«Je pense que les Chinois sont pareils aux Français. » |
Une question un peu vaste : comment abordez-vous les différences entre l'Orient et l'Occident ? X.F. : Franchement, pour moi, la différence entre les cultures est beaucoup moins marquante que les points communs, grâce auxquels nous nous comprenons. Je m'explique : nous nous distinguons par exemple par notre cuisine, mais nous avons comme point commun de bien aimer manger. C'est là le plus important. Je me dis souvent : où que tu ailles, il vaut mieux manger comme les habitants locaux. Ce qu'ils t'offrent, c'est ce qu'ils trouvent délicieux. Au début, tu trouves le goût un peu étrange, mais cela résulte seulement d'un problème d'habitude. Dans ce sens, je pense que les Chinois sont pareils aux Français. Il est évident que nous avons des choses en commun en dépit des différentes façons d'agir ou d'observer les problèmes. Une pièce de monnaie a deux faces. Si tu tiens à ne regarder que le côté pile et que j'insiste pour voir le côté face, nous nous disputerons. Mais si nous prenons un peu de temps pour échanger nos places, nous finirons par nous comprendre. En vérité, nous sommes tous justes, parce qu'il ne s'agit que de la patience de réfléchir à la place de l'autre. « Notre concept, c'est l'homme et son rêve » Le théâtre des Trois Oranges cherche-t-il à harmoniser l'Orient et l'Occident ?
X.F. : Ah, ne soyons pas si snob! (rires) Pour moi, il est plus important d'apporter quelque chose aux spectateurs ; l'art dramatique est sans frontières. Les pièces que nous avons choisies sont internationales et acculturées, sans distinction de pays. Who's on first, Les Mamelles de Tirésias, La Mère, toutes reflètent le problème de la communication, omniprésent dans tout pays. Nous avons monté une grande pièce - Feu la Mère de Madame ; l'auteur est français mais l'œuvre est tout à fait compréhensible quelle que soit votre nationalité. Deux ans après le mariage, le couple commence à se disputer et à s'ennuyer. Le mari dit à sa femme : « Ta poitrine est trop petite, cette femme à côté de toi en a une plus grosse. » À vrai dire, le spectacle intéresse aussi bien les Chinois que les Français, car les disputes au foyer existent dans tous les pays. Celui qui prétend ne s'être jamais querellé avec sa femme est un menteur. C'est un problème commun à la nature humaine. En fin de compte, quel est le concept de votre groupe ? X.F. : C'est l'homme et son rêve. L'homme est une sorte d'animal singulier, animé d'espoir. Tout le monde souhaite aller mieux demain. Pour moi, les plus à craindre sont ceux qui n'ont jamais eu de rêve, ceux dont le rêve est détruit, ceux qui se rendent compte qu'ils n'en auront jamais. Je crois qu'il est très important d'avoir un rêve, qui se révèle aussi dans nos pièces. Regardez Confucius : le type qu'interprète Liu Yang nourrit toujours un songe. Confucius et Histoire de la pensée chinoise Liu Yang, vous interprétez dans Confucius un dialogue comique. Est-ce qu'il vise à railler le Lunyu (les Entretiens de Confucius), autrement dit la tradition ne risque-t-elle pas d'être brisée ?
L.Y. : Ça dépend de votre interprétation. Le disciple favori de Confucius est Zai Wo, un peu plus âgé que ses camarades et qui tient à noter tout ce que dit son maître, tandis que l'adepte que Confucius déteste le plus est Zi Lu, qui lui pose toujours des questions. Confucius est un homme plus ou moins arrogant ; il souhaite consacrer la grande part de son temps à discuter du gouvernement du pays avec les souverains de différents royaumes. Il préfèrerait que ses élèves se contentent de suivre sa doctrine, parce qu'il pense que ce qu'il dit est déjà une conclusion. À la même époque, pourtant, le philosophe Socrate, qui a en Occident, le même statut que Confucius aimait débattre avec ses disciples. Alors j'ai eu l'idée d'une pièce à partir de la différence entre ces deux maîtres. Après avoir vu le spectacle, les spectateurs se demandent : Confucius a-t-il vraiment dit cela ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Ensuite ils consultent le Lunyu pour confirmer, et pour comprendre qui est Confucius. Il leur est impossible de considérer Confucius comme un fou ou un idiot du simple fait de ma représentation. Ma première intention est de pousser les spectateurs à mieux connaître ce qu'a dit et fait Confucius en son temps. Et ce qui est drôle est plus facile à retenir. Le sketch met-il le doigt sur certains problèmes de l'éducation en Chine, comme l'examen d'entrée à l'université ? L.Y. : Exactement. Je ne connais pas bien les manuels de votre époque, mais l'Histoire de la pensée chinoise, qui occupe un seul chapitre dans les manuels de mon temps, ne m'apprend que quelques phrases sur chaque personnage, ses dates de naissance et de décès. C'est ce que je ridiculise un peu dans ma saynète. Une familiarisation des textes Comment créez-vous et traduisez-vous vos pièces ?
X.F.: La plupart de nos pièces sont étrangères. Nous les traduisons et révisons nous-mêmes, car les textes chinois sont peu nombreux et le plus souvent introuvables. La Mère est à l'origine un dialogue comique français dont le contexte est déplacé en Chine. Je travaille aussi sur la traduction. L.Y. : Les pièces sont bien traduites, c'est à dire assez oralisées. À l'université, on nous enseigne un discours très livresque : « Ah! Monsieur, que les habits de cette demoiselle sont somptueux ! » (rires). Ne vaut-il pas mieux dire simplement « Ce qu'elle est chic avec cette robe ! » ? Et l'on ne dit pas « Ma chérie » à tour de bras, ça donne le chair de poule ! À cause des anciennes traductions maladroites, une grande partie du public chinois considère aujourd'hui nos saynètes comme des sketchs comiques, mais pas comme du théâtre au sens noble. X.F. : Lorsque les Chinois se saluent, ils ont l'habitude d'utiliser des salutations formelles : «Avez-vous mangé ? », comme on dirait en français « Comment ça va ? ». Mais dans les pièces françaises traduites par le Conservatoire central d'art dramatique, je vois souvent une traduction mot à mot « Ni zenmeyang ? », qui ne correspond pas du tout à la formule de politesse chinoise. C'est dommage. |
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