Qin Dahe, scientifique chinois réputé, a consacré une vie de travail à surveiller et à lutter contre le réchauffement climatique, qui accélère la fonte des glaciers mondiaux.
Wang Hairong
Moment historique : Qin Dahe (3e à gauche) et ses coéquipiers posent
pour la postérité lors d'une expédition autour de l'Antarctique.
Leur périple, qui prit fin le 3 mars 1990, fut la première exploration de la région dans son intégralité.
A quelques 118 kilomètres d'Urumqi, chef-lieu de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, se profile le Glacier nº1 des monts Tianshan. La fonte des glaces de l'un des dix glaciers les plus célèbres au monde, libère une importante quantité d'eau qui viendra alimenter la rivière Urumqi, approvisionnant ainsi en eau les millions de personnes qui vivent sur ses berges.
Or, ce magnifique glacier s'atrophie. Au cours des quatre dernières décennies, celui-ci a reculé d'un quart, selon les données récemment publiées par l'Observatoire des glaciers des monts Tianshan, administré par l'Académie chinoise des sciences (ACS).
Qin Dahe, qui, du haut de ses 61 ans, possède plusieurs flèches à son arc : glaciologue, climatologue et membre de l'ACS, fut choqué par l'ampleur des dégâts lors de sa dernière visite sur la mer de glace, l'année dernière.
Ce chercheur de renom, qui, il y a plus de vingt ans avait rédigé sa thèse de master sur le glacier nº1, impute au réchauffement climatique mondial la fonte des glaciers en Chine au cours des dernières décennies, qui progresse à un rythme effrayant. Le scientifique formulait la mise en garde suivante : si la température continue de progresser à son rythme actuel, la superficie des glaciers du plateau du Qinghai-Tibet pourrait décliner de 500 000 m² en 1995 à 100 000 m² d'ici à 2030. En l'absence des glaciers, les vastes terres intérieures de l'Asie pourraient pâtir de dramatiques pénuries d'eau. Les oasis retourneraient à la poussière, ce qui priverait les locaux de leur habitat traditionnel.
Ce chercheur illustre s'est spécialisé dans l'étude de la cryosphère (étendues terrestres où l'eau est présente à l'état solide, de manière permanente ou temporaire) et des changements climatiques. Avant sa retraite l'année dernière, celui-ci était le dirigeant de l'Agence météorologique chinoise (AMC). Il fut également le représentant permanent de la Chine au sein de l'Organisation météorologique mondiale (OMM).
Des recherches qui font référence
Au fil des années, Qin a participé à de multiples expéditions scientifiques au pôle Sud, au pôle Nord ainsi que sur le plateau du Qinghai-Tibet. Il fut également le chef de file de recherches extensives et approfondies portant sur la calotte glaciaire du pôle Sud, l'évolution glaciaire et les changements environnementaux dans le massif de l'Himalaya. Le fruit de ses études a eu d'importantes retombées.
Les investigations de M. Qin ont attiré les projecteurs sur les changements climatiques. D'après lui, près de 90 % du réchauffement planétaire sont imputables aux activités humaines et si notre comportement n'évolue pas radicalement, la température moyenne pourrait grimper en moyenne de 6ºC d'ici à la fin de 2100. Des études corroborent en partie ses affirmations et précisent qu'une augmentation de 4ºC de la température moyenne pourrait aboutir sur une perte de 1 à 5% sur le PIB mondial.
Les découvertes de la communauté de chercheurs ont été retracées dans les rapports d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Fondé en 1988, celui-ci a pour objectif d'analyser les informations pertinentes pour la compréhension des risques imputables à l'homme sur les changements climatiques. Il fut également le co-président du groupe de travail nºI sur le quatrième rapport d'évaluation, dévoilé en 2007, et fut un membre de l'équipe centrale de rédaction du rapport.
En juin 2008, le 53e Prix de l'Organisation internationale météorologique lui fut remis par l'OMM. Ce prix est décerné chaque année aux personnes ayant réalisé un travail remarquable dans le domaine de la météorologie ou dans toute autre discipline connexe. M. Qin fut le second lauréat chinois de ce qui est souvent perçu comme le « Prix Nobel de météorologie ».
Cet éminent universitaire a dédié bon nombre de ses efforts à la sensibilisation de la population aux changements climatiques. Lors de la remise d'un rapport à l'occasion d'une réunion des membres de l'ACS en juillet 2008, il souligna devant l'auditoire qu'à court terme le recul des glaciers devrait accélérer le flux de circulation des eaux des glaciers dans les rivières, mais qu'au fil du temps, à l'approche de la fonte totale des glaciers, l'approvisionnement en eau se réduirait à peau de chagrin. C'est pourquoi, le réchauffement climatique pourrait menacer la sécurité des réserves aquifères du pays.
Le climatologue chinois poursuivit son explication en indiquant que la fonte progressive des glaciers et des zones balayées par le permafrost (ou pergélisol) a exacerbé la fréquence et l'intensité des inondations, des glissements de terrains, des avalanches et a également encouragé le redoux dans les zones où se produit le pergélisol. Tandis que se produit le redoux dans les régions où survient habituellement le pergélisol, les projets d'ingénierie (civile ou non) tels que les chemins de fer bâtis à leur surface sont exposés à davantage de risques d'écroulement. Avec la disparition des glaciers, une forte perte de précieuses données climatologiques, hydrologiques et biologiques généralement prélevées à l'aide de carottages sera observée, a-t-il surenchéri.
Les glaciers comptent pour les 4/5 de l'eau fraîche sur la planète, par ailleurs près de 98% de ce liquide est conservé en Antarctique et au Groenland, si l'on s'en tient à l'analyse de l'Encyclopédie de Chine. La fonte de l'intégralité des glaciers de la planète devrait entraîner une montée du niveau de la mer de 60 mètres, une ampleur apte à engloutir toutes les villes côtières de Chine.
D'autres éléments statistiques dévoilés par l'agence Xinhua révèlent que les glaciers de Chine occidentale couvrent près de 0,6% de la superficie terrestre du pays. L'étendue des glaciers chinois permet au pays d'occuper le 4e rang mondial en la matière, derrière le Canada, la Russie et les Etats-Unis. Ces glaciers alimentent le débit des plus grands fleuves nationaux, tels que le fleuve Yangtsé et le fleuve Jaune (Huang He).
Les quarante dernières années ont vu les glaciers chinois se contracter de 5,5% au niveau de la superficie totale et se rétrécir de 7% au niveau du volume, d'après les résultats d'une étude menée par les glaciologues chinois. A la lecture de cette investigation, on apprend également que la fonte des glaciers est responsable d'environ 14% de la hausse du niveau de la mer au cours du siècle passé.
« Lorsque la ville de Nanjing sera frappée par une vague de tempêtes en 2050, le drainage de l'eau sera d'autant plus complexe au vu de la hausse du niveau de la mer, la ville sera certainement inondée », a estimé M. Qin le mois dernier, dans un rapport sur les effets du changements climatiques sur la ville de Nanjing, chef-lieu de la province orientale du Jiangsu.
Les épreuves forment la jeunesse
Ce membre influent de l'ACS est natif de la ville de Lanzhou, dans la province occidentale du Gansu. Pour M. Qin, l'étude de la glaciologie était loin de relever du coup de foudre. Lors de son inscription à l'université de Lanzhou, celui-ci opta pour un diplôme en mathématiques ou en physique, mais il fut néanmoins affecté au Service de géologie et de géographie. Curieux par nature et aventurier par vocation, le jeune chercheur s'éprit de glaciologie au fur et à mesure de ses études.
A la remise de ses diplômes en 1965, le destin voulut qu'il s'éloigne d'une carrière dans le domaine de la glaciologie, lorsqu'il fut nommé dans un collège, où il enseigna près de sept ans.
Sa carrière de chercheur fut enfin remise sur les rails en mai 1978, à la suite de la fondation de l'Institut de glaciologie et de géocryologie de Lanzhou, immédiatement rattaché à l'ACS dès son inauguration. Alors qu'il conduisait des recherches à l'Institut, Qin reprit ses études universitaires dans sa ville natale où il décrocha ses master et doctorat.
Un académicien qui n'a pas froid aux yeux
L'exploration des zones glaciaires est loin d'être une sinécure. Souvent plongé de nombreuses heures à des températures extrêmement rigoureuses, les glaciologues vivent dans des conditions particulièrement inhospitalières. Les avalanches, glissements de terrains et crevasses sur les glaciers sont leur lot commun et peuvent venir à bout de leur existence en un clin d'œil.
Le scientifique sut se montrer à la hauteur de sa mission en 1989 et en 1990 et parvint à s'ériger en tant qu'héros national après être devenu le premier Chinois à mener à bon terme une expédition dans l'ensemble de l'Antarctique.
De juillet 1989 à mars 1990, une équipe internationale d'expédition parcourut l'ensemble de l'Antarctique, achevant un périple de près de 6 000 km. Ce collectif était formé par six membres de Chine, des Etats-Unis, de l'ex-URSS, du Japon, de France et d'Allemagne. Parmi ses équipiers, Qin était le seul glaciologue en activité.
A la lueur du souvenir de l'équipée, Qin se remémore que chacun des 220 jours qu'ils passèrent dans l'Antarctique, l'équipe parcourait la journée les étendues de pergélisol, avant de monter les tentes, de préparer la tambouille et de nourrir les dizaines de chiens de traîneau à la nuit tombante. Ils broyaient de la nourriture lyophilisée avec leurs dents et dormaient dans des sacs de couchages. En qualité de scientifique, Qin était chargé d'une tâche supplémentaire, qui consistait à effectuer des prélèvements de glace tous les 40 km. Il devait creuser à un ou deux mètres de profondeur pour récupérer les carottes, ce qui prenait généralement une demi heure à deux heures, mais se rappelle les six douloureuses heures que lui prit une excavation un jour donné. A mi-chemin de l'expédition, Qin avait déjà perdu 30 kilos de masse corporelle.
Retour aux sources
Le climatologue émérite fut désigné à la présidence de l'AMC en 2000. Cette prise de fonctions était synonyme de conseiller le gouvernement pour la prise de mesures politiques importantes dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Il suggéra que le gouvernement renforce la surveillance climatique du climat et prenne des actions pour atténuer l'ampleur des changements climatiques et s'adapter simultanément aux modifications occasionnées. Il exhorta également la communauté scientifique chinoise à poursuivre ses efforts pour développer des modèles climatiques et évaluer l'impact des changements climatiques.
A l'automne 2008, M.Qin participa à une recherche in situ sur l'origine des Trois fleuves, à savoir le Yangtsé, le fleuve Jaune et le Lancangjiang (partie chinoise du Mékong). Cette région réputée autrefois comme le « château d'eau de la Chine », souffre désormais de désertification, d'une perte au niveau de la biodiversité et d'un délabrement des prairies. Ce vétéran a déclaré que l'équipe de recherche devrait procéder à des découvertes significatives, dans l'optique d'aiguiller le gouvernement pour la délibération de politiques dans ce domaine.
Cependant l'académicien a encore du pain sur la planche. Il fut réélu en septembre en tant que co-président du groupe de travail nºI du GIEC, qu'il dirigera afin d'achever le cinquième rapport d'évaluation sur le changement climatique d'ici à 2014.
Beijing Information
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