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Publié le 21/06/2011
Emmanuel Lincot : histoire de l'art et sinitude

Yang Jiaqing

Directeur de la Chaire des Etudes chinoises contemporaines et vice doyen chargé des relations internationales de la Faculté des Sciences sociales et économiques de l'Institut catholique de Paris, Emmanuel Lincot a récemment donné une conférence au Centre culturel Français de Beijing pour présenter son dernier ouvrage : « Peinture et Pouvoir en Chine (1979-2009) : une histoire culturelle », en compagnie de la correspondante du Point à Beijing, Caroline Puel, qui publie « Les trente ans qui ont changé la Chine (1980-2010) ».

De gauche à droite : Nicolas Idier, Attaché culturel à l'ambassade de France à Beijing ; Emmanuel Lincot ; Caroline Puel (Beijing Information)

Sorti l'an dernier, l'ouvrage de ce sinologue et historien d'art poursuit sa thèse de doctorat qu'il avait réalisée sous la direction de François Jullien, repoussant donc la chronologie aux Trente glorieuses (1979-2009), une histoire inextricablement liée à l'évolution politique de la Chine.

Une méthode sociologique empruntée à l'école de Chicago

L'histoire de l'art chinois analysée par la plupart des sinologues français, comme Yolaine Escande, privilégie aujourd'hui encore l'époque impériale, au détriment des périodes moderne et contemporaine. L'histoire culturelle, telle que souhaite la développer Emmnuel Lincot, apparaît fondamentalement différente d'un point de vue de la méthode ; une innovation dans la sinologie française.

Emmanuel Lincot : « L'histoire culturelle est une histoire de la circulation des idées ». (Beijing Information)

Cette méthode, empruntée à l'école de Chicago, repose sur trois pôles fondamentaux : d'abord les créateurs, en l'occurrence les peintres, ensuite les médiateurs, galeries et collectionneurs, enfin les interprètes, qu'ils soient critiques d'art ou journalistes. « L'histoire culturelle est une histoire de la circulation des idées. C'est une histoire de l'interactivité entre ces trois grands acteurs. Le principe même de cette histoire culturelle telle que je l'entends, dépolitise en grande partie le débat. C'est une façon de sortir d'une appréciation souvent très idéologique, appréciation hélas, à mon avis, qui caractérise aujourd'hui trop souvent encore la sinologie française », explique le directeur de la Chaire des Etudes chinoises contemporaines de l'ICP.

Périodisation depuis la réforme et l'ouverture

L'historien est un spécialiste du temps. Et celui des trente années de réforme et d'ouverture peut être divisé en trois décennies, dont chacune correspond à une génération. « La génération des années 80 serait marquée par des phénomènes d'appropriation des influences culturelles étrangères, mais aussi de ré-appropriation d'une certaine tradition chinoise de la période moderne, ou de la période impériale redécouverte après le clash de la révolution culturelle. La première décennie représente aussi une période d'acculturation, c'est à dire appropriation et sinisation de tous ces savoir-faire, des influences venues de l'étranger ou d'un fond patrimonial proprement chinois », précise le sinologue.

Dans les années 1990, le fameux voyage de Deng Xiaoping dans le sud marque le commencement d'une nouvelle période, celui du développement d'une économie de marché. Cela est à origine de l'émergence du marché de l'art. « Cette période est accompagnée par une promotion faite par les étrangers ou les Chinois eux-mêmes. Là, on retrouve des fameux acteurs tant en Chine qu'à l'étranger dans le cadre des grandes expositions. La première Biennale de Venise à laquelle participent majoritairement des Chinois, c'est celle de 1993, qui marque véritablement une reconnaissance internationale des savoir-faire contemporains artistiques chinois », poursuit-il.

Cette longue période de trente ans correspond à une sorte de redécouverte d'un patrimoine. Deux courant méritent d'être cités pour répondre à cette question. Le premier, c'est le pop'art culturel à la fin des années 80, représenté en particulier par le fameux Wang Guangyi, et le célèbre critique d'art Li Xianting. Le second est celui de l'art des performances, dont la première est réalisée dans la seconde moitié des années 80. « Cette expression empruntée à l'Occident, et aux Etats-Unis en particulier, renoue là aussi avec une tradition chinoise. La justification d'un discours artistique par la convocation d'une tradition chinoise : celle de Laozi, qui nous dit Da Xiang Wu Xing (La grande image n'a pas de forme), ou celle de Zhuangzi, qui écrit que le meilleur des peintres est celui qui ne peint pas », précise Emmanuel Lincot.

Sinitude : vers un nouveau concept ?

La Chine entre aujourd'hui dans une nouvelle phase, où d'autres formes d'art se développent dans ce contexte de mondialisation et se retrouvent notamment au sein de la diaspora intellectuelle et artistique chinoise. En effet, la Chine n'est pas seule. C'est un monde qui va bien au-delà des frontières politiques, avec tous les relais d'opinions tels que Taiwan, le Japon, les Etats-Unis et l'Europe. La France a aussi sa manière d'attirer dans son giron de très grands artistes d'origine chinoise, comme Huang Yongping, Zao Wou-Ki, Chu Teh-Chun, et bien d'autres. Il s'agit d'un phénomène d'hybridation, c'est à dire d'acculturation transfrontalière avec des artistes qui ne sont plus du tout attaché à un ancrage historique ou géographique donné. « Les artistes sont peut-être symptomatiques d'une période qui va s'étendre, peut-être pendant assez longtemps, à d'autres acteurs de société. Les artistes sont des nomades », affirme l'historien.

Pour conclure cette conférence, Emmanuel Lincot évoque la « sinitude », expression d'une citoyenneté nouvelle en référence à la négritude d'Aimé Césaire, que le sinologue emploie dans son livre pour l'étendre à la réalité artistique et à la diaspora. « Celles et ceux qui ont en partage la culture chinoise ne sont pas nécessairement de nationalité chinoise. Donc, nous autres français, attachés à la Chine, pouvons être qualifiés de 'Chinois culturels'. Je pense que la reconsidération du monde tend de plus en plus vers la redécouverte et la réémergence des grandes civilisations. Arabe, indienne, persane, chinoise, européenne », conclut-il.

 

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