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ÉCONOMIE
Publié le 13/06/2007
À monnaie virtuelle, dangers bien réels

Poussée par le commerce et les paris en ligne, la monnaie virtuelle est entrée dans une ère de développement sans précédent sur l'Internet, jusqu'à potentiellement menacer le système financier réel.

Tan Wei

Wang Chengyu, 18 ans, mène une double vie. Le jour, il étudie à l'université de Hainan. La nuit, il se change en commerçant prospère et empoche des crédits Q.

Les crédits Q, monnaie virtuelle de la société Tencent.

Les crédits Q ont été créés par la société Tencent Inc pour faciliter la collecte des frais d'utilisation de ses services en ligne. Un système monétaire virtuel a vu le jour en mai 2002, dans lequel un crédit Q équivaut à un yuan, et où les utilisateurs en mal de jeu peuvent recharger leur compte à l'aide d'un pseudonyme et d'un mot de passe. « Les crédits Q sont comme les dollars dans la vraie vie », explique Wang.

Tencent est ainsi devenue l'une des compagnies les plus regardées de Chine. À la fin du mois de mars 2006, elle hébergeait 220 millions de comptes de messagerie actifs et les crédits Q s'étaient imposés comme le moyen de paiement incontournable de l'industrie du jeu en ligne. Les utilisateurs peuvent non seulement acquérir des objets virtuels dans un monde virtuel… mais aussi générer une belle fortune dans le vrai monde à l'aide des ses pièces de monnaie fictives.

Dans l'analyse économique traditionnelle, la monnaie joue cinq rôles principaux : moyen d'échange, de mesure de la valeur, de conservation de la valeur, moyen de paiement différé et devise internationale. Or dans le monde virtuel, les crédits Q remplissent déjà les quatre premières fonctions, et sont en passe de prendre la place du yuan.

Cao Honghui, de l'Académie des Sciences sociales de Chine, estime que cette monnaie virtuelle ne se contente pas de constituer une menace pour le système financier actuel, mais qu'elle risque d'influencer grandement la composition des systèmes financiers futurs. Ayant remplacé certaines fonctions essentielles de la monnaie officielle, la monnaie virtuelle pourrait peser sur les masses monétaires M0 et M1 de la banque centrale et ainsi affecter la distribution de monnaie et toutes les politiques monétaires en général. Li Chao, officiel à la banque centrale chinoise, confirme que les autorités attachent déjà une grande importance à ces monnaies en ligne et qu'un système de régulation devrait voir le jour l'an prochain.

Trou noir législatif

L'histoire remonte à 1999, lorsque Tencent lance un service de messagerie instantanée baptisé QQ. Le petit pingouin qui lui sert de héraut est désormais installé sur la quasi totalité des ordinateurs du pays, et QQ est devenu l'outil de discussion en ligne le plus prisé des Chinois.

Tencent a ensuite développé de nombreux programmes de divertissement en ligne, jusqu'à émerger comme le portail de jeux et de paris en ligne le plus large de Chine. En mars 2002, le nombre d'utilisateurs enregistrés passait la barre des 100 millions ; dès lors, l'urgence pour Tencent était de concevoir un système de facturation simple pour ses services à valeur ajoutée. « Il était inimaginable d'envoyer des centaines d'étudiants, principaux utilisateurs du portail, faire la queue nuit et jour dans les bureaux de poste pour quelques yuans par heure », se souvient Song Yang, responsable des relations publiques chez Tencent. La solution est vite trouvée : lancer les crédits Q.

Wang nous explique que les crédits Q constituent la plus ancienne et la plus communément partagée des monnaies virtuelles. Elle peut être utilisée en d'innombrables endroits. Bénéficiant d'une popularité sans faille, elle est peu exposée à des risques de dépréciation. Utile aussi pour l'acquisition de biens virtuels via des transactions réelles, elle s'imposa rapidement comme un moyen pour Wang de générer de l'argent.

Game.qq.com est le premier portail de jeux en ligne de Chine. On trouve de nombreux joueurs à Beijing.

Dans la sphère des jeux QQ, on peut gagner davantage de crédits si l'on remporte le jeu. Les joueurs sont donc prêts à tout ; Wang ne fait qu'office d'intermédiaire : « Il existe beaucoup de jeux, et les joueurs préfèrent acquérir des objets virutels pour aller plus loin dans la partie. Donc j'achète à bas prix des objets qui me semblent utiles et je les échange contre des crédits Q. » Dans la transaction, Wang parvient à générer un profit de 2 000 yuans par mois.

Or, ces 2 000 yuans constituent, en Chine, un complément non négligeable pour un étudiant. D'ailleurs, depuis qu'il a commencé à commercer en ligne, Wang n'a plus demandé d'argent de poche à ses parents. Mais il admet son impuissance lorsqu'on soulève la question de l'impôt : « Je n'ai jamais pensé à en payer, et personne n'a jamais élevé d'objection. »

D'après les lois en vigueur, tout individu en Chine dont le revenu mensuel dépasse 1 600 yuans est tenu de payer un impôt. Mais le système fiscal actuel ne couvre pas les transactions virtuelles. Cette carence légale a été confirmée à Beijing Information par l'Administration de l'industrie et du commerce de Beijing. L'imposition des activités en ligne n'intervient que lorsque celles-ci nécessitent l'emploi de salariés réels ou l'utilisation de locaux concrets. Mais les profits générés par des transactions totalement virtuelles échappent pour le moment à la loi.

Zhou Hongyu, directeur du département d'Éducation de la province du Hubei, s'inquiète de potentiels problèmes. Il craint notamment que les opérateurs en ligne échappent à toute taxation et se plongent dans le blanchiment d'argent. En attirant toujours plus d'utilisateurs, ils empocheront toujours plus d'argent, qui pourrait être utilisé de façon illégale. Il reproche aussi aux crédits Q leur capacité à être convertible en yuans, ce qui risque d'encourager les paris en ligne.

Zhou ne fait pourtant pas dans le sensationnel : les jeux de cartes en ligne, par exemple, jouissent d'une croissance sans précédent. La nuit du 6 mars dernier, on comptait plus de 2 millions d'utilisateurs connectés sur la plate-forme de jeux de Tencent, et des centaines de milliers d'autres s'amusaient sur Ourgame, Shanda Entertainment ou Chinagames.

Or, si les compagnies de jeu ne permettent pas de transformer les crédits Q en yuans, les gagnants peuvent aisément acquérir des biens ou mener des transactions privées pour les convertir en argent réel. « Le pari en ligne est pratique, fonctionnel et sûr, regrette Yu Guofu, avocat spécialisé sur les questions d'internet. Il est difficile de le découvrir, et donc facile pour les utilisateurs de tomber dans la dépendance. »

En dépit du manque de légitimité et de régulations, la monnaie virtuelle évolue donc en une industrie de masse. Le iResearch Consulting Group estime à 1,7 milliard de yuans le montant total qu'elle représentera à la fin de l'année.

La question Q

La question essentielle ici est : les crédits Q constituent-ils une vraie monnaie ? Liu Zhiping, PDG de Tencent, est clair : « Les crédits Q ne sont qu'un moyen de pré-paiement et ne jouent pas le rôle d'une vraie monnaie. » Mais Yang Tao, professeur à la faculté Normale des Sciences et technologies du Jiangxi, n'est pas du même avis. Selon lui, les crédits Q ont largement dépassé leur mission originale de fourniture de services à valeur ajoutée, pour devenir un vrai moyen de transaction en ligne et, partant, remplir les mêmes fonctions qu'une monnaie. Yang ajoute que les crédits Q peuvent représenter une menace désastreuse pour le yuan, quoique pas dans l'immédiat, et appelle le gouvernement à renforcer les régulations sur les monnaies virtuelles.

Yu Guofu ne l'entend pas ainsi. Il réfute la possibilité que les crédits Q puissent un jour devenir une vraie monnaie : « La distribution d'argent virtuel est strictement basée sur la demande et n'a rien à voir avec un système financier d'État. Le gouvernement ne va pas produire davantage de yuans parce qu'il existe davantage de crédits Q. »

Ce dernier a cependant, dans le doute, préféré écouter l'appel de Yang Tao. Début avril, quatre ministères et administrations ont publié une note conjointe déclarant que « les formes de monnaie virtuelle présentaient une menace pour l'ordre financier et économique actuel » et ont imposé une pause dans les transactions en ligne. La Banque populaire de Chine (banque centrale) a proposé des régulations strictes sur l'émission de monnaie virtuelle et sur les montants que les joueurs en ligne peuvent acquérir ; elle a également demandé que les transactions virtuelles et réelles soient mieux différenciées.

Tencent a réagi à ses mesures en « réajustant sa prestation de services en accord avec les régulations gouvernementales. »



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