporte des biscuits, en sortant du métro, on se retrouve avec de la farine ! », « Attention, ne surtout pas mettre votre écharpe dans le métro, vous risqueriez de mourir étranglé ! »
Pour arriver à l'heure, Deng Fei a changé de stratégie. Désormais, il va jusqu'à la station de métro Yonghegong (Temple des lamas) en vélo : « Je mets en moyenne vingt minutes. Au moins, je suis sûr de mon timing », explique le jeune homme. Mais ce moyen de transport n'est pas la panacée : « C'est très dangereux de faire du vélo à Beijing », avoue-t-il.
A Beijing, les minuscules pistes cyclables sont envahies par des voitures en stationnement. Aux heures de pointe, les automobilistes n'hésitent pas à emprunter les voies réservées aux vélos. « Si tu n'es pas cycliste confirmé, ne fais pas de vélo à Beijing ! », prévient Deng Fei.
Tablant sur la bicyclette pour fluidifier la circulation, la municipalité a mis en place un service de location de vélos. Malheureusement, Fangzhou, premier loueur de Beijing, a fait faillite en novembre dernier. L'entreprise a donc mis en vente son parc de vélos à des prix ridiculement bas, entre 20 et 50 yuans pièce. Bicycle rental, son principal concurrent, est également dans une situation difficile.
« Le gouvernement fait des efforts, mais la situation actuelle n'est pas satisfaisante », a indiqué Mao Baohua, directeur exécutif du Centre de recherche sur les transports de Chine de l'Université des Transports de Beijing. « Il faut reconnaître que le transport vert est un échec », a-t-il avoué.
Désespéré par les transports en commun, les Pékinois se ruent vers le marché automobile : « Je préfère être assis seul dans ma voiture plutôt que collé contre les autres usagers dans le métro », résume Deng Fei.
D'après Liu Xiaoming, directeur de la Commission municipale des transports, au 22 décembre dernier, Beijing comptait 4,791 millions de véhicules, auxquels il faut ajouter les 9 000 unités vendues le 23 décembre, à la veille de l'application de la nouvelle règle.
Après cette récente fièvre acheteuse, le marché automobile va-t-il plonger ?
Le 23 décembre dernier, les concessionnaires des environs de Laiguangying sont restés ouverts toute la nuit. A la veille de l'attribution des plaques par tirage au sort, les clients se sont succédé sans interruption. Un employé d'un concessionnaire Toyota explique par exemple que cette nuit-là, pas moins de 75 voitures ont été vendus, un record historique. « Beaucoup de clients ont versé l'acompte sans même bien connaître les caractéristiques du véhicule qu'ils achetaient », a-t-il constaté.
La nuit du 23 décembre, c'était Noël avant l'heure pour les concessionnaires. Mais en réalité, les rumeurs sur les restrictions d'achat de voitures circulaient déjà dans les rues de la capitale, et les Pékinois inquiets fréquentaient les concessionnaires depuis un bon mois.
Durant les dix derniers jours de mois de novembre, quelques 18 000 voitures ont été immatriculées, soit 2 500 par jour ! Mais ce record a rapidement été pulvérisé quand, entre le 12 et le 19 décembre, période de consultation de la population, les ventes de véhicules ont grimpé à 5 000 unités par jour. Le 23 décembre restera dans les annales, avec ses 9 000 véhicules écoulés dans la journée.
Avec cette ruée vers l'or noir, les concessionnaires sont évidemment en rupture de stock. Et les nouveaux acquéreurs devront donc patienter un à deux mois avant de s'installer au volant de leur bolide flambant neuf.
Les concessionnaires se sont donc frotté les mains pendant tout ce glacial mois de décembre. Cependant, avec la fin brutale de cette épidémie de fièvre acheteuse, ils doivent s'attendre à une longue période de disette…
« Ces nouvelles mesures sont un séisme de magnitude 8 pour le marché automobile de Beijing », analyse Su Hui, de l'Association chinoise des concessionnaires automobiles. Selon cet ancien directeur général du marché auto de Yayuncun, 2011 sera une année très difficile pour une moitié des concessionnaires de Beijing, le risque de faillite sera omniprésent.
« Les futurs acquéreurs seront grandement handicapés par ces nouvelles mesures. Mais pour ceux qui souhaitent changer de véhicule, aucun souci, car ils pourront garder leur plaque d'immatriculation », pronostique un spécialiste du secteur. Selon certains analystes, à l'avenir, les voitures haut de gamme seront les plus demandées. Malheureusement, les voitures sobres en carbone pâtiront de cette nouvelle réglementation.
Les perspectives sur le marché des voitures d'occasion ne sont pas optimistes. Wang Meng, directeur du marché d'occasion de Beijing, a indiqué que, si les voitures d'occasions sont également immatriculées par tirage au sort, elles seront vendues dans les autres provinces. « Personne ne vend sa voiture avec la plaque d'immatriculation. En général, on vend pour acheter une voiture de meilleur standing. Les acquéreurs de voitures d'occasion devront donc se soumettre au tirage au sort », explique Wang Meng.
Les prévisions de Su Hui sont alarmantes : cette année, les transactions automobiles diminueront de 50% par rapport à 2010.
Amélioration de la planification urbaine
Hormis le tirage au sort, les nouvelles mesures contraindront également les automobilistes immatriculés ailleurs qu'à Beijing à obtenir un permis pour conduire dans la capitale ; par ailleurs, les prix du stationnement augmenteront.
Pan Jiahua, directeur de l'Institut de Recherche sur le Développement et l'Environnement urbain de l'Académie des Sciences sociales, et Ma Qiang, vice-urbaniste en chef de l'institut d'aménagement et de planification urbains de l'université Tsinghua, estiment que ces mesures n'auront qu'un effet temporaire, et ne régleront pas le problème de la circulation à long terme.
Guo Jifu, chef du centre de recherche sur le développement des transports de Beijing, a indiqué que dans des conditions optimales, la capitale ne peut accueillir que 6,7 millions de véhicules. Avec les actuelles 240 000 immatriculations par an, il ne reste que huit ans pour optimiser ces conditions de circulation…
Ces mesures court-termistes ont permis à la capitale d'obtenir un sursis de huit ans pour résoudre les questions de circulation, en établissant un système de transport en commun presque complet, en accélérant le déploiement des services publics comme l'éducation, l'administration, la santé, et en rapprochant domicile et entreprise afin de réduire les déplacements.
Pour la plupart des gens, les encombrements dans la capitale sont le résultat d'une structure urbaine très étendue. Les services administratifs, les établissements financiers et commerciaux se trouvent tous dans le centre-ville. Parallèlement, les grandes zones d'habitation comme Tiantongyuan et Huilongguan ne comptent que des barres d'immeubles, aucun secteur d'activité n'y ayant été développé. Dans ces conditions, les embouteillages étaient donc inévitables.
Le plan de la municipalité de Beijing a par ailleurs proposé de « perfectionner la planification urbaine », « dissiper les fonctions et la population des zones centrales » et « accélérer le développement des transports en commun et encourager le transport en commun ».
Les Pékinois sont très familiers de slogans comme « développer la nouvelle ville » et « abandonner la planification urbaine de style étendu », car ils ont été martelés à maintes reprises.
« Ce ne sont que des slogans. Si on ne modifie pas radicalement la planification urbaine, ce problème restera insoluble », a lâché Pan Jiahua.
D'après Ma Qiang, en tant que mégalopole, Beijing devrait être composée de plusieurs petites villes : chaque quartier doit offrir, outre des lieux d'habitation, des services commerciaux et des soins médicaux équivalents à ceux du centre-ville.
Ma Qiang souligne également l'importance des transports en commun. Ces dernières années, la mairie a misé sur le bus, en ouvrant de nouvelles lignes et en rénovant les véhicules. De plus, le réseau ferré de Beijing a vu un développement extraordinaire, et atteindra les 561 km d'ici 2015, cependant encore loin derrière Tokyo, ou New York, dont le métro s'étend sur plus de 1 000 km.
« A Beijing, les transports en commun doivent demeurer au cœur du développement des transports », a conclu Ma Qiang.
Beijing Information
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