« Pékin m'a rendu libre » |
Christine Cayol, Fondatrice de Yishu 8 C'est un petit paysage qui nous fait entrer dans un monde obscur, ponctué de lumière, énigmatique et ordinaire. Nous sommes devant la maison du peintre où il réside depuis trois mois. Cette maison, que l'on ne voit pas sur la toile, et son quartier, ont été le point de départ d'un nouveau souffle. Une maison invisible, cachée dans les hutongs, symbole d'une intériorité en plein travail, qui accueille ce qui l'entoure sans rien brusquer. Ce paysage qui s'inscrit dans la tradition de la peinture européenne me touche, à l'ombre de Rembrandt et de Vélazquez, Antoine Roegiers cherche quelque chose qu'il porte en lui.
L'artiste a besoin de contraintes. Ce n'est donc pas un hasard s'il a commencé par étudier les arts appliqués. Le geste d'Antoine s'inscrit dans un dialogue avec les objets, les formes et leur matière. Le chemin vers les beaux-arts s'est ensuite naturellement imposé, et une recherche sur la peinture à travers une série d'étonnantes vidéos s'est amorcée. Libre, poétique, le travail sur l'œuvre de Bruegel ou de Jérôme Bosch lui a permis d'inventer un monde singulier. Les vidéos d'Antoine Roegiers suscitèrent vite l'admiration, la reconnaissance de la critique ainsi que celle des collectionneurs avisés.
La peinture, pourtant si aimée, apparaissait alors comme une grande sœur qui accepte de jouer avec lui, tout en gardant ses distances d'aînée. La peinture, Antoine confie aujourd'hui qu'il en avait un peu peur. Et pourtant l'exposition qu'il révèle aujourd'hui au public chinois montre que l'hésitation qui s'imposait à son geste en peinture s'est transformé en un mouvement plus libre et plus sûr. Du paysage dans la nuit aux hommes accroupis dans les hutongs, de la vue sur la Cité interdite à ce visage de femme qui attend…., Antoine cesse de se référer à la peinture, il peint. « Avant je mettais cinq mois pour faire un tableau ; à Pékin, il m'est arrivé d'en faire trois en une journée ». Pour sa résidence à Yishu 8 l'artiste a choisi le courage et la liberté. Le choix le plus facile pour lui eut été le plus attendu, en poursuivant le chemin de la vidéo. Trois mois pour se risquer dans des directions nouvelles, intégrer la réalité de tous les jours dans une peinture à l'huile de mieux en mieux maîtrisée. Trois mois pour se surprendre, sans trop se soucier des conséquences de cette orientation, en évitant ces pièges de la répétition qu'apporte le succès. A Yishu 8, dans l'atelier sud, le lauréat du Prix 2012 a osé se sentir libre.
A force de vivre dans les hutongs, on connaît les gens et on contemple la réalité… la mémoire allégée des résultats à atteindre fait se rejoindre naturellement au coin d'une rue la peinture classique européenne et la réalité quotidienne d'un Pékin en voie d'être oublié. La peinture ici se résume en trois mots : lumière, surface et tons. Dans les grands formats comme dans les petites vues de Pékin ou de la Cité interdite, le peintre joue avec les tons c'est-à-dire avec les effets picturaux que produit l'agencement des couleurs. C'est sur la toile représentant la carte du deux de carreau que tout a commencé. L'important ici n'est pas l'autoportrait de l'artiste et celui de son amie, travestis en costumes traditionnels d'une Chine imagée. Ce qui se joue c'est le travail de la peinture, sa capacité à produire une nouvelle visibilité. Si l'on regarde attentivement le vêtement blanc de l'homme, nous voyons qu'il s'est transformé en un paysage de neige où le jeu entre le blanc, le gris et la lumière invente un monde minéral. Ce n'est donc pas un hasard si ce morceau de peinture dialogue silencieusement avec l'image d'un marbre paysage, qui se tient centrale juste derrière le couple. Ces deux morceaux de peinture attestent que l'essentiel n'est pas de montrer mais de rendre visible ce qui sans la peinture serait resté caché.
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