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Charles de Gaulle et la Chine

Dans un monde menacé par des diverses formes de désordre, les forces constructives françaises et chinoises sont très utiles de manière indépendante — de l'ONU au marchés financiers, des laboratoires aux université — leur efforts conjoints de coopération sont indispensables.

 

David Gosset. (Xinhua)

David Gosset

(l'auteur est directeur d'Academia Sinica Europaea à la China Europe International Business School, à Shanghai, et a crée le Forum Euro-China)

De nombreuses personnes ont à l'envi attribué à l'empereur français Napoléon une déclaration que ce dernier n'a probablement jamais prononcé et qui est progressivement devenu un vulgaire cliché « Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera ». Lors d'une conférence de presse organisée le 9 septembre 1965, le président français Charles de Gaulle fit part d'une opinion bien moins tranchée et plus précise « Tout indique que le mouvement va se poursuivre, parce qu'on voit bien qu'il y a tout un ensemble de faits, d'une immense portée qui disons est à l'œuvre, actuellement pour repétrir l'univers. Il y a la profonde gestation qui se produit dans l'énorme Chine et qui la destine à un rôle mondial de premier plan », avait-il indiqué. Il est indéniable que la résurgence de la Chine modifie l'échiquier mondial des pouvoirs de manière progressive et pacifique, ce qui ne découle pas sur une brusque interruption, ni de violents bouleversements.

 

La Chine n'est pas une nation, ni un Etat-nation, il s'agit avant tout d'une civilisation « très particulière et très profonde. » -- Charles de Gaulle

Le 27 janvier, nous avons célébré le 45e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de la Chine (RPC). D'un point de vue français, la reconnaissance à part entière de la RPC, fut après tout, une décision de M. de Gaulle, l'un des plus brillants chefs d'Etat de la République française et l'une des grandes figures de la politique mondiale du 20e siècle.

Dans le contexte géopolitique des années 1960, la vision de M. de Gaulle fut tout simplement visionnaire et constitue une parfaite illustration de sa capacité à discerner les tendances historiques fondamentales à partir d'évènements plus spectaculaires mais moins prépondérants.

Son exceptionnelle sagacité et son sens de la stratégie furent non seulement à l'origine de la relation spécifique entre Paris et Beijing, mais par ailleurs l'esprit de sa décision révolutionnaire reste une référence pour aiguiller la coopération sino-française. Cet événement devrait certainement être perçu comme une source d'inspiration pour surmonter la tension sino-française qui a caractérisé l'année 2008.

Seuls les membres du camp soviétique reconnurent immédiatement le nouveau régime chinois en 1949. Bien que la Suède, le Danemark et la Suisse établirent des relations diplomatiques un an après que Mao Zedong ait proclamé la naissance de la RPC, la France fut la première des grandes puissances occidentales à décider d'instaurer des relations diplomatiques avec la Chine en consentant à des échanges d'ambassadeurs.

Cependant, lorsque M. Lucien Paye, qui avait officié en tant que ministre de l'Education, fut nommé par de Gaulle en tant que premier ambassadeur de France en Chine, la RPC, du haut de ses quinze ans, était non seulement aux prises à une lutte idéologique avec le monde occidental, mené par les Etats-Unis mais était également en conflit avec ses deux gigantesques voisins, l'Inde et l'URSS.

Lucien Paye (à gauche), premier ambassadeur de France en Chine, présente ses lettres de créance au président de la RPC, Liu Shaoqi, le 31 mars 1964.

Eus égards à la domination des Etats-Unis après la Seconde guerre mondiale, l'ouverture du président de Richard M. Nixon à Beijing en 1970 fut un tournant géopolitique de prime importance. De nombreux analystes m'ont souvent fait part de leurs théories quant à la diplomatie triangulaire des Etats-Unis qui exploita la rivalité entre Beijing et Moscou, un emploi ironique de leur part de la stratégie chinoise de « contrôler les Barbares par les Barbares ». Henry Kissinger, conseiller pour les affaires de la sécurité nationale conçu et orchestra de main de maître ce tournant diplomatique, mais reconnut également la clairvoyance du Général de Gaulle. « Fait intéressant, le dirigeant qui fut le premier à percevoir les opportunités provoquées par la rupture sino-russe fut l'un des piliers de la diplomatie européenne, de Gaulle », écrivit Kissinger dans son livre Diplomatie, publié en 1994.

Dans les années 1960, isolée sur la scène internationale, la Chine fut également aux prises avec une crise interne d'une importance non négligeable. En 1958, le gouvernement central souhait accélérer le rythme d'industrialisation du pays à travers le « Grand bond en avant ». Cela fut un retentissant désastre économique.

Ce fut dans un tel environnement qu'à la fin de l'année 1962, Mao Zedong rédigea un poème intitulé « Nuages d'hiver » dont le titre renvoie à sa perception des périls imminents qui planent au-dessus sur la Chine. Dans cet opus, il s'adressa nettement aux puissances étrangères avec des métaphores : « Tigres et les léopards ne peuvent être jugulés que par les braves / De plus, les ours sauvages jamais ne découragent les braves ».

Dans des conditions qui auraient dissuadé des personnages moins confiants, de Gaulle montra l'étendue de sa résolution. Le 31 janvier 1964 à l'occasion d'une conférence de presse au palais de l'Elysée, il expliqua les motifs de sa décision de reconnaître la RPC, événement qui fut couvert par des centaines de journalistes.

Son raisonnement s'appuyait sur des socles solides qui sont des traits caractéristiques du gaullisme : une perspective à long terme et les efforts consentis pour prendre en compte, au-delà des évènements éphémères ou des phénomènes à court terme, des réalités plus durables.

Le chef d'Etat français débuta sa conférence en citant des faits démographiques et géographiques. « La Chine, un grand peuple », dit-il, « le plus nombreux de la terre » un très vaste pays qui s'étend « depuis l'Asie Mineure et les marches de l'Europe jusqu'à la rive immense du Pacifique, et depuis les glaces sibériennes jusqu'aux régions tropicales des Indes et du Tonkin (Vietnam) ». L'évidence et la raison, expliqua de Gaulle, le poussèrent à coopérer avec les dirigeants chinois. Des solutions à long terme pour quelconque problème important qui survienne en Asie voire dans le monde dépendraient de la participation active et constructive de la Chine.

De Gaulle fit ensuite part de la clé de voûte de sa pensée relative au monde chinois : la Chine n'est pas une nation, ni un Etat-nation, il s'agit avant tout d'une civilisation « très particulière et très profonde ».

Sans aucun doute, la reconnaissance précoce de la RPC par la France fut une démarche politique motivée par des raisons géopolitiques. Par la reconnaissance du gouvernement de Mao Zedong, de Gaulle envoya un signe à la fois à Washington et à Moscou indiquant qu'il essayait de développer une politique étrangère indépendante. Paris était également pleinement conscient de l'objectif affiché pat la Chine de devenir un protagoniste important sur l'échiquier mondial. Le 16 octobre 1964, la Chine procéda à la première explosion d'une bombe nucléaire sur le site de Lop Nur. Une année auparavant, la France et la Chine refusèrent de signer le Traité d'interdiction partielle sur les essais nucléaires, dont le but était de réguler la course à l'armement.

Le fait de réduire la décision de M. de Gaulle à une dimension politique omet une composante importante du gaullisme.

Lorsqu'il évoquait la Chine en tant que civilisation, de Gaulle transcendait les habituels calculs géopolitiques et prit en considération des faits plus essentiels. Il souhaita que le gouvernement français travaille de concert avec un autre gouvernement étranger, mais, plus essentiellement que son pays puisse participer à un projet humain permanent, la civilisation chinoise.

Plus révélateur, le lien le plus remarquable de M. de Gaulle avec l'Asie, et sans doute l'une de ses sources les plus influentes d'information quant à la Chine n'était pas un diplomate ni un homme d'affaires, mais un écrivain magistral qui s'était placé au service du président français pendant dix ans en tant que ministre de la Culture. André Malraux, l'incarnation de l'écrivain engagé, un commentateur et un protagoniste important dans les principales crises du 20e siècle, associait une érudition encyclopédique à l'expérience du voyageur dans la diversité mondiale.

La représentation intellectuelle du monde chinois de M. Malraux et la compréhension de M. de Gaulle des aspects historiques et culturels du pays se complétèrent parfaitement.

En 1965, de Gaulle demanda à Malraux de visiter la Chine en tant qu'émissaire du président français. A Beijing, au nom du président français, Malraux s'entretint avec Chen Yi, Zhou Enlai et Mao Zedong. L'écrivain publia le contenu de ses discussions dans son ouvrage Antimémoires. Dans ce récit épique, de solides forces historiques se mettent à l'épreuve et forgent des vies extraordinaires tout comme de puissantes personnalités qui modèleront l'histoire. Malraux perçoit Mao comme l'« empereur de bronze » et annonce en guise d'oracle que « Trois siècles d'ardeur européenne s'estompent tandis que l'ère chinoise commence ». Il attribua également à Mao ces paroles fascinantes : « Je suis seul…. je ne peux compter que sur une poignée d'amis éloignés. Veuillez transmettre mon amitié au général de Gaulle ».

Malraux eut non seulement une incidence sur la perception de M. de Gaulle par rapport à la Chine, mais il eut également une influence sur l'approche de Nixon quant à sa visite officielle à Beijing. Avant son départ pour la Chine en février 1972, le président américain invita l'écrivain français de 71 ans à la Maison Blanche.

De Gaulle acheva sa conférence de presse avec une autre remarque relative à ce qu'il appelait des « affinités » entre la France et la Chine. Il va sans dire que les intellectuels français et chinois animés par la même curiosité pour comprendre autrui ont été liés depuis des siècles par une attraction réciproque. Cependant l'affinité englobe également l'idée de similitude. Malgré toutes les différences entre la France et la Chine, les deux pays partagent une haute estime pour la culture.

Bien que le monde ait considérablement évolué ces 45 dernières années, de Gaulle reste une source d'inspiration. Sa vision et sa résolution ont placé la relation sino-française sur une voie spéciale. Actuellement, cette relation a contribué à une forte synergie sino-européenne, préalable à une gouvernance mondiale plus équilibrée. L'année 2008 s'est malheureusement achevée sur une querelle inutile entre Beijing et Paris, mais cette tension qui tranche singulièrement avec le respect mutuel et l'amitié qui caractérisait leur relation, ne devrait pas se poursuivre.

Si, dans un monde menacé par des diverses formes de désordre, les forces constructives françaises et chinoises sont très utiles de manière indépendante — de l'ONU au marchés financiers, des laboratoires aux université — leur efforts conjoints de coopération sont indispensables.

Les dirigeants français, européens et chinois doivent de nouveau faire honneur à la décision de M. de Gaulle de reconnaître la RPC. Celle-ci invite à considérer la Chine comme une civilisation vivante et comme l'un des architectes de l'équilibre mondial du 21e siècle. Dans sa plus noble expression, le gaullisme est un effort pour agir en fonction de réalités permanentes. En ce sens, sa pertinence reste d'actualité au beau milieu des changements et malgré tout le tapage des ostentations superficielles.

 

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