Jin Duoyou
Le soir du 19 octobre, Li Rui était à peine rentrée chez elle qu'elle a entendu à la télévision la nouvelle : le relèvement des taux d'intérêts de la Chine. « C'est vraiment une décision brusque et imprévisible », s'est exclamée la jeune femme de 27 ans.
Cette nouvelle a surpris la plupart des Chinois, car Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque populaire de Chine, banque centrale, avait récemment déclaré lors de sa participation à l'Assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale : « Cette année, la Chine n'a pas l'intention d'augmenter ses taux d'intérêts ».
Néanmoins, dix jours après sa déclaration à Washington, la Chine a tapé du poing sur la table.
Selon le site officiel de la banque centrale, le gouvernement chinois a augmenté ses taux d'emprunt et de dépôt de 0,25 %. Après ce rajustement, le taux d'emprunt annuel du yuan passe désormais de 5,31% à 5,56% et le taux d'intérêt du dépôt de 2,25% à 2,5%.
Il s'agit de la première hausse depuis décembre 2007. Dans l'optique de sauver l'économie nationale, qui a été fortement touchée par la crise financière mondiale, la Banque centrale de Chine a consécutivement abaissé cinq fois ses taux d'intérêts.
Trois ans plus tard, la Chine revient probablement sur un cycle de relèvement des taux d'intérêts.
Une mesure pour atténuer l'inflation et les taux d'intérêts négatifs
Li Rui, employée d'une entreprise étrangère, gagne avec son mari environ 120 000 yuans (12 995 euros) par an. Avec l'aide de leurs parents, les deux jeunes chinois ont acheté un appartement et une voiture sans s'endetter. D'ordinaire, Li Rui et son mari, qui n'achètent pas souvent de produits de luxe, peuvent mettre de l'argent de côté. Mais depuis le début de l'année, Li s'aperçoit qu'il est de plus en plus difficile d'épargner. Et la raison en est évidente : tous les prix ont augmenté.
« L'année dernière, nos dépenses courantes étaient en moyenne de 1500 yuans (162 euros) par mois, contre 2200 yuans (240 euros) actuellement. Je vois clairement que cette année, tout est devenu plus cher. Par exemple, la montée des prix des légumes est brutale et incroyable. L'an dernier, les haricots, qui ne coûtaient que 3,60 yuans (39 centimes d'euro) le kilo, culminent maintenant à 6 yuans le kilo ! A côté de ça, il y a aussi l'essence qui flambe… »
« L'argent est toujours dévalorisé ». Voilà ce que pensent les Chinois depuis ces deux dernières années. Et les statistiques officielles confirment leur sentiment.
Selon le Bureau d'Etat des Statistiques, l'indice de prix à la consommation (IPC) a augmenté en septembre de 3,6% (+0,1% par rapport à celui d'août), connaissant son apogée depuis 23 mois. D'après les analyses, la hausse de l'IPC est à 90% attribuée à l'augmentation des prix des aliments et du logement.
Hu Chi, directeur adjoint du département de recherche de l'Association des entreprises chinoises, indique que l'IPC de septembre a poursuivi la tendance de hausse des mois de juillet et d'août au lieu de ralentir. Les effet négatifs du climat extrême du premier semestre 2009 sur les cultures agricoles sont plus graves que prévus, et ne seront pas immédiatement dissipés.
D'après Hu, tenant compte de la tendance de développement de l'IPC et de l'effet tardif des politiques monétaires, atténuer rapidement la hausse de cet indice est difficile.
D'après Li Daokui, membre du comité de la politique monétaire de la Banque centrale, ce sont les préoccupations au sujet de l'inflation qui ont poussé le gouvernement. A cause du haut niveau d'inflation actuel et des perspectives incertaines, le relèvement des taux d'intérêts était inéluctable.
He Liping, professeur à l'Université normale de Beijing, souligne que cette activité vise à freiner la hausse des prix et refroidir le marché immobilier.
Ainsi, le taux d'intérêt négatif a poussé à cette détermination.
Le taux d'intérêt négatif signifie que le taux d'inflation est plus élevé que le rendement d'intérêt sur les dépôts. Si l'on épargne de l'argent à la banque dans ces circonstances, le bien n'aura pas augmenté, mais diminué un an plus tard.
Un taux d'intérêt négatif entraîne une chute des dépôts de la banque et une surchauffe de l'économie à cause de la baisse du coût de financement. Dans une période de taux d'intérêt négatif, le flux de capitaux se dirige vers le domaine des biens, ce qui engendre la hausse des prix et une bulle économique.
Le taux d'intérêt négatif date du mois de février. Actuellement, le taux d'inflation est d'environ 3,5%, un chiffre qui ne pourra être totalement neutralisé avec une hausse de 2,5% des taux d'intérêts pour les dépôts sur un an.
« Bien qu'un relèvement des taux ne change pas le phénomène du taux d'intérêt négatif, il montre l'attitude du gouvernement », a déclaré l'économiste Gao Shanwen.
Relèvement des taux d'intérêt : une épée à double tranchant
D'une part, la hausse des taux d'intérêt atténue la pression d'inflation et refroidit le marché immobilier. D'autre part, cette mesure aggrave la crainte sur l'afflux des capitaux spéculatifs étrangers.
Yu Yongding, directeur de l'Institut de l'économie et de la politique mondiale de l'Académie des Sciences sociales, prévoit que les afflux des capitaux spéculatifs étrangers dans les pays en développement - notamment en Chine - seront inévitables tant que le marché anticipera une hausse continue de la valeur du RMB, et que les États-Unis maintiendront une politique monétaire souple.
Cao Fengqi, professeur à l'Université de Beijing, affirme que l'augmentation des taux d'intérêts pourrait attirer des « capitaux chauds » en Chine et aggraver la pression de réévaluation du RMB, tant que les taux d'intérêt des économies de pays comme les Etats-Unis et le Japon se trouveront à un faible niveau.
Selon les données de la Banque centrale de Chine, depuis début 2010, le Funds outstanding for foreign exchange se trouve à une position élevée malgré un ralentissement considérable aux mois de mai et de juin sous l'influence de la crise de la dette de l'Europe. Cependant, cet indice a fortement bondi au troisième trimestre, avec un maxima en septembre, 289,6 milliards de yuans.
Avec l'augmentation des afflux des capitaux spéculatifs en Chine, la difficulté pour le gouvernement chinois est d'éviter leurs impacts sur l'économie nationale.
Selon l'économiste de renom Shi Chenyu, la gestion et le contrôle des flux de capitaux chauds demandent la coopération de nombreux départements comme la douane, les banques ainsi que l'Administration d'Etat des devises étrangères.
Une mesure contre la guerre monétaire mondiale
Capitaux chauds, hausse des taux d'intérêts, réévaluation du yuan… la Chine est forcément entraînée dans la guerre monétaire mondiale.
Sur le marché international, l'atmosphère de la guerre ne cesse de s'aggraver. Le dollar australien et le yen ont atteint leur plus haut historique face au dollar américain, depuis respectivement 27 et 15 ans. Et en Chine, malgré un taux d'intérêt le plus élevé depuis la réforme de 2005 du yuan face au dollar américain, les Etats-Unis continuent à réclamer une réévaluation du RMB.
A la veille du Sommet du G20 de Séoul, le taux de change du yuan, toujours confronté à une pression de réévaluation du marché international, constituera un sujet important.
Pour l'économiste Lu Zhengwei, la vitesse de réévaluation du yuan sera probablement ralentie. Car comme le relèvement des taux d'intérêt et la réévaluation du yuan représentent en quelque sorte des contraintes pour l'économie national, le gouvernement devrait éviter l'application de mesures répétitives.
Selon le Journal économique de Hong-Kong, cette initiative du gouvernement chinois montre qu'il exerce une politique monétaire indépendante, qui tient compte de l'état de fonctionnement de l'économie du pays, au lieu d'obéir à la pression des Etats-Unis.
La Chine entrée dans un cycle de relèvement des taux d'intérêt ?
Certaines analyses indiquent qu'en raison d'une petite hausse des taux d'intérêts, la signification symbolique serait plus importante que l'effet réel. La Chine devient, après l'Inde et le Brésil, une autre économie émergente qui a annoncé l'augmentation de ses taux d'intérêts. Cela marque que la politique monétaire chinoise passe de souple à stable ou neutre.
Cette initiative montre que la Chine se prépare à endurer une faible croissance économique, afin d'endiguer l'inflation et la bulle d'investissements.
Avant cette hausse des taux d'intérêts, la Banque Centrale avait déjà accéléré la vitesse de réévaluation du yuan. Ensuite, les taux d'intérêt seront augmentés à plusieurs reprises avec de petits ajustements.
Ma Jun, économiste en chef de la Deutsche Bank pour la Grande Chine, y voit un début du cycle de hausse des taux d'intérêt. Lors des prochaines années, la croissance de l'IPC pourrait être de 3%. Si l'on n'augmente pas les taux d'intérêt, le taux d'intérêt négatif continuera à persécuter l'économie chinoise. Donc, la Chine va élever ses taux d'intérêt.
« Cette hausse des taux d'intérêt marque le début du cycle. Des augmentations consécutives sont à prévoir. Cependant, cela dépend de la situation globale de l'économie et des effets de la politique monétaire », dit Lian Ping, économiste en chef de la Banque des Communications.
Wu Xiaoling, ex-gouverneur adjoint de la Banque centrale n'est pas de cet avis. Elle ne voit dans cette hausse qu'une indication de la stabilisation de la politique monétaire, mais ne voit aucune preuve que d'autres hausses de taux seraient imminentes.
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