La Russie se tourne de nouveau vers l'Amérique Latine pour contrer les mouvements militaires et diplomatiques des Etats-Unis.
Yang Chuang (professeur à l'Université des Affaires étrangères de Chine)
Lors de son arrivée au pouvoir en mars dernier, les médias occidentaux ont qualifié l'actuel Président russe Dmitry Medvedev de « libéral », quelqu'un avec qui l'Ouest pouvait s'entendre. Toutefois, on a pu observer ces derniers temps un certain durcissement de la politique menée par le Président russe, qui s'inscrit désormais dans la ligne de celle de son prédécesseur Vladimir Poutine. Les deux hommes ont ainsi souligné l'importance pour la Russie de réaffirmer son influence en Amérique Latine ainsi que dans d'autres régions du monde.
Durcissement
Le 8 août, la Russie a envoyé des troupes en Ossétie du Sud, province séparatiste de la Géorgie, déclenchant une guerre de 5 jours. Elle a par la suite reconnu l'indépendance de l'Ossétie du Sud ainsi que de l'Abkhasie, autre province séparatiste, avant d'établir avec elles des relations diplomatiques. En septembre, la Russie a envoyé au Venezuela deux bombardiers stratégiques dans le cadre d'exercices militaires, organisant par la même occasion une démonstration de force sous le nez des Etats-Unis. Le 25 novembre, quatre navires de guerre russes sont également arrivés au Venezuela pour la réalisation d'un exercice militaire conjoint. Le lendemain, Medvedev s'était d'ailleurs lui-même rendu au Venezuela, dans le cadre de sa tournée dans quatre pays d'Amérique Latine.
Ces actions font écho aux cinq principes guidant la politique étrangère russe, dévoilés par Medvedev lors d'un discours le 31 août dernier : reconnaissance de la primauté de la loi internationale, promotion d'un monde multipolaire, maintien de relations cordiales avec l'Europe, les Etats-Unis et d'autres pays, protection de la vie et des intérêts des citoyens russes « où qu'ils se trouvent » et vigilance accrue concernant les « régions [dites] prioritaires », frontalières de la Russie ou non. Ces principes sous-tendent notamment la décision russe de se tourner vers les régions stratégiques à l'époque de la lutte pour la suprématie mondiale que se livraient les Etats-Unis et l'URSS.
Medvedev est le premier Président russe à se rendre au Venezuela depuis la dissolution de l'Union Soviétique. Lors de sa visite, les deux pays ont signé sept accords dans le domaine militaire, énergétique et financier. La Russie a notamment accepté d'aider le Venezuela à fabriquer un réacteur nucléaire à usage civil et de créer un fonds d'investissement commun doté de 4 milliards de dollars. En retour, le Venezuela a accordé à la Russie un accès à ses réserves d'or et de gaz naturel. Les deux pays ont également confirmé leur coopération en matière d'énergie nucléaire, de pétrole, de gaz naturel et d'électricité, et sont parvenus à un accord sur la construction navale, les services aéronautiques, le commerce, les investissements, et l'exemption de visas pour les voyageurs en transit. Ils ont finalement abordé la question des exportations d'armes russes vers le Venezuela.
Bien que leur exercice militaire conjoint, qui a commencé le 1er décembre, ait attiré l'attention de la communauté internationale, les deux protagonistes ont cherché à minimiser sa portée, en insistant sur le fait que leur principal secteur de coopération demeurait l'économie. Medvedev, ainsi que des officiels militaires russes, ont affirmé que cet exercice ne visait aucun pays et qu'il ne constituait en rien un acte agressif.
Toutefois, la Russie a très clairement exprimé un intérêt croissant envers l'Amérique Latine. Le Premier ministre adjoint russe, Nikolai Patrushev, s'est ainsi rendu cette année à Cuba et au Venezuela. Poutine, désormais Premier Ministre, a quant à lui affirmé que la Russie se devait de reprendre sa place en Amérique Latine ainsi que dans d'autres zones du monde. Quelques officiels russes ont même suggéré que la Russie rétablisse sa présence militaire en Amérique Latine. Parallèlement, ses relations politiques, économiques et militaires avec Cuba se sont améliorées et resserrées.
Ainsi, la portée de l'exercice militaire conjoint organisé entre la Russie et le Venezuela est davantage symbolique que pratique. L'objectif de la Russie est de mettre en garde le Président américain nouvellement élu Barack Obama et d'acquérir une position avantageuse en prévision des futurs dialogues stratégiques avec les Etats-Unis. Cet exercice est donc un message clair de la Russie à l'adresse d'Obama.
Les origines de la coopération
La coopération entre la Russie et le Venezuela trouve son origine dans la pression stratégique subie par les deux pays sous l'administration Bush et par une volonté partagée de protéger leurs intérêts respectifs.
Le Venezuela affirme œuvrer pour un monde multipolaire. En resserrant sa coopération énergétique et financière avec la Russie, le Président Hugo Chavez espère accroître les exportations de pétrole de son pays et briser le monopole du dollar. La Russie est donc pour le Venezuela un allié qui l'aidera à réaliser ses ambitions politiques. Mi-septembre, la Russie a envoyé deux bombardiers Tu-160 au Venezuela, ce qui constituait le premier atterrissage de bombardiers stratégiques à l'Ouest depuis la fin de la Guerre Froide. Chavez a accueilli cet événement comme un pas supplémentaire vers un monde multipolaire et vers « la fin de l'hégémonie des Etats-Unis ».
Il apparaît évident que le regain d'intérêt manifesté par la Russie à l'égard de l'Amérique Latine est une réponse aux actions agressives menées par les Etats-Unis à travers le monde. Menacée par le système de défense antimissile déployé par les Etats-Unis en Europe de l'Est, la Russie cherche en retour à bousculer l'Oncle Sam dans sa basse cour. Le Venezuela semblait être aux yeux de la Russie l'endroit le plus approprié pour initier sa réponse.
Le resserrement des relations militaires entre la Russie et le Venezuela est suivi de près par la communauté internationale depuis 2005. Ces trois dernières années, les deux pays ont en effet signé 12 contrats d'armement d'une valeur totale de 4,4 milliards de dollars. De plus, la Russie est actuellement engagée dans la construction de trois usines d'armement de défense au Venezuela.
Fin septembre, Chavez s'est rendu pour la deuxième fois de l'année en Russie, ce qui porte à six le nombre de ses voyages dans ce pays depuis son accession à la présidence de la République. Il y a effectué davantage de déplacements que n'importe quel autre dirigeant d'Amérique Latine. Lors de sa dernière visite, la Russie a accordé au Venezuela un prêt d'un milliard de dollars pour l'achat d'armement ainsi que sa coopération militaire et technologique.
Début octobre, Chavez a déclaré que le Venezuela était « très intéressé » par l'offre de la Russie proposant de l'aider à fabriquer un réacteur nucléaire à usage civil. Peu après, l'armée vénézuélienne a annoncé que le Venezuela allait procéder à l'achat d'une quantité importante d'armes russes pour remplacer son équipement militaire obsolète et améliorer ses capacités de défense.
Les Caraïbes ont toujours été pour Washington une passerelle lui permettant d'exercer un contrôle économique et militaire sur l'Amérique Latine. Mais c'est également un point faible dans le déploiement des forces militaires des Etats-Unis. L'exercice militaire coordonné entre la Russie et le Venezuela menace la domination américaine dans la région. La présence militaire accrue de la Russie en Amérique Latine, lui permet non seulement de riposter contre l'installation par les Etats-Unis d'un système de défense antimissile en Europe de l'Est, mais également d'ériger une structure globale où les Etats-Unis et la Russie infiltrent leur zone d'influence respective.
La réaction des Etats-Unis
Préoccupés par ses guerres en Irak et en Afghanistan, Washington a négligé l'Amérique Latine, où il essaie aujourd'hui de rattraper le temps perdu. Les Etats-Unis surveillent ainsi de très près cet exercice militaire conjoint, dont ils essaient de minimiser la portée. Thomas Shannon, sous-secrétaire d'Etat américain aux Affaires Etrangères, a déclaré que le rapprochement entre la Russie et le Venezuela ne constituait pas une « menace militaire ou géopolitique » et qu'il ne serait pas, dès lors, la cause d'un réveil des tensions de la Guerre Froide.
Pourtant, la préoccupation des Etats-Unis à l'égard de la coopération entre la Russie et le Venezuela, notamment militaire et énergétique, est bien réelle. Alors qu'il témoignait devant la Commission du renseignement du Sénat, le directeur de l'Agence américaine du renseignement militaire Michael Maples, a déclaré qu'il était évident que la Russie essayait de retrouver sa puissance militaire en Amérique Latine, prouvant ainsi la force croissante de son économie et sa confiance politique. Parallèlement, les demandes du Venezuela se multiplient. Le pays a exprimé le besoin d'acquérir davantage d'armement russe, notamment des sous-marins, des avions de transport, des avions de combat, des systèmes de défense antiaérienne, des hélicoptères, et des milliers de fusils d'assaut, pour garantir sa position de puissance militaire régionale. Proche voisin des Etats-Unis, Chavez n'a jamais cessé de critiquer Washington. L'exercice militaire conjoint mené avec la Russie va très certainement attiser la colère des Etats-Unis et tendre encore davantage leurs relations avec le Venezuela.
Si un écart important subsiste entre les Etats-Unis et la Russie en matière de puissance nationale globale, la Russie demeure le seul pays susceptible de rivaliser avec les Etats-Unis en terme de puissance militaire. La Russie est par ailleurs un maillon vital de l'approvisionnement énergétique de l'Europe, à laquelle elle fournit la plupart de son pétrole et gaz naturel. Elle dispose par conséquent de moyens de pression sur les Etats-Unis tant en matière de questions internationales que dans leurs relations bilatérales. Alors que des tensions demeurent au sujet de la Géorgie, la coopération militaire et énergétique de la Russie avec le Venezuela est un nouveau sujet d'inquiétude pour Washington.
La mondialisation et la crise financière ont accentué l'interdépendance et la nécessité de coopération entre les différentes puissances, rendant improbable une dégradation des tensions américano-russes vers un conflit armé. Toutefois, la Russie utilise cet exercice militaire conjoint pour avertir les Etats-Unis que désormais, que ce soit en Amérique Latine ou ailleurs, ils ne sont plus les seuls maîtres du jeu.
Beijing Information
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