L'importance d'une enfance heureuse |
Chen Ran La recette du bonheur est d'attendre le plaisir avant qu'il n'arrive, d'en jouir une fois qu'il est à ta portée, et de le préserver après son départ. --- Lu Qin Lu Qin, vice-rédactrice en chef du Journal Chinese Teenagers News, jouit d'une renommée dans tout le pays avec comme nom de plume « Zhi Xin Jie Jie » (sœur confidente). Elle a récemment accordé une interview exclusive sur l'enfance et l'éducation des enfants et adolescents, avant l'arrivée du 1er juin, fête internationale des enfants. Beijing Review : Dans votre livre Bons parents, bons gosses, vous écrivez : « Ce serait un malheur si l'on menait une vie sans enfance heureuse ». Qu'est-ce que vous pensez de votre propre enfance ? Lu Qin : Ma vie était pleine de bonheur et de douceur quand j'étais une petite fille. Je suis le cinquième enfant de mes parents : j'ai trois sœurs et deux frères. C'est une bénédiction d'avoir une famille grande mais harmonieuse. Le cadeau le plus précieux que j'aie obtenu de ma famille est de savoir partager avec d'autres, un concept enraciné dans notre vie, un concept indispensable à l'époque où la vie matérielle n'était pas riche. En outre, ma mère était une personne démocratique, elle n'a jamais trop attendu de nous, ni ne nous a parlé avec condescendance. Nous avons donc grandi dans un environnement agréable et libre.
De plus, l'enseignement primaire a joué un rôle très important dans mon enfance. J'ai passé six ans à l'école primaire Shi Jia Hu Tong (rebaptisée maintenant École primaire Shi Jia). Les enseignants nous ont encouragés à assister à divers genres d'activités qui nous aideraient à nous épanouir complètement. Vu que j'éprouvais un grand plaisir à peindre, j'ai été chargée d'éditer, peindre et écrire le journal de tableau noir dans ma classe. Mes compétences de coordination et d'organisation se sont développées grâce à différentes activités sociales. Les instituteurs avaient une grande confiance en moi, et mes camarades de classe me soutenaient. Ainsi, le concept de réalisation personnelle s'est graduellement consolidé dans mon esprit. J'ai proposé « trois phrases qui mènent l'enfant vers le bonheur », à savoir « Très bien », « Oui, je peux », et « Je suis là si tu as besoin de quoi que ce soit ». La première doit être adressée aux professeurs et parents, qui ont le devoir d'encourager la jeune génération ; la deuxième mérite d'être répétée par l'enfant lui-même pour avoir confiance en soi ; la troisième cible l'entourage de l'enfant, qui doit apprendre à retirer du plaisir à aider les autres. J'ai l'impression qu'une enfance heureuse est très importante pour la vie ultérieure. Le vrai bonheur, qui n'a rien à voir avec la jouissance matérielle, ne peut être trouvé que dans le travail où vous avez intérêt à donner le maximum. Mais les enfants d'aujourd'hui, notamment les écoliers, souffrent d'une pression beaucoup plus grande. Outre les devoirs quotidiens, ils sont obligés de suivre, pendant le week-end, des cours « correspondant à leurs goûts personnels », tels que l'anglais, les mathématiques, la musique, le théâtre… Mais tout ce qu'on souhaite devient le contraire : les petits se sentent de moins en moins heureux car ce genre de cours n'est qu'au service de l'examen. Comment voyez-vous ce phénomène ? Le mieux est toujours l'ennemi du bien. Sans vrai goût personnel, les cours dont vous parlez ne font des élèves que de futurs utilitaristes. Privés de la joie qui est propre à l'enfance, les enfants de nos jours sont surchargés, car même le goût personnel est changé en « mission à accomplir ». C'est pourquoi pas mal d'élèves de l'école secondaire en ont marre des cours, sans parler des étudiants de l'université. Un phénomène horrible ! En tant que « sœur confidente » de plusieurs générations, vous avez déjà une vingtaine d'années d'expérience de dialogue avec les enfants et les adolescents. D'après vous, dans quel état psychologique se trouve la jeune génération d'aujourd'hui en Chine ? Pas aussi bon que je le croyais. Les jeunes se trouvent actuellement confrontés à une pression sans précédent, à une situation embarrassante en dépit d'une vie matériellement très riche. Depuis la réforme et l'ouverture de la Chine, la jeune génération née après 1980 est constituée, pour l'essentiel, d'enfants uniques en raison de la politique du contrôle de naissance. Ils n'ont ni sœur ni frère. Ils rencontrent souvent des difficultés dans l'apprentissage, dans la façon de se faire des amis et dans l'emploi, faisant face à une pression étroitement liée à la société, l'école et la famille. Un grand défi à relever. Ce qui est agréable, c'est que la génération post-1980 semble prometteuse une fois investie d'une charge, grâce à un esprit dynamique, ambitieux et flexible. En revanche, ces jeunes sensibles risquent d'avoir souvent un sentiment de frustration. J'ai rencontré plusieurs étudiants qui en avaient marre d'étudier et pensaient au suicide, parce qu'ils étaient incapables de s'adapter à l'environnement ou à le changer. Ce phénomène mérite une attention particulière. Vous avez mentionné « cinq pertes » qui caractérisent la jeune génération, à savoir la perte de l'enfance heureuse, de la motivation dans l'apprentissage, de la culture spirituelle, de la communication avec la famille, et enfin la perte de la réalisation personnelle. De quelle manière pouvons-nous remédier à cette situation ? La participation aux activités sociales est une bonne méthode. Le vrai bonheur ne peut être trouvé que dans ce que nous avons connu et ce que nous avons fait nous-mêmes. Les enfants doivent s'approcher de la nature et essayer de travailler comme volontaires dans la mesure du possible. Cela les aidera à ouvrir leur horizon, à comprendre ce que c'est qu'un être humain. Je suis convaincue qu'ils pourront trouver leur compte au-delà des manuels. Il est plus important d'être un être humain que de réussir, de grandir que d'avoir une bonne note d'examen, de donner que de recevoir. Avec cette idée dans la tête, nos enfants pourront grandir d'une manière psychologiquement saine. À quel genre de problèmes les enfants urbains et ruraux sont-ils aujourd'hui confrontés ? Les enfants de différentes régions vivent tous à la fois avec la joie et avec la peine. Ceux qui sont nés dans les villes ont plus d'occasions. Ils ont une meilleure vie matérielle et spirituelle, un horizon plus large grâce à de bonnes conditions familiales et sociales. Cependant, ils souffrent d'une pression très grande, résultant d'une vie monotone, d'une concurrence acharnée, et de ce que leurs parents attendent d'eux. À force de faire toujours le va-et-vient entre l'école et la maison, ils sont privés de l'occasion d'être proches de la nature et d'être évalués au-delà des résultas d'examen et de la réputation de leur école. Ils se sentent malheureux et inaptes au succès. Les enfants originaires des régions rurales, notamment des régions isolées, ont un sentiment d'infériorité à cause de l'insuffisance de livres extrascolaires, du manque de contact avec la société, en dépit de l'amélioration des conditions d'enseignement. Une fois arrivés en ville, ils ont tendance à se sous-estimer avant que les autres ne les déprécient. Ils oublient leur propre avantage unique : un lien plus étroit avec la nature. De ce fait, les enfants ruraux ont un grand besoin de confiance en soi, en insistant sur les choses dont les enfants urbains manquent : air frais, beaux paysages, meilleure capacité à survivre. Pour mettre en valeur les avantages des enfants ruraux, nous envisageons de lancer une activité qui s'appelle « mini-plantation et mini-élevage ». Récemment, mes collègues et moi, nous nous sommes rendus dans la province du Sichuan. Ce qui nous a impressionné, c'était un journal sur l'observation de la vie tenu par des enfants locaux. Ils ont noté comment sélectionner et semer des graines, combien ils ont espéré la germination ; ils ont aussi écrit comment acheter les lapins, comment les laver et comment les soigner en cas de maladie. Ce travail agréable leur apprenait comment construire la confiance en soi en faisant tout ce qui est à la mesure de leur possible. Passant de leur pays natal relativement fermé à la métropole, les enfants des travailleurs migrants se sentent moins en sécurité à cause de la disparité régionale. Victimes d'un sentiment d'infériorité, ils se prennent pour des exclus ou étrangers. Heureusement, ils sont assidus et chérissent leurs acquis. Ils ont besoin d'être aimés, d'une sorte de réajustement ou de guidance psychologique, en vue de cultiver leur confiance et leur capacité à se contrôler. Aujourd'hui, de plus en plus d'élèves en-dessous de 18 ans partent étudier à l'étranger. Pensez-vous que cela soit bon pour eux ? Franchement, je m'oppose fermement à cette tendance. Le monde extérieur est fascinant, à force d'être médiatisé. À l'étranger, la gestion au sein de l'école est beaucoup plus souple que celle de notre pays. Mais la plupart des mineurs chinois sont incapables de s'autogérer. S'ils se laissent aller par manque de supervision, ce sera catastrophique ! Les parents doivent peser le pour et le contre avant de décider d'envoyer leurs petits à l'étranger. À mon avis, l'apprentissage à l'étranger n'est faisable que si vous avez suffisamment de moyens et si votre enfant a déjà un esprit indépendant et mûr ; c'est en général le cas après qu'ils ont obtenu un diplôme universitaire en Chine. Biographie de Lu Qin Née à Beijing en 1948, elle est devenue chroniqueuse de la rubrique Zhi Xin Jie Jie du Journal Chinese Teenagers News depuis 1982. Elle a créé le magazine Zhi Xin Jie Jie en étant directrice du Comité de rédaction. En tant qu'experte en éducation des enfants et adolescents, elle a souvent été invitée à des programmes télévisés et des séminaires universitaires. Elle s'efforce de promouvoir l'éducation harmonieuse que traduisent ses best-sellers, comme Dire à l'enfant que tu es génial, Dire au monde que je sais que je peux, et Bons parents, Bons gosses. (Traduit par Yang Jiaqing) |