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Entre célébrations et tensions

 

Kong Quan, l'ambassadeur de Chine en France. (Xinhua)

 

Le 27 janvier 1964, la France fut la première puissance occidentale majeure à établir des relations diplomatiques avec la Chine. Les relations entre les deux pays ont depuis connu une évolution spectaculaire. Lors d'une interview récente accordée à Nouvelles d'Europe, un quotidien chinois édité à Paris, Kong Quan, l'ambassadeur de Chine en France, a tenté de résumer les changements intervenus tout en offrant sa vision des différences existant entre les deux pays. Voici des extraits de ses propos.

Nouvelles d'Europe : Comment jugez-vous le développement des relations entre la Chine et la France depuis l'établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, il y a de cela 45 ans ?

Kong Quan : L'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France fut un événement d'une importance majeure. Lorsque l'on examine les 45 années qui viennent de s'écouler, on se rend compte que de grands changements sont intervenus en Chine, en France, mais également dans les relations entre la Chine et la France et entre la Chine et l'Europe.

Ces 45 années ont vu s'établir des contacts étroits entre la Chine et la France ainsi qu'un développement continu de l'amitié traditionnelle qui existe entre nos deux pays. L'établissement de relations diplomatiques a ouvert un nouveau chapitre de cette amitié, en donnant une nouvelle dimension aux échanges bilatéraux. Lors de l'établissement des relations, 4 000 personnes voyageaient chaque année entre la Chine et la France. Aujourd'hui, ce sont plus de 4 000 personnes qui se déplacent quotidiennement entre les deux pays. Alors qu'en 1964 les villes françaises et chinoises n'entretenaient aucune relation de coopération, on dénombre aujourd'hui 65 jumelages entre villes ou encore entre régions et provinces. Enfin l'année dernière, 700 000 Chinois se sont rendus en France pendant que 400 000 Français visitaient la Chine.

Les 45 dernières années ont été marquées par l'approfondissement de notre compréhension mutuelle. Si les peuples chinois et français se connaissaient très peu au début de cette période, il existe aujourd'hui entre eux une compréhension plus profonde et plus large, et notamment en ce qui concerne leur évolution respective. Ils font preuve entre eux d'une plus grande tolérance et objectivité que par le passé.

J'aimerais mettre l'accent sur la coopération aux bénéfices mutuels qui s'est rapidement instaurée entre la Chine et la France et qui s'est approfondie et élargie tout au long des 45 années qui ont suivi. Politiquement, les deux pays ont des vues identiques ou similaires sur la plupart des questions internationales majeures. Nous partageons les mêmes idéaux de paix et de développement pour l'humanité. Nous affichons la même volonté de mener une politique étrangère indépendante. Notre coopération est tout à la fois bénéfique pour les deux parties et complémentaire. La progression de cette collaboration nous a conduits à mettre en place des mécanismes facilitant les échanges réguliers de visites entre les responsables chinois et français. Nos chefs d'Etat, de gouvernement, nos responsables parlementaires ou nos ministres se rencontrent non seulement en France et en Chine, mais également à l'étranger lors des grands rendez-vous internationaux. Les dossiers internationaux ont d'ailleurs donné lieu à une bonne coopération et coordination des efforts de nos deux pays.

En matière de relations commerciales, les échanges bilatéraux atteignaient, il y 45 ans, un volume annuel d'environ 100 millions de dollars. Actuellement, ce volume est parfois atteint en une seule journée. Environ 3 500 entreprises françaises ont des intérêts en Chine. Elles sont présentes dans presque toutes les provinces chinoises et dans de nombreux domaines, que ce soit le transport, l'énergie, l'aéronautique, le secteur alimentaire ou les matériaux de construction, et symbolisent la nature complémentaire et mutuellement bénéfique des relations commerciales existant entre les deux pays. Par ailleurs, on remarque avec satisfaction ces dernières années, l'émergence d'une nouvelle tendance : de plus en plus d'entreprises chinoises se lancent sur le marché français à la recherche d'opportunités commerciales tout en contribuant dans un même temps à la coopération bilatérale.

Sur le plan technologique, la Chine s'est grandement investie dès les premières heures du projet ITER (Réacteur expérimental thermonucléaire international) et a notamment soutenu la décision de construire le réacteur en France. Ce projet témoigne du désir des deux pays d'encourager la coopération internationale dans le secteur des technologies de pointe.

La coopération dans le domaine de l'éducation a également été fructueuse. Les 100 premiers étudiants chinois avaient fait la Une des journaux lorsqu'ils étaient arrivés en France en 1965. De nos jours, ils sont quelque 30 000 à poursuivre leurs études en France et ce nombre est en constante augmentation. Plus de 6 000 étudiants français sont de même présents dans les villes chinoises au sein de diverses filières d'éducation. La Chine a ouvert plus de 10 instituts ou classes Confucius en France où les étudiants français peuvent apprendre la langue chinoise et se familiariser tant avec la culture chinoise qu'avec l'actualité de la Chine. En outre, la France a mis en place des cours de chinois dans les écoles primaires, les établissements du secondaire et les universités, révélant ainsi un intérêt croissant des étudiants et du public français pour tout ce qui a trait à la Chine.

Pour ce qui est des échanges culturels, 45 ans en arrière, un groupe d'artistes chinois ne visitait la France qu'une fois par an ou tous les deux ans. Aujourd'hui, plus de 80 groupes d'artistes chinois visitent la France chaque année. Lors des débuts de la relation diplomatique franco-chinoise, le déplacement de l'équipe chinoise de basket-ball en France constituait un véritable événement. Aujourd'hui, l'entraîneur de l'équipe chinoise d'escrime est français et des joueurs de badminton et de tennis de table chinois sont de leur côté entraîneurs dans les clubs français.

Les échanges militaires se sont par ailleurs fortement développés. Lors des 45 dernières années, ils ont atteint un niveau plus complexe et se sont diversifiés. Les visites mutuelles de navires chinois et français sont à ce sujet des exemples révélateurs.

La progression des relations sino-françaises ne fut pas sans accrocs. Mais la Chine a toujours attaché une grande importance à cette relation, privilégiant la coopération et le développement. Nous espérons et sommes convaincus que la France se joindra à la Chine pour garantir aux relations bilatérales un avenir radieux.

A mon avis, la Chine et la France se doivent d'envisager leurs relations globalement et à long terme. Notre relation n'est pas une simple relation bilatérale. Tant la Chine que la France sont des pays importants à l'échelle mondiale et des membres permanents du Conseil de sécurité. Nos deux pays ont une influence majeure sur les relations internationales. Nous devons donc voir au-delà de nos relations bilatérales et prendre en considération leur importance globale et à long terme.

La Chine et la France doivent se respecter et faire preuve de compréhension à l'égard l'une de l'autre. Les différences existant entre leur niveau de développement, leur système social et leur héritage historique et culturel ne devraient pas affecter le développement de leurs relations. Nous devrions au contraire considérer ces différences comme des opportunités pour en apprendre davantage sur l'autre et renforcer notre coopération. Nos deux pays ont des préoccupations majeures. En tant que partenaires stratégiques, nous devrions faire preuve de respect et de compréhension quant à ces préoccupations.

La Chine et la France doivent trouver un terrain d'entente et mettre de côté leurs différences. Grâce à notre coopération sur un grand nombre de dossiers, tant bilatéraux qu'internationaux, nos points de convergence l'emportent largement sur nos différences. Deux pays ne peuvent être d'accord sur tous les sujets. Nous devons cependant prendre conscience qu'il existe entre nous une multiplication des points de convergence. De cette façon, nous progresserons dans nos relations, pour notre plus grand bénéfice et celui de la paix mondiale et du développement.

Les relations entre la Chine et la France furent considérées comme un modèle de réussite relativement aux liens que la Chine était susceptible d'entretenir avec les plus grandes puissances occidentales. Les douze ans de présidence de Jacques Chirac ont en particulier permis aux deux pays de tisser des liens étroits. L'actuel Président, Nicolas Sarkozy, a lui aussi accordé dès son entrée en fonction, la priorité aux relations sino-françaises. Toutefois, à la fin de l'année dernière, il a rencontré le Dalaï-Lama malgré l'opposition de la Chine, jetant un froid sur les relations des deux pays. Cela signifie-t-il que la politique diplomatique de la France a pris un nouveau tournant ?

Le développement constant des relations entre la Chine et la France doit être attribué au fait que les dirigeants des deux pays, tant dans le passé qu'aujourd'hui, se sont personnellement investis pour promouvoir des liens dotés, à leurs yeux, d'une grande valeur. Le futur développement de ces liens repose non seulement sur les dirigeants, mais aussi sur les efforts conjoints des personnes de bonne volonté et de quelques milieux qu'elles soient, aussi bien en Chine qu'en France. Nous sommes tout à fait confiants à ce sujet, car les relations entre la Chine et la France bénéficient d'un fort soutien de la part du public.

Je suis persuadé que le Président Sarkozy est soucieux du bon développement des relations entre la Chine et la France. Il a visité la Chine peu de temps après son entrée en fonction. Il a assisté l'année dernière à la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques ainsi qu'au sommet Asie-Europe organisé à Beijing. Il a à plusieurs reprises rappelé qu'il attachait une grande importance aux relations sino-françaises, à la coopération qui existe entre les deux pays dans différents domaines et à leur collaboration dans les relations internationales. La Chine accorde également de l'importance à ses relations avec la France et à l'amitié traditionnelle qui existent entre les deux pays. Nous sommes impatients de travailler avec la France pour faire progresser nos relations bilatérales dans le respect mutuel.

Nous devons faire face aux difficultés qui émaillent nos relations. Nous devons en examiner les causes et faire une synthèse de tout cela afin de permettre aux relations sino-françaises de progresser dans l'avenir sur une base solide. De notre point de vue, la partie française se doit de prendre des mesures concrètes afin de dissiper les inquiétudes de la Chine sur des questions essentielles, et ainsi balayer définitivement les troubles pesant sur nos relations bilatérales.

La Chine a vivement réagi après la rencontre entre Sarkozy et le Dalaï-Lama. Certains en France pensent que la réaction de la Chine à cette rencontre a été plus véhémente que lors des précédentes rencontres entre le Dalaï-Lama et d'autres chefs d'Etat ou de gouvernement. Quelle est votre analyse ?

Le gouvernement chinois fait toujours preuve de fermeté en ce qui concerne sa position sur la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Chine. Sa position sur ces questions n'a jamais varié. Notre opinion selon laquelle le Dalaï-Lama n'est pas seulement une personnalité religieuse est basée sur des faits. Le Dalaï-Lama n'a jamais cessé ses efforts politiques pour provoquer une scission de la Chine. Il encourage subrepticement les actes de violence visant à diviser le pays. Les dirigeants étrangers souhaitant favoriser le développement de relations d'amitié et de coopération avec la Chine ne devraient pas accepter de s'engager de quelque manière que ce soit avec le Dalaï-Lama, tant par égard pour les relations bilatérales avec la Chine que par respect du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de chacun. Les rencontres entre les dirigeants étrangers et le Dalaï-Lama endommagent les relations de ces pays avec la Chine. La Chine défend cette position de principe non seulement lorsqu'il s'agit de la France, mais également chaque fois que la question se pose. Nous espérons que les pays qui entretiennent des relations avec la Chine prendront conscience de la ferme détermination de la nation chinoise à défendre sa souveraineté nationale et son intégrité territoriale, et à gérer de la manière qu'elle pense appropriée la question du Tibet. Leur coopération avec la Chine pourra alors se dérouler dans une atmosphère sereine.

Vous avez étudié au sein de la prestigieuse Ecole nationale d'administration et travaillé au sein de l'ambassade en France pendant de nombreuses années. Votre grande connaissance de la société et de la culture françaises vous permet-elle de comprendre les divergences d'opinions entre certains organismes de presse français et la Chine en ce qui concerne la question du Tibet ?

De nombreux amis français m'ont confié qu'ils n'étaient pas en accord avec les opinions exprimées par les médias de leur pays sur le Tibet. Je ne pense pas que le public français soutienne les théories du Dalaï-Lama. Je souhaite que de plus en plus de Français se rendent en Chine, visitent la région autonome du Tibet et découvrent son histoire. Lorsqu'ils se rendront compte des grands progrès qu'elle a connu et comprendront les sentiments des millions de descendants de serfs qui ont recouvré leur liberté (lors de la réforme démocratique du Tibet en 1959), ils seront alors mieux à même de saisir la détermination et la confiance du peuple chinois, y compris des compatriotes tibétains, dans sa volonté de sauvegarder l'unité de la mère patrie et de construire un Tibet neuf et resplendissant.

 

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