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Publié le 05/11/2010
Anne Cheng : Etat des lieux de la Sinologie française contemporaine

Toute la littérature consacrée à l'émergence de la sinologie s'accorde pour dire que, dans sa forme institutionnelle, cette discipline est d'origine française. Il est donc important de bien comprendre les circonstances et les enjeux de cette émergence.

Yang Jiaqing

Sinologue de renom et historienne des idées, Anne Cheng fait le pont entre deux mondes. Née des parents chinois en 1955 à Paris, elle a choisi de renouer avec son pays d'origine de manière distanciée en en faisant un objet d'études et de recherche. Enseignant à l'Institut National des langues et civilisations orientales, elle est membre de l'Institut universitaire de France et élue au Collège de France à la chaire d'histoire intellectuelle de la Chine. Anne Cheng a récemment donné une conférence au Pavillon français de l'Exposition universelle de Shanghai, portant sur l'évolution de la sinologie en Hexagone et à travers le monde.

Une véritable sino-mania en Europe

La sinologue a commencé son exposé par le récit des efforts inlassables qu'avaient consacrés des missionnaires européens à christianiser le grand pays confucianiste, notamment avec l'arrivée en Chine du fameux jésuite italien Matteo Ricci à la fin du 16e siècle. En France, les études chinoises ont été avancées au 17e siècle, quand  Louis XIV a réussi à envoyer en Chine un groupe de jésuites, des savants qu'on appelait alors les mathématiciens du roi. Pour convertir, les jésuites misaient sur les sciences européennes de l'époque, et s'informaient systématiquement sur la Chine sous tous ses aspects, que ce soit sur ses institutions, son histoire, sa langue, ses sciences et ses techniques. Leurs communications et leurs nombreuses lettres publiées ont suscité dans toute l'Europe un grand intérêt pour la Chine.

En 1735, une véritable encyclopédie acquise à l'époque sur la Chine est parue en France. Il s'agit de l'œuvre d'un jésuite français, le Père Jean Baptiste du Halde, qui s'intitule la Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l'empire de la Chine et de la Tartarie chinoise. « Le Père du Halde avait utilisé, outre des monographies rédigées par les jésuites alors en Chine, de nombreuses traductions de textes chinois, dont le fameux Confucius, Sinarum Philosophus, c'est à dire Confucius, philosophe des chinois, un ouvrage publié en 1687 et dû à une équipe de jésuites venue de toute l'Europe. Ce livre monumental comportait les premières traductions du corpus canonique confucéen, comme le Sishu (les quatre livres), dans une langue européenne, à savoir le latin », a rappelé la sinologue française.

Une vague de sinophobie qui exclut la Chine de la philosophie européenne

Cependant, entre le 18e et le 19e siècles, un phénomène frappant s'est produit en Europe : c'est le passage assez soudain d'une sinophilie, qui caractérise les Lumières, à une sinophobie, qui gagne les esprits européens au lendemain de la Révolution française et tout au long du 19e siècle. « Donc la Chine, après avoir fait l'objet d'une véritable sino-mania en Europe pendant un siècle en gros entre 1650 et 1750, bascule dans la représentation inverse, c'est à dire dans une sinophobie de plus en plus explicite jusqu'à prendre une tournure ouvertement raciste dans le discours colonialiste de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Donc paradoxalement, c'est pourtant dans ce contexte de sinophobie que se situe l'émergence de la sinologie professionnelle, c'est à dire la science de la Chine », a-t-elle ajouté.

L'apparition de ce savoir spécifique sur la Chine est liée au rejet de la Chine hors du champs de la philosophie européenne à partir de la fin du 18e et du début du 19e siècle. « Confucius était considéré au 17e et au 18e comme le philosophe des Chinois, et la Chine, comme la nation philosophique par excellence par les philosophes des Lumières, comme Voltaire etLeibniz. En contraste par rapport à cette vague de sinophilie, un nouveau genre, c'est-à-dire le genre des histoires de la philosophie qui apparaît en France et en Allemagne entre la fin du 18e et le début du 19e siècle, tente de faire de la philosophie un domaine réservé à l'Europe.Les philosophes européens comme Hegel, le grand philosophe allemand, décrètent l'origine grecque de la pensée philosophique et de la civilisation européenne en général. Cela a pour effet de repousser la Chine dans un Orient autre, différent et lointain », a expliqué la sinologue.

Dans cette perspective, la Chine apparaît comme un repoussoir idéal, aux yeux d'une Europe qui est en pleine montée en puissance sur tous les plans : économique, industriel, technologique, scientifique, colonial, etc. De ce fait, la langue et l'écriture chinoises sont déclarées inaptes à l'exercice de la raison et du discours philosophique. Le régime impérial de la Chine est présenté comme une illustration du despotisme oriental, et donc contraire aux idéaux de la révolution française. Les institutions chinoises, en premier lieu le confucianisme, sont présentées comme inadaptées au progrès et donc condamnent la Chine à la stagnation et à l'immobilisme. En somme, pour résumer les choses assez brutalement, la Chine n'a ni philosophie ni histoire. « Bien sûr ce sont des préjugés qui datent du 19e siècle mais qui sont encore extrêmement vivaces aujourd'hui. Pour nous, les sinologues, c'est un travail de longue haleine de les combattre », a déclaré Anne Cheng d'un ton ferme.

A la différence des autres grandes civilisations, comme celle de la Mésopotamie et de l'Egypte, la Chine a une très longue histoire qui présente, malgré de très fortes ruptures, certains caractères de continuité grâce à la tradition écrite. Dès l'antiquité pré-impériale, les lettrés chinois ont assuré une transmission continue des textes, à commencer par les textes canoniques, en Chinois les Jing(经), par les moyens des commentaires et des exégèses. A cela s'ajoutaient les contributions des lettrés coréens, japonais, vietnamiens, autrement dit, les lettrés de toute l'Asie Orientale, qui se sont appropriés ces sources textuelles chinoises. Ces savants d'Asie Orientale écrivaient tous en chinois classique, une sorte de langue de communication entre les lettrés qui a joué à peu près le même rôle que le latin dans l'Europe pré-moderne. « Donc ce sont tous ces lettrés qui ont été les premiers sinologues en quelque sorte. Ce n'est pas un hasard si le terme chinois moderne pour désigner la sinologie, à savoir Hanxue (汉学), a d'abord désigné une forme de lecture philologique des sources canoniques, ce qu'on appelait sous les Qing le Kaozhengxue(考证学). Donc il y a une tradition autochtone de ce qu'on pouvait qualifier de pratique sinologique. Et c'est de cette tradition que les premiers sinologues européens ont hérité », a précisé la sinologue.

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